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Comment les nouveaux matériaux transforment l’industrie

Des matériaux composites pour alléger les avions

Cécile Michaut, journaliste scientifique
Le 2 février 2021 |
4 min. de lecture
Patricia Krawczak
Patricia Krawczak
professeur en polymères et composites à l’Ecole nationale supérieure  Mines-Télécom Lille Douai
En bref
  • L’industrie aérienne est prête à payer 100 € à 500 € par kilogramme gagné.
  • Les modèles d’avion les plus récents sont composés à environ 50 % de composites.
  • Mais les composites ont atteint un palier, il faut donc de nouveaux matériaux pour réduire le poids des appareils.
  • Patricia Krawczak, professeure à l’ENS Mines-Télécom Lille Douai, explique comment la recherche se tourne vers de nouveaux procédés comme la fabrication additive (impression 3D).

Depuis ses débuts, l’aviation pour­suit une quête sans fin : celle de la légèreté. Depuis les pre­miers engins de Clé­ment Ader ou des frères Wright jusqu’aux avions les plus per­for­mants, la diminu­tion du poids est un critère déter­mi­nant lors de la con­cep­tion. « L’aéronautique est le secteur où le kilo­gramme gag­né se paie le plus cher, env­i­ron cent fois plus que dans l’automobile, » souligne Patri­cia Kraw­czak, pro­fesseure à École nationale supérieure Mines-Télé­com Lille Douai. En moyenne, l’industrie est prête à pay­er 1 euro par kilo­gramme gag­né dans l’automobile, mais 100 € à 500 € par kilo gag­né dans l’aviation civile et jusqu’à 10 000 € par kilo dans le spatial.

Aujourd’hui, la famille des matéri­aux les plus en vue dans cette quête est celle des com­pos­ites. Com­posés de fibres – générale­ment du car­bone – et d’une résine polymère for­mant un liant, les com­pos­ites ont large­ment investi l’aéronautique, au point que les mod­èles d’avions les plus récents comme l’Airbus A380 ou le Boe­ing 787 en sont com­posés env­i­ron de moitié (con­tre 20 % d’aluminium, 15% de titane et 10% d’acier). « On atteint un palier, remar­que Patri­cia Kraw­czak, d’autant plus que les métaux tels que le titane et l’aluminium s’améliorent aus­si. » Les com­pos­ites doivent donc évoluer.

Les promesses des thermoplastiques

Les ingénieurs tra­vail­lent sur plusieurs pistes. Tout d’abord, dimin­uer les coûts de pro­duc­tion. En effet, si les com­pos­ites présen­tent l’avantage d’être légers tout en garan­tis­sant de bonnes per­for­mances mécaniques, leur coût de pro­duc­tion est encore supérieur à leur équiv­a­lent métallique. Pour pro­duire plus vite et moins cher, les ingénieurs s’intéressent aujourd’hui aux polymères dits « ther­mo­plas­tiques ». Con­traire­ment aux polymères « ther­mod­ur­ciss­ables » qui, une fois dur­cis, ne peu­vent plus être ramol­lis et tra­vail­lés, les ther­mo­plas­tiques restent soud­ables, façonnables et même recy­clables. De plus, ils n’émettent pas de com­posés organiques volatiles, des pol­lu­ants gazeux sou­vent toxiques.

Cepen­dant, la fab­ri­ca­tion des com­pos­ites à base de ther­mo­plas­tiques est plus com­pliquée, car ces polymères sont moins flu­ides, et imprèg­nent moins facile­ment les fibres. C’est donc l’ensemble de la chaîne de fab­ri­ca­tion qu’il faut revoir pour que ces matéri­aux puis­sent répon­dre au cahi­er des charges de l’industrie aéro­nau­tique. Mais en cas de suc­cès, cela per­me­t­trait de dimin­uer le nom­bre d’assemblages, de réduire voire de reval­oris­er les rebuts de pro­duc­tion et de mieux recy­cler les pièces en fin de vie.

Fabrication plus souple et plus simple

Aujourd’hui, les pièces com­pos­ites sont générale­ment fab­riquées en auto­claves, sortes de gross­es cocottes min­utes où le com­pos­ite « cuit » sous pres­sion. Le coût de ces élé­ments s’élève à plusieurs cen­taines de mil­liers d’euros pour les appareils les plus per­for­mants, capa­bles de pro­duire des gross­es pièces, à des tem­péra­tures et pres­sions élevées. Le cycle de fab­ri­ca­tion est long, plusieurs heures pen­dant lesquelles l’équipement est immo­bil­isé. « Nous tra­vail­lons sur des procédés hors auto­claves, moins coû­teux et plus sou­ples, par exem­ple par infu­sion ou injec­tion de résine liq­uide directe­ment sur une pré­forme fibreuse, c’est-à-dire un « squelette » de ren­forts fibreux, » indique la chercheuse. Cepen­dant, la sim­pli­fi­ca­tion de la fab­ri­ca­tion ne doit pas se faire au détri­ment de la qual­ité, les pièces doivent alli­er la sécu­rité, la fia­bil­ité, la per­for­mance mécanique, et ce sou­vent à des tem­péra­tures rel­a­tive­ment hautes.

Les com­pos­ites ont d’autres qual­ités. L’une d’elles est la mul­ti­fonc­tion­nal­i­sa­tion : apporter d’autres fonc­tions que les pro­priétés mécaniques. On peut par exem­ple ren­dre les com­pos­ites auto-réparants, en inté­grant des cap­sules qui libèrent des com­posants qui polymérisent, et ain­si « cica­trisent » la pièce endom­magée. Il est égale­ment pos­si­ble d’insérer des cap­teurs et action­neurs dans les com­pos­ites pour sur­veiller le vieil­lisse­ment et l’état de san­té de la pièce ou la déformer sur com­mande. Autres fonc­tions pos­si­bles : la trans­mis­sion de don­nées ou encore la pro­duc­tion d’énergie par pié­zoélec­tric­ité pour ali­menter des objets connectés.

Des pièces en impression 3D

Enfin, grâce à la fab­ri­ca­tion addi­tive (l’impression 3D), il est désor­mais pos­si­ble d’optimiser la forme et la struc­ture des pièces et des com­posants, et de con­cevoir de nou­velles pièces. Les gains envis­agés sont énormes : plus besoin de moule ni de découpe donc moins de gâchis de matière pre­mière. « Aujourd’hui, on sait dépos­er par fab­ri­ca­tion addi­tive du polymère ren­for­cé de fibres coupées ou con­tin­ues, expose Patri­cia Kraw­czak. Ce n’est pas encore démoc­ra­tisé, notam­ment pour les pièces de grande taille, mais des entre­pris­es comme Safran ou Stelia Aero­space y tra­vail­lent. » Cer­tains avions pos­sè­dent déjà des pièces métalliques issues de fab­ri­ca­tion addi­tive qui ont passé tous les tests de qualification. 

Si l’utilisation de nou­velles tech­niques de fab­ri­ca­tion et de ther­mo­plas­tique vise surtout à main­tenir la part de marché des com­pos­ites dans les avions, la révo­lu­tion dans la con­cep­tion peut, quant à elle, faire gag­n­er 20 à 30 % de poids sur les pièces. Un allège­ment non nég­lige­able dans l’objectif de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre.

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