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« La population mondiale pourrait décroître à partir de 2065 »

Hervé Le Bras
Hervé Le Bras
directeur d'études en démographie à l'EHESS et directeur de recherche émérite à l'Ined

Le démo­graphe autrichien Wolf­gang Lutz prévoit un déclin de la pop­u­la­tion mon­di­ale à par­tir de 2065 alors que l’on par­le plus volon­tiers de « péril démo­graphique » à l’horizon 2050. Que peut-on dire de l’évolution de la pop­u­la­tion à long terme ?

Si l’on observe l’évo­lu­tion du taux de crois­sance annuelle de la pop­u­la­tion, il cul­mine à 2,1% en 1975 (soit un dou­ble­ment tous les 33 ans) puis décroît jusqu’à 1% aujourd’hui et pour­rait s’annuler vers 2065, date à laque­lle la pop­u­la­tion com­mencerait alors à diminuer. 

Néan­moins, au-delà de 2050, les erreurs du passé nous invi­tent à manier les prévi­sions avec pru­dence. Par exem­ple, en 1994, la divi­sion de la Pop­u­la­tion des Nations-Unies pro­je­tait 163 mil­lions d’Iraniens à l’horizon 2050 et en prévoit désor­mais 103 mil­lions après être descen­due à 94 mil­lions en 2014. Entre-temps, la fécon­dité est passée de 6,5 enfants par femme à 1,7, puis remon­tée à 1,9. Même con­stat pour la France qui en 1994 devait attein­dre 60 mil­lions d’habitants en 2050 et qui en pro­jette désor­mais 74 mil­lions. La hausse de la natal­ité de la fin des années 1990 a mal été anticipée, tout comme le sol­de migratoire.

La prévi­sion médi­ane des Nations-Unies table sur une crois­sance con­tin­ue jusqu’en 2100 et une pop­u­la­tion de 11,2 mil­liards d’individus à cette date. Faut-il douter de cette prévi­sion au regard des travaux de Wolf­gang Lutz ?

Il y a plusieurs raisons qui nous poussent à en douter. Les Nations-Unies prévoient une baisse lente de la fécon­dité en Afrique intertrop­i­cale (entre le Sahara et le Zam­bèze) alors que cette zone con­cen­tre un quart de la crois­sance de la pop­u­la­tion mon­di­ale et qu’elle en con­cen­tr­era les trois quarts en 2050. Par exem­ple, les Nations-Unies prévoient que le Niger, cham­pi­on du monde la fécon­dité, passera de 7,3 enfants par femme à 4 en 2050 et à 2,5 en 2100. Or, des baiss­es bien plus rapi­des se sont pro­duites dans un passé récent. Entre 1985 et 2005, la fécon­dité a été divisée par deux en Afrique du Sud, de 5 à 2,6 enfants par femme et elle est passée de 6,5 à 1,9 en Iran sur la même période. 

Pro­jec­tion de l’evo­lu­tion de la pop­u­la­tion mon­di­ale jusqu’en 2100 © ONU

Deux­ième élé­ment, l’ONU prévoit des baby-booms dans plusieurs pays où la fécon­dité est très basse, comme la Corée du Sud (0,98) ou Sin­gapour (1,14). Lorsque la fécon­dité est inférieure à 1,3 enfant par femme, les Nations-Unies prévoient sys­té­ma­tique­ment une remon­tée à 1,5 pour 2050, puis à 1,7 ou 1,8 vers 2100. On observe effec­tive­ment des remon­tées de fécon­dité après de fortes baiss­es. On peut citer le cas des anciens pays du bloc de l’Est qui ont con­nu une forte baisse de fécon­dité liée au recul de l’âge du pre­mier enfant (de 23 à 28 ans). Mais une fois la tran­si­tion ter­minée, on observe un retour à la nor­male et donc une légère hausse, qui reste cepen­dant mod­érée. En Pologne, on est passé de 1,24 enfant par femme en 2004 à 1,41 en 2011 et en Hon­grie de 1,25 à 1,39 de 2011 à 2016. Puis la fécon­dité est retombée. Ces effets mécaniques sont insuff­isants pour jus­ti­fi­er les prévi­sions de l’ONU. 

