Vignes & Climat
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Vin : qu’importe le climat, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

Comment adapter le vignoble au changement climatique

Clément Boulle, Directeur exécutif de Polytechnique Insights
Le 18 mars 2021 |
5 min. de lecture
Jean-Marc Touzard
Jean-Marc Touzard
directeur de recherche INRAE et ingénieur agronome
En bref
  • Avant la crise, le vin était au deuxième rang des exportations françaises, juste derrière l’aéronautique, avec un chiffre d’affaires de 14 milliards d’euros.
  • Le projet Laccave, qui regroupe 24 laboratoires, étudie les effets du réchauffement climatique sur le vignoble français.
  • Les chercheurs ont remarqué des changements significatifs dans la structure des vins : plus forte teneur en alcool, acidité en baisse, arômes de fruits confiturés…
  • Pour contrebalancer ces changements, les solutions sont diverses, et vont de la modification des pratiques culturales au recours à la génétique, en passant par la transformation chimique des vins.

En France, le vin joue un rôle économique et cul­turel de pre­mier plan. Avant la pandémie de Covid-19, il générait un vol­ume d’affaires de près de 14 mil­liards d’euros et était au deux­ième rang des expor­ta­tions nettes français­es, dépassé seule­ment par l’aéronautique. Il est aus­si une com­posante de l’attractivité touris­tique et de l’image du pays. La valeur créée autour du vin est très liée à la notion de ter­roir, qui repose sur un équili­bre entre des con­di­tions pédologiques et cli­ma­tiques, des cépages, des savoir-faire et une qual­ité du vin, ce que garan­tis­sent les indi­ca­tions géo­graphiques (AOP ou IGP). Mais cette dépen­dance au cli­mat en fait aus­si un secteur très sen­si­ble au change­ment climatique ! 

Pour mieux com­pren­dre les effets de l’évolution du cli­mat sur le vin, et étudi­er les leviers d’adaptation poten­tiels, nous avons lancé en 2012 le pro­jet de recherche Lac­cave. Celui-ci regroupe 24 lab­o­ra­toires, majori­taire­ment de l’INRAE, mais aus­si du CNRS et d’universités ou d’écoles d’agronomie. Au total, il compte env­i­ron 90 chercheurs et doc­tor­ants de dis­ci­plines allant de la cli­ma­tolo­gie à l’économie en pas­sant par la géné­tique, l’agronomie, l’œnologie ou la géo­gra­phie. Le pro­jet s’est aus­si ouvert aux organ­i­sa­tions de la fil­ière, comme l’INAO ou FranceA­grimer, en par­ti­c­uli­er pour la réal­i­sa­tion d’une prospec­tive sur le secteur en 2050.

Dans une pre­mière phase, de 2012 à 2016, le pro­jet Lac­cave a per­mis de partager et de pré­cis­er nos con­nais­sances sur les impacts du change­ment cli­ma­tique sur la vigne et le vin. Tout d’abord, et en rai­son de la douceur des hivers et de l’élévation des tem­péra­tures moyennes, tous les stades phénologiques de la vigne sont plus pré­co­ces : débour­re­ment, flo­rai­son, vérai­son, matu­rité du raisin. La date des ven­dan­ges est en avance de plusieurs semaines par rap­port aux années 1980. Les vignes, qui tran­spirent davan­tage et font face à des étés plus secs, voient égale­ment une aug­men­ta­tion de leur stress hydrique, surtout dans le Midi, avec des con­séquences sur les ren­de­ments. La com­po­si­tion des raisins et les car­ac­téris­tiques des vins sont aus­si mod­i­fiées. Ceux-ci ont plus d’alcool, moins d’acidité et déga­gent des arômes dif­férents, avec des notes sou­vent plus con­fi­turées et moins complexes.

Pour les ama­teurs de vin et les obser­va­teurs de la vigne, ces phénomènes sont déjà bien per­cep­ti­bles. Par exem­ple, la récolte du Châteauneuf-du-Pape com­mence désor­mais fin août-début sep­tem­bre alors qu’elle avait lieu entre le 20 sep­tem­bre et le 5 octo­bre dans les années 1950. À Gruis­san, dans l’Aude, les pré­cip­i­ta­tions ont dimin­ué d’environ 25% depuis 1990, ce qui pose des prob­lèmes de ren­de­ments. Les événe­ments cli­ma­tiques extrêmes se mul­ti­plient, comme la canicule de 2003 ou le coup de chaleur du 28 juin 2019 en Langue­doc, avec des vignes qui sont par­fois gril­lées sur place. Enfin, le degré alcoolique moyen des vins du Langue­doc est passé d’environ 11% en 1984 à plus de 14% en 2017 alors que leur pH a dimin­ué, réduisant ain­si leur acid­ité et leur fraîcheur. 

En France, ces impacts sont par­ti­c­ulière­ment mar­qués dans les régions du Sud. Ils con­cer­nent aus­si le Bor­de­lais, par­ti­c­ulière­ment le Mer­lot, et à un moin­dre degré pour le moment les vig­no­bles septen­tri­onaux. Mais dans tous les vig­no­bles, les vitic­ul­teurs et les chercheurs explorent et expéri­mentent des solu­tions pour y faire face. Ces solu­tions sont étudiées depuis le début du pro­jet Lac­cave, mais dans la deux­ième phase du pro­jet, depuis 2018, les travaux se dévelop­pent avec des approches par­tic­i­pa­tives et tournées vers la con­struc­tion de straté­gies. Qua­tre domaines d’action sont con­cernés, qui doivent ensuite être com­binés dans des stratégies. 

