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Comment les satellites « low-cost » transforment le spatial

Des systèmes de propulsion pour des satellites plus durables

Sophy Caulier, journaliste indépendante
Le 27 avril 2021 |
4 min. de lecture
Ane Aanesland
Ane Aanesland
PDG et cofondatrice de ThrustMe
En bref
  • La pollution de l’espace par des débris spatiaux est un problème bien connu des experts du secteur et du grand public.
  • Pour y remédier, l’entreprise ThrustMe a mis au point un moteur électrique destiné à maintenir les satellites en orbite le plus longtemps possible, et à les ramener sur terre en fin de vie.
  • Le carburant choisi : l’iode solide, qui permet de diminuer les coûts par 40 ! 1 million d'euros suffirait ainsi pour propulser une constellation entière.

Vous avez cofondé ThrustMe en 2017 avec Dmytro Rafal­skyi. Quels prob­lèmes cher­chiez-vous à résoudre ?

Ane Aanes­land. Notre but est de faire que l’in­dus­trie du spa­tial, qui est en pleine muta­tion, soit durable sur les plans économique et envi­ron­nemen­tal. Pour cela, nous voulons mieux con­trôler les satel­lites, afin d’éviter les col­li­sions, mais aus­si d’amélior­er leurs déplace­ments en orbite et leur durée de vie, en faisant en sorte qu’ils puis­sent rester en place le plus longtemps possible. 

La mul­ti­pli­ca­tion des con­stel­la­tions pose plusieurs prob­lèmes. Pour que leur coût reste abor­d­able, beau­coup de micro et de nanosatel­lites ne sont pas dotés de moteurs, et ne sont donc pas autonomes. Ils sont placés en orbite basse (entre 350 et 700 km), et à ces alti­tudes, soit ils subis­sent un frot­te­ment qui les fait descen­dre pro­gres­sive­ment, jusqu’à les faire entr­er dans l’at­mo­sphère, où ils brû­lent ; soit ils restent en orbite, où ils meurent. 

Leur durée de vie naturelle varie de façon expo­nen­tielle selon la dis­tance de leur orbite : 7 mois à 300 km, plus de 30 ans à 700 km, et prob­a­ble­ment 100 ans à 1 000 km. Il faudrait donc les équiper d’un sys­tème de propul­sion afin d’augmenter leur longévité en basse alti­tude, et de faire descen­dre ceux en haute alti­tude ayant atteint leur fin de vie. Le prob­lème est que, dans la sit­u­a­tion actuelle, les sys­tèmes de propul­sion aug­menteraient con­sid­érable­ment le coût et la com­plex­ité des satel­lites. ThrustMe a pour ambi­tion de résoudre ce problème.

Quelle solu­tion pro­posez-vous pour con­cili­er les enjeux économiques et environnementaux ?

Nous avons dévelop­pé un sys­tème de propul­sion com­plet, qui intè­gre le moteur, l’élec­tron­ique et le car­bu­rant. Il s’ag­it d’un moteur élec­trique à iode solide dévelop­pé pour des mini-satel­lites (dont la masse est com­prise entre 10 et 100 kg/m). Trois de ces sys­tèmes ont été mis en orbite en 2019 et 2020 par la société chi­noise Space­ty. Les trois sont très dif­férents ; le pre­mier était un Cube­Sat de 6 unités (env­i­ron 12 kg), le deux­ième un microsatel­lite d’environ 50 kg, et le dernier un petit satel­lite de 180 kg. Nous avons testé les dif­férentes fonc­tion­nal­ités de nos sys­tèmes de propul­sion, et les résul­tats sont extraordinaires. 

En quoi votre tech­nolo­gie se dif­féren­cie-t-elle de ce qui existe déjà en matière de propulsion ?

Actuelle­ment, il existe deux caté­gories de propul­sion : chim­ique ou élec­trique. Le sys­tème élec­trique est assez jeune et n’équipe que 20 % des très gros satel­lites. Il est plus effi­cace et plus facile à minia­turis­er que la propul­sion chim­ique, ce qui en fait une solu­tion par­faite pour les micro et les nanosatellites.