La fécon­dité est-elle mal estimée ?

Dans l’ensemble, la baisse de la fécon­dité est assez mal anticipée. Les deux tiers de la pop­u­la­tion mon­di­ale vivent dans un pays où la fécon­dité est inférieure à deux enfants par femme. En Amérique latine, le pays – ou dis­ons la région – qui a la fécon­dité la plus élevée est la Guyane française ! Le Brésil est passé de 6,5 enfants par femme à 1,7 en 40 années. 

Enfin, les deux pays les plus peu­plés, la Chine et l’Inde, con­nais­sent une baisse rapi­de de la fécon­dité. En Inde, elle est déjà de 2,3 enfants par femme et dans 23 États sur 36 en dessous de 2,1. En Chine, l’abandon de la poli­tique de l’enfant unique en 2017 a généré une légère hausse qui est depuis totale­ment retombée. Mais, encore une fois, la tran­si­tion démo­graphique a un effet retard. La Chine, pour repren­dre cet exem­ple, ne con­naî­tra une décrois­sance de sa pop­u­la­tion qu’à par­tir de 2032.

Voyez-vous d’autres caus­es de sures­ti­ma­tion de la crois­sance démographique ?

Oui, la baisse de la mor­tal­ité sem­ble sures­timée. Celle-ci con­tribue au boom démo­graphique puisque les gens vivent plus longtemps. Or, depuis cinq ans, l’âge moyen de la mort a aug­men­té net­te­ment plus lente­ment dans les pays dévelop­pés. Par­mi les caus­es pos­si­bles, on cite l’obésité, la dégra­da­tion de l’en­vi­ron­nement et les iné­gal­ités. Pour autant, l’ONU table sur un gain de cinq années de vie d’ici 2030 dans ces pays. Cela sem­ble très optimiste. 

Pro­jec­tion des nais­sances et des morts de la pop­u­la­tion mon­di­ale jusqu’en 2100 © ONU

Quelle sera la pop­u­la­tion mon­di­ale en 2100 ?

Elle n’atteindra pas les 11 mil­liards, elle va plutôt vers les 10 mil­liards. On peut dire que l’explosion démo­graphique est presque ter­minée. Le moment de l’explosion des années 1990 et 2000 est der­rière nous et la décrue arrivera plus tôt qu’on ne le pense.

Quelles peu­vent être les con­séquences de ce déclin démographique ?

Je vois deux évo­lu­tions socié­tales majeures. Le recul néces­saire du départ à la retraite dans les pays qui ont un sys­tème de retraite (afin de per­me­t­tre son main­tien), et l’entrée en activ­ité pro­fes­sion­nelle des femmes dans les pays où leur taux d’activité est faible. Dans les deux cas, cela sup­pose une évo­lu­tion des men­tal­ités. On le voit en France avec la retraite. Le philosophe Mar­cel Gauchet par­le du « moment social­iste » de la vie : du temps libre, de l’argent et plus de patron ! Beau­coup de per­son­nes ne veu­lent pas y renoncer. 

Quant aux coûts de san­té, ils sont en réal­ité con­cen­trés sur les derniers mois de la vie des gens. Le recul de la mor­tal­ité repousse les coûts de san­té plus qu’il ne les accroît, toutes choses égales par ailleurs. 

Propos recueillis par Clément Boulle

Auteurs

Hervé Le Bras

Hervé Le Bras

directeur d'études en démographie à l'EHESS et directeur de recherche émérite à l'Ined

Diplômé de l’Ecole polytechnique (X63), Hervé Le Bras est directeur d’études à l’EHESS, directeur de recherches émérite à l’Ined, chaire « Territoires et populations » du Collège d’études mondiales de la FMSH, fellow de Churchill College (Cambridge). Hervé Le Bras a dirigé le Laboratoire de démographie historique (CNRS) et a présidé le conseil scientifique de la DATAR. Il est l’auteur d’une soixantaine d’ouvrages dont Naissance de la mortalité (Gallimard), The Nature of Demography (Princeton U. P.).

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