Le pre­mier domaine con­siste à mod­i­fi­er les cépages et leurs porte-greffes en favorisant les var­iétés plus tar­dives, plus tolérantes à la sécher­esse et aux tem­péra­tures élevées, plus résis­tantes aux mal­adies et pro­duisant moins de sucre et plus d’acidité. La géné­tique et l’écophysiologie nous aident à com­pren­dre les mécan­ismes en jeu pour répon­dre à ces objec­tifs et réé­val­uer les cépages exis­tants ou en créer de nou­veaux par hybri­da­tion. Avec les vitic­ul­teurs et leurs organ­i­sa­tions, nous étu­dions dans leurs exploita­tions ou sur des par­celles expéri­men­tales com­ment se com­por­tent ces hybrides. Mais nous nous tournons aus­si vers des cépages venus de régions plus chaudes (Ital­ie, Grèce) ou qui avaient été délais­sés au XIXème siè­cle, par­fois parce qu’ils n’arrivaient pas à une bonne matu­rité, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui (var­iétés « oubliées », « anci­ennes » ou « autochtones »). L’INAO [l’instance de régu­la­tion des appel­la­tions] autorise désor­mais les vignerons à planter de nou­veaux cépages « acces­soires » pour des raisons cli­ma­tiques (jusqu’à 5% des sur­faces et 10% des vol­umes en appellation).

Le deux­ième domaine d’action con­cerne la con­duite de la vigne et la mod­i­fi­ca­tion des pra­tiques agronomiques : jouer sur la taille ou la den­sité des par­celles pour réduire le stress hydrique ; organ­is­er le feuil­lage peut mieux pro­téger les grappes du soleil ; gér­er le sol, avec l’enherbement ou l’ajout de matière organique, pour favoris­er la réten­tion en eau sur la par­celle ; pra­ti­quer l’a­gro­foresterie viti­cole et la ges­tion des haies autour des par­celles pour cap­tur­er du CO2 et jouer un rôle tam­pon sur le micro­cli­mat. Cela con­cerne égale­ment l’irrigation au goutte à goutte, déjà en développe­ment dans les vig­no­bles du sud de la France, avec des recherch­es qui visent à gér­er l’eau de manière économe, par exem­ple à tra­vers les pro­jets de re-use des eaux de sta­tions d’épuration.

Le troisième levi­er d’action est l’œnologie. On peut en effet cor­riger les effets cli­ma­tiques en désal­coolisant le moût ou le vin grâce à des sys­tèmes de mem­branes, sans mod­i­fi­er la struc­ture et le pro­fil aro­ma­tique du vin, en pas­sant par exem­ple de 15 à 12 degrés d’alcool. On utilise égale­ment des tech­niques d’acidification en extrayant des cations pour faire baiss­er le pH par élec­trol­yse. Ce procédé est déjà autorisé et pra­tiqué notam­ment sur les vins blancs dont la qual­ité est très liée à leur acid­ité. Lors de la vini­fi­ca­tion, la ges­tion des tem­péra­tures est aus­si l’objet d’innovations impor­tantes (glace car­bonique, iso­la­tion) pour lim­iter les risques d’oxydation ou mieux con­trôler la fer­men­ta­tion. Enfin, la sélec­tion de cer­taines lev­ures per­met de dimin­uer un peu l’éthanol et d’augmenter l’acidité. 

Le qua­trième levi­er d’action con­cerne la réor­gan­i­sa­tion des plan­ta­tions dans l’e­space. Au sein d’un même ter­roir, il s’agit de recon­sid­ér­er la diver­sité des sols et des expo­si­tions des par­celles pour ori­en­ter les nou­velles plan­ta­tions, ou bien mon­ter en alti­tude pour trou­ver plus de fraîcheur comme cela se fait dans les vig­no­bles de pied­mont : Banyuls, Ter­rass­es du Larzac, Côtes-du-Rhône. On assiste aus­si à la créa­tion de nou­veaux petits vig­no­bles dans des régions dev­enues plus chaudes, par exem­ple en Bre­tagne (une cen­taine d’hectares), en Pologne, au Dane­mark, et de manière plus sub­stantielle au sud de l’Angleterre, où 1 000 hectares sup­plé­men­taires sont plan­tés tous les ans (vins effer­ves­cents et vins blancs). 

Les solu­tions d’adaptation dans ces qua­tre domaines doivent être accom­pa­g­nées par une évo­lu­tion des règle­men­ta­tions – en par­ti­c­uli­er les cahiers des charges et le zon­age des appel­la­tions – et par des inno­va­tions organ­i­sa­tion­nelles et finan­cières per­me­t­tant une meilleure cou­ver­ture des risques cli­ma­tiques. La prise en compte des attentes des con­som­ma­teurs est aus­si fon­da­men­tale : le vin reste perçu comme une bois­son de nature et de cul­ture, et il faut en tenir compte dans l’évolution dans les inno­va­tions mis­es en œuvre. Mais les solu­tions d’adaptation doivent surtout être com­binées dans des straté­gies cli­ma­tiques à l’échelle des entre­pris­es, des régions, des poli­tiques publiques. Ces straté­gies doivent aus­si inté­gr­er les actions de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, grâce à une opti­mi­sa­tion des con­tenants et de la logis­tique, une économie d’intrants et d’énergies fos­siles ou la ges­tion des déchets, mais aus­si grâce à la cap­ture du car­bone qui peut s’organiser dans les vig­no­bles, en aug­men­tant la matière organique des sols, en végé­tal­isant ou en plan­tant des arbres.

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