Nous avons choisi l’iode comme ergol (le « car­bu­rant » du moteur), car il est pos­si­ble de la stock­er sous forme solide, et qu’il lui faut très peu de chaleur pour être sub­limée en gaz – con­traire­ment au xénon, util­isé par la plu­part des sys­tèmes de propul­sion élec­triques actuels, qui doit être stocké sous haute pres­sion. Le xénon est égale­ment un gaz rare, et dans 5 à 10 ans, la demande sera deux fois supérieure à la capac­ité de pro­duc­tion. Nous avons égale­ment démon­tré en lab­o­ra­toire et directe­ment dans l’espace que l’iode est plus per­for­mante que le xénon à puis­sance égale, ce qui per­met de main­tenir le satel­lite sur la bonne orbite ou d’en chang­er pour le désorbiter.

De plus, pour une con­stel­la­tion de 800 à 1 000 satel­lites, le coût d’achat du xénon s’élève à env­i­ron 40 mil­lions d’eu­ros. SpaceX a opté pour le cryp­ton, ce qui lui per­met de divis­er par 3 le coût de l’er­gol. Mais l’iode divise ce coût par 40. Autrement dit, 1 mil­lion d’eu­ros suf­fit pour propulser une con­stel­la­tion entière. C’est une vraie révolution ! 

Avez-vous des con­cur­rents sur cette technologie ?

Entre 2015 et 2018, plusieurs start-ups se sont lancées dans la propul­sion, car il y avait un vrai manque de solu­tions sur ce sujet. Donc, oui, il y a de la con­cur­rence. Même la NASA a essayé de dévelop­per une solu­tion avec des indus­triels, mais l’iode n’est pas un sujet facile. Elle est cor­ro­sive. Il faut con­naître la chimie, la sci­ence des matéri­aux… Nous avons dévelop­pé une solu­tion de trans­for­ma­tion de l’iode en gaz puis en plas­ma qui, out­re son orig­i­nal­ité, per­met égale­ment de réduire le poids et le coût du sys­tème de propul­sion. Ce n’est pas qu’une affaire d’ingénieurs. Et c’est la force de ThrustMe.

Qu’en­ten­dez-vous par là ?

Nous sommes une société jeune et très petite par rap­port à nos con­cur­rents, nous sommes seule­ment 17 per­ma­nents et quelques sta­giaires. Mais lorsque les sociétés de deeptech dévelop­pent un pro­duit, elles font un « proof of con­cept », et elles voient ensuite com­ment fab­ri­quer ce pro­duit. Nous, nous avons envis­agé la fab­ri­ca­tion de notre sys­tème de propul­sion dès le début du pro­jet. Bien sûr, nous avons des sci­en­tifiques, mais aus­si des ingénieurs en aérospa­tial et en élec­tron­ique. Il était très impor­tant pour nous de recruter des ingénieurs aux côtés de nos sci­en­tifiques dès les débuts de la société. Nous voulons con­tribuer à la révo­lu­tion spa­tiale qui est en cours, nous voulons chang­er les choses et ren­dre le spa­tial plus durable.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Début 2020, nous avons signé notre pre­mier con­trat avec l’E­SA (l’A­gence spa­tiale européenne) relatif au pro­gramme ARTES (Advanced Research in Telecom­mu­ni­ca­tions Sys­tems), qui vise à résoudre les défis spa­ti­aux liés à la mon­tée en puis­sance des con­stel­la­tions de satel­lites. Nous sommes aus­si en train de fab­ri­quer pour un client plusieurs sys­tèmes des­tinés à équiper une con­stel­la­tion d’observation de la Terre.

Nous menons par ailleurs une mis­sion avec l’a­gence spa­tiale de Norvège sur un satel­lite qui sera lancé début 2022. Le but est de démon­tr­er l’évite­ment d’une col­li­sion avec notre moteur élec­trique à faible poussée, le NPT30. C’est la pre­mière mis­sion de ce genre sur un satel­lite com­mer­cial qui embar­que un sys­tème GPS de grande précision. 

Finale­ment, nous par­ticipons aus­si à un pro­jet sci­en­tifique du pro­gramme INSPIRE (Inter­na­tion­al Satel­lite Pro­gram in Research and Edu­ca­tion) avec plusieurs uni­ver­sités qui étu­di­ent laionosphère haute (de 300 à 1000 km). Il s’a­gi­ra de con­trôler la descente d’un satel­lite vers les 300 km et de le main­tenir à cette alti­tude pour étudi­er le réchauf­fe­ment climatique.

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