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Peut-on cacher nos émissions de CO2 sous le tapis ?

Quel rôle pour les entreprises dans la séquestration du carbone ?

Gabriella Cevallos, consultante senior chez Deloitte
Le 26 mai 2021 |
4 min. de lecture
Gabriella Cevallos
Gabriella Cevallos
consultante senior chez Deloitte
En bref
  • Les solutions de séquestration du carbone fondées sur la nature pourraient contribuer à réduire la température de 0,4 °C dans un scénario de réchauffement climatique de 1,5 °C à l’horizon 2100.
  • Dans le secteur agricole, par exemple, la mise en place de certaines pratiques pourrait permettre de séquestrer 0,8 GtCO2/an à l’échelle planétaire (contre environ 42 GtCO2 émis en 2017).
  • Cependant, si les températures augmentaient de 3 °C, cela diminuerait la capacité des écosystèmes naturels à stocker du carbone.
  • Il existe un réel intérêt pour les entreprises à investir aujourd'hui dans la mise en œuvre de pratiques de séquestration du carbone, au vu de la potentielle augmentation de la demande de projets locaux à faible émission de carbone.

Le GIEC nous le rap­pelait en 2018 : lim­iter le réchauf­fe­ment à + 1,5 °C en 2100 passera par une réduc­tion rigoureuse de nos émis­sions, mais égale­ment par la mise en place de mesures per­me­t­tant d’augmenter la séques­tra­tion du car­bone. Néan­moins, seuls les poten­tiels de séques­tra­tion asso­ciés à l’utilisation de la bio­masse pour la pro­duc­tion d’én­ergie avec cap­ture et séques­tra­tion du car­bone (BECCS) ain­si que l’afforestation ont été pris en compte dans ces modèles. 

Pour­tant, nous sommes actuelle­ment plutôt sur une tra­jec­toire de réchauf­fe­ment de l’ordre 2,7 °C – 3,1 °C1. Dans ce con­texte, divers­es pub­li­ca­tions récentes met­tent en lumière le rôle cru­cial que peu­vent jouer cer­taines solu­tions tech­nologiques2 et les solu­tions fondées sur la nature. Les don­nées mon­trent que ces dernières pour­raient con­tribuer à réduire la tem­péra­ture de 0,4 °C dans une tra­jec­toire de 1,5 °C à l’horizon 21003.

Nous sommes actuelle­ment sur une tra­jec­toire de réchauf­fe­ment cli­ma­tique de l’ordre 2,7 °C – 3,1 °C.

Cepen­dant, ces solu­tions fondées sur la nature ne pour­raient pas jouer un rôle aus­si impor­tant dans un scé­nario à +3 °C. En effet, la capac­ité de séques­tra­tion du car­bone par la bio­masse serait altérée par une hausse trop impor­tante des tem­péra­tures. Le pan­el des solu­tions per­me­t­tant de con­tribuer à l’action cli­ma­tique et fondées sur la nature4 est bien plus large que le seul le recours aux BECSS et à l’afforestation. Elles peu­vent être divisées en trois caté­gories : (1) con­serv­er nos stocks de car­bone actuels (en arrê­tant par exem­ple la déforesta­tion) ; (2) restau­r­er des ter­res dégradées ; (3) met­tre en place des pra­tiques per­me­t­tant de stock­er du car­bone. Dans cet arti­cle, nous nous con­cen­trerons sur cette dernière option. 

Augmenter la séquestration de carbone 

Dans le secteur agri­cole, par exem­ple, la mise en place de cer­taines pra­tiques (util­i­sa­tion de cou­verts végé­taux, restau­ra­tion de sols dégradés, etc.) pour­rait per­me­t­tre de séquestr­er du car­bone dans les sols agri­coles, avec un poten­tiel à l’échelle mon­di­ale d’environ 0,8 GtCO2/an5 (con­tre env­i­ron 42 GtCO2 émis en 2017 au niveau plané­taire)6. Un diag­nos­tic réal­isé à l’échelle française a per­mis de con­firmer l’existence d’un poten­tiel max­i­mal7 de 29 MtCO2/an, soit l’équivalent de 39 % des émis­sions agri­coles français­es en 2016 (hors usages des sols). Cela passerait par la mise en place de mesures comme l’extension des cul­tures inter­mé­di­aires, l’agroforesterie intra-par­cel­laire ain­si que l’insertion et l’allongement du temps de présence de prairies tem­po­raires8.

