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Industrie, pénurie, diplomatie : les ricochets de la guerre en Ukraine

Métaux russes : le casse-tête chinois des industriels

Le 25 mai 2022 |
4 min. de lecture
Emmanuel Hache
Emmanuel Hache
adjoint scientifique et économiste-prospectiviste à IFP Énergies nouvelles et directeur de recherche à l’IRIS
En bref
  • La guerre en Russie pourrait impacter le commerce du Palladium, ce métal rare, très utile dans la construction automobile, est principalement exporté par la Russie à hauteur d’environ 37% en 2021.
  • Les autres métaux, dont le poids de la production russe dans le monde est indéniable, sont : le titane (13 % de part de marché), le platine (10,5 %), l’aluminium (5,4 %), le cuivre (4 %), le cuivre raffiné (3,5 %) et le Cobalt (4,4 %).
  • Cette guerre arrive sur un marché des métaux déjà extrêmement tendu. Entre 2020 et 2021 le prix de ces métaux a bondi de 45%. La hausse du nickel est la plus significative avec un prix qui est monté à plus de 100 000$ la tonne avant de redescendre autour des 30 000$ la tonne.
  • A cause de ce conflit, le monde entier est à la recherche de nouveaux partenaires comme l’Australie ou le Canada qui sont des alternatives à la Russie pour beaucoup de métaux.

Quels sont les métaux dont le com­merce est le plus impacté par la guerre en Ukraine ?

Tous les métaux dont la Russie est l’un des prin­ci­paux expor­ta­teurs, ce qui fait une liste rel­a­tive­ment longue. Il est dif­fi­cile de hiérar­chis­er leur impor­tance, même si pour cer­tains, le poids de la Russie dans le marché mon­di­al est si grand qu’ils seront dif­fi­cile­ment rem­plaçables à court terme. C’est notam­ment le cas pour le pal­la­di­um, ce métal rare autant utile au secteur de l’automobile pour les pots cat­aly­tiques qu’à la pro­duc­tion de semi-con­duc­teurs et pour l’électronique grand pub­lic. La Russie en est l’un des prin­ci­paux expor­ta­teurs, et représente 37 % de sa pro­duc­tion mon­di­ale en 2021.

Cepen­dant, la Russie est un vaste pays, riche en matières pre­mières, la diver­sité de métaux présents sur son ter­ri­toire lui donne donc une place impor­tante dans bon nom­bre de secteurs, sans pour autant en être pour tous le pre­mier pro­duc­teur mon­di­al. Le Nick­el russe, par exem­ple, représente 9,2 % de la pro­duc­tion mon­di­ale en 2021. Ce métal est utile à la pro­duc­tion de bat­ter­ies pour les véhicules élec­triques, un secteur en pleine expan­sion, et les pro­duits de con­som­ma­tion courante. L’entreprise russe Nor­nick­el est déjà l’un des plus gros pro­duc­teurs mon­di­aux de nick­el de classe I, ce dernier étant le seul à pou­voir con­venir à la pro­duc­tion des sul­fates de nick­el employés dans la fab­ri­ca­tion de batteries. 

Les autres métaux, dont le poids de la pro­duc­tion russe dans le monde est indé­ni­able, sont : le titane (13 % de part de marché), le pla­tine (10,5 %), l’aluminium (5,4 %), le cuiv­re (4 %), le cuiv­re raf­finé (3,5 %) et le Cobalt (4,4 %). Si l’on ne peut juste­ment pas dire lequel de ces métaux impactera le plus le com­merce mon­di­al, c’est qu’ils ont cha­cun une impor­tance pro­pre à leurs fonc­tions. La Russie ne représente par exem­ple que 4,4 % de la pro­duc­tion de Cobalt, mais mal­gré cette part au demeu­rant assez faible à pre­mière vue, elle fait de la puis­sance russe le deux­ième pro­duc­teur au monde de ce métal — un marché dom­iné par la République démoc­ra­tique du Con­go avec env­i­ron 70 % de la pro­duc­tion mondiale. 

La crise san­i­taire a créé de fortes ten­sions sur la demande de matières pre­mières. Faut-il s’attendre à une aggra­va­tion de ces tensions ?