Les marchés car­bone volon­taires peu­vent con­stituer l’un des débouchés per­me­t­tant la val­ori­sa­tion des efforts de séques­tra­tion du car­bone. On par­le « des » marchés du car­bone car les échanges entre por­teurs de pro­jets et acheteurs sont réal­isés à dif­férentes échelles – inter­na­tionales ou locales. Au niveau inter­na­tion­al, les pro­jets car­bone sont adossés à des labels9 et sur un sys­tème de reg­istres per­me­t­tant une traça­bil­ité des crédits et des trans­ac­tions entre acteurs sub-nationaux (entre­pris­es, par­ti­c­uliers…) local­isés dans dif­férentes régions du monde. 401MtCO2 de crédits car­bone ont été émis sur le marché volon­taire inter­na­tion­al entre 2018 et 202010.

Le prix moyen observé de ces crédits car­bone (toutes caté­gories con­fon­dues) est de 2,7€/tCO2 tan­dis que les pro­jets impli­quant du stock­age de car­bone dans le secteur foresti­er tien­nent le haut du panier avec un prix moyen de 7,5€/tCO2. Ces prix restent cepen­dant bas, et des cri­tiques vien­nent point­er du doigt de manière récur­rente les lim­ites des investisse­ments dans ces pro­jets, lorsqu’ils sont util­isés comme un moyen facile et bon marché d’afficher une stratégie cli­ma­tique ambitieuse, sans mesures de réduc­tion des émis­sions significatives. 

Mobiliser les cadres de certification carbone 

Par­mi les ten­dances iden­ti­fiées pour les marchés car­bone volon­taires à l’horizon 203011 fig­ure l’émergence d’une demande pour des pro­jets car­bone locaux – c’est-à-dire dévelop­pés sur le ter­ri­toire même de l’acheteur – qui réson­nent davan­tage avec les attentes des entre­pris­es. Les prix des crédits car­bone issus de ces marchés pour­raient osciller entre 40 €/tCO2 et 75 €/tCO212, ce qui serait plus en phase avec les coûts iden­ti­fiés à la mise en place de pra­tiques de séques­tra­tion du carbone.

Les prix des crédits car­bone issus de ces marchés pour­raient osciller entre 40 €/tCO2 et 75 €/tCO2.

C’est le cas notam­ment du secteur agri­cole en France, dont la moitié des pro­jets engen­dr­eraient des coûts estimés autour de 49 €/tCO2. Ces pro­jec­tions vien­nent rejoin­dre la dynamique observée ces dernières années con­cer­nant l’émergence de cadres de cer­ti­fi­ca­tion car­bone au niveau nation­al en Europe mais aus­si sur d’autres con­ti­nents13.

Valoriser la séquestration carbone au sein de sa chaîne de valeur

Ain­si, le développe­ment de cadres de cer­ti­fi­ca­tion, comme le Label Bas-Car­bone, représente une oppor­tu­nité à saisir pour les entre­pris­es afin d’explorer les poten­tiels présents au sein de leurs chaînes de valeur. Ces mécan­ismes offrent la pos­si­bil­ité d’engager des actions tout en assumant la ges­tion des poten­tiels risques asso­ciés à ces pro­jets (non-per­ma­nence, addi­tion­nal­ité, incer­ti­tude). En d’autres mots, cela per­met de pass­er à l’action, tout en pro­posant un cadre val­orisant les mesures déployées. 

Les avan­tages asso­ciés à un investisse­ment dans de tels pro­jets sont mul­ti­ples : une meilleure maîtrise de l’amont de la chaîne de valeur, une réduc­tion des émis­sions en dehors de son périmètre strict mais au sein de sa chaîne de valeur, le ren­force­ment des liens avec ses pro­duc­teurs de matières pre­mières et la con­sol­i­da­tion de son ancrage ter­ri­to­r­i­al. Le degré de con­nais­sance de l’amont de sa chaîne de valeur est égale­ment une étape préal­able pour l’autre défi qui attend les entre­pris­es : l’augmentation de leur résilience face au change­ment cli­ma­tique, à tra­vers des mesures d’adaptation.  

Restons réal­istes, l’accès aux marchés car­bone volon­taires comme cadre de finance­ment de pra­tiques de séques­tra­tion du car­bone n’est pas la solu­tion mir­a­cle per­me­t­tant d’aligner toutes les entre­pris­es sur une tra­jec­toire à +1,5 °C. Néan­moins, ce cadre offre l’opportunité pour les entre­pris­es de réalis­er une incur­sion dans leur chaîne de valeur et de gér­er les risques asso­ciés au déploiement de telles pra­tiques. Cela fait par­tie d’une gamme plus large de leviers à leur dis­po­si­tion pour amorcer la tran­si­tion de leur chaîne de valeur vers un mod­èle bas-car­bone. Alors, sachons en tir­er parti !

1Selon le Cli­mate Action Track­er (CAT), à par­tir des Con­tri­bu­tion Déter­minées Nationales soumis par les Etats au secré­tari­at de la Con­ven­tion Cadre des Nations Unies sur les Change­ments Cli­ma­tiques (CNUCC). Actu­al­isé en mai 2021.
2Les solu­tions tech­nologiques com­pren­nent le cap­tage direct de CO2 et sa séques­tra­tion (DACS) dans des réser­voirs géologiques, mais égale­ment le cap­tage et la val­ori­sa­tion du car­bone (CCU) comme matière pre­mière par des secteurs comme celui de la chimie.
3Girardin & al, Nature-based solu­tions can help cool the plan­et — if we act now (2021)
4Les « solu­tions fondées sur la nature » sont les actions qui s’appuient sur les écosys­tèmes afin de relever les défis globaux comme la lutte con­tre les change­ments cli­ma­tiques (https://​uicn​.fr/​s​o​l​u​t​i​o​n​s​-​f​o​n​d​e​e​s​-​s​u​r​-​l​a​-​n​a​ture/)
5Roe & al, Con­tri­bu­tion of the land sec­tor to a 1.5 °C world (2019)
6IPCC, Glob­al Warm­ing of 1.5° (2018)
7Poten­tiel max­i­mal impli­quant la mise en place de l’ensemble pra­tiques stock­antes sur l’ensemble des sur­faces agri­coles disponibles en France
8INRA, Stock­er du car­bone dans les sols français, Quel poten­tiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? (2020)
9Par exem­ple Ver­ra ou Gold Stan­dard
10Ecosys­tem mar­ket­place car­bon off­set dash­board
11TCVSM, Task­force on scal­ing vol­un­tary car­bon mar­kets – Final report (2021)
12Prix indi­cat­ifs issus d’un exer­ci­ce de mod­éli­sa­tion, à con­sid­ér­er avec les pré­cau­tions appro­priées.
13En Europe (Label Bas-Car­bone en France, Reg­istro Huel­la de Car­bono en Espagne ou Wood­land Car­bon Code au Roy­aume-Uni), en Amérique du Nord et d’autres sont en développe­ment en Asie et Amérique latine

Auteurs

Gabriella Cevallos

Gabriella Cevallos

consultante senior chez Deloitte

Gabriella Cevallos accompagne les entreprises dans l’intégration et le déploiement du sujet climatique au sein de leur stratégie. Diplômée de Sciences Po Toulouse et d'AgroParisTech, elle a notamment travaillé en Equateur pour accompagner les gouvernements locaux sur des projets environnementaux et au sein du think-tank I4CE sur les sujets liés au secteur des terres et au marché volontaire du carbone.

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