Les métaux cités sont utiles pour une mul­ti­tude de secteurs. Les trois secteurs les plus impor­tants restent l’automobile, l’aéronautique et le secteur des semi-con­duc­teurs. L’automobile est celui qui en souf­frira sûre­ment le plus car il néces­site beau­coup de métaux dif­férents. Ain­si, l’aluminium, le cuiv­re, le pla­tine et le pal­la­di­um sont tous utiles à la fab­ri­ca­tion d’automobiles à propul­sion ther­mique, notam­ment pour les pots cat­aly­tiques. Pour les véhicules élec­triques, le cobalt et le nick­el sont indis­pens­ables aux bat­ter­ies. Déjà entravé par la pénurie de puces élec­tron­iques depuis sep­tem­bre 2021, le secteur auto­mo­bile alle­mand a déjà sus­pendu des lignes de pro­duc­tion en rai­son d’un prob­lème d’approvisionnements de ses sous-trai­tants en Ukraine et la sit­u­a­tion pour­rait s’aggraver. L’aéronautique dépend égale­ment des métaux russ­es, et en par­ti­c­uli­er des éponges de titane. Les prin­ci­paux groupes aéro­nau­tiques ont pour prin­ci­pal four­nisseur la société russe VSM­PO-Avis­ma (env­i­ron 30 % du marché mon­di­al du titane), seul Boe­ing a pour le moment décidé de met­tre fin à ses réap­pro­vi­sion­nements. Cette société four­nit env­i­ron 50 % des impor­ta­tions de l’aéronautique mon­di­al et légère­ment moins pour les acteurs français. Dans ce secteur, les indus­triels ont par pré­cau­tion con­sti­tué des stocks qui leur per­me­t­tent de gér­er une prob­lé­ma­tique de pénurie à court terme.

Pour ce qui est des semi-con­duc­teurs, leur pro­duc­tion demande deux ressources prin­ci­pales, le pal­la­di­um et le gaz néon, ce dernier étant pro­duit à 50 % en Ukraine. Les deux entre­pris­es prin­ci­pales, Ingas et Cry­oin, ont déjà fer­mé leurs sites. On peut donc s’attendre à de grandes dif­fi­cultés pour ce secteur.

Les prix aug­mentent-ils en rai­son d’une offre réelle­ment insuff­isante ou d’une antic­i­pa­tion de sanc­tions à venir ?

À l’heure actuelle, aucune sanc­tion n’a été mise en place pour le marché des min­erais russ­es. Mais les autres sanc­tions affectent le marché : la logis­tique néces­saire à leur achem­ine­ment est per­tur­bée, et la sus­pen­sion du sys­tème SWIFT pour de nom­breuses ban­ques freine les échanges. Ces per­tur­ba­tions ont un impact sur les prix. Le nick­el a subi une vari­a­tion très impres­sion­nante. En quelques jours, son prix à la tonne est passé de 25 000 à 50 000 $, avant d’atteindre les 100 000 $ quelques jours après, avant une sus­pen­sion des cours, puis un retour à env­i­ron  50 000 $ la tonne et une diminu­tion à env­i­ron 30 000 $ la tonne le 21 mars dernier

En out­re, cette guerre arrive sur des marchés déjà extrême­ment ten­dus. Entre 2020 et 2021, les prix des métaux ont bon­di de 45 % en moyennes (tous métaux con­fon­dus), en rai­son d’une reprise économique extrême­ment forte suite à la pandémie de covid 19 dans un con­texte de ten­sions du côté de l’offre. Aujourd’hui, il n’y a pas encore de pénurie, les hauss­es de prix s’expliquent en majeure par­tie par les antic­i­pa­tions des acteurs et les primes de risque géopoli­tique. La crainte de nou­velles sanc­tions joue aus­si un rôle dans cette vari­a­tion des prix.

Les pays occi­den­taux peu­vent-ils sub­stituer les métaux importés de Russie par d’autres sources d’approvisionnement ?

Tout dépend du poids de la Russie dans la pro­duc­tion mon­di­ale de ces métaux. Pour le pal­la­di­um (37%), il sem­ble com­pliqué de la rem­plac­er à court terme, même si l’Afrique du Sud reste le pre­mier pro­duc­teur mon­di­al de cette ressource (40 %). Ce qui est cer­tain, c’est que tout le monde est à la recherche de nou­veaux four­nisseurs. De nom­breux pays, comme le Cana­da ou l’Australie par exem­ple, offrent une diver­sité aus­si large de métaux que celle de la Russie. Toute­fois, pour cer­tains métaux spé­ci­fiques les ques­tions de disponi­bil­ité à court terme pour­raient se poser.

La Chine a un poids impor­tant dans les expor­ta­tions de titane, la République démoc­ra­tique du Con­go domine le marché du Cobalt, et le Chili nous donne accès au Cuiv­re. Les four­nisseurs ne man­quent donc pas for­cé­ment, mais retir­er la Russie de l’équation fera for­cé­ment dimin­uer l’offre, alors que la demande pour l’instant ne flé­chit pas.

Le poids des métaux est-il com­pa­ra­ble à celui du gaz dans les expor­ta­tions russes ?

Les expor­ta­tions de min­erais et de métaux représen­tent env­i­ron 8,5 % des marchan­dis­es exportées de la Russie en 2020 selon la Banque mon­di­ale (6 % en 2019), quand celles d’hydrocarbures plus de 42 % en 2020 (52 % en 2019). Les métaux sont donc bien moins stratégiques pour la Russie que les hydrocarbures.

Propos recueillis par Pablo Andres

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