Accueil / Chroniques / Liban : comprendre les défis politiques et humains
Lebanon
Généré par l'IA / Generated using AI
π Géopolitique

Liban : comprendre les défis politiques et humains

Photo personnelle_ADAHER
Aurélie Daher
maîtresse de conférence en science politique à l’Université Paris-Dauphine PSL
En bref
  • Après 2 ans de gel du pouvoir, le Liban a depuis janvier 2025 un nouveau président, Joseph Aoun, et depuis peu un nouveau chef du gouvernement, Nawaf Salam.
  • Si ces élections ont permis de remporter des batailles (réforme du secteur bancaire), le Liban reste dépendant d’aides extérieures pour son rétablissement.
  • Les sièges au Parlement sont alloués à des communautés selon des quotas arrêtés en 1990, et ne sont pas représentatifs des partis les plus populaires du pays.
  • Aujourd’hui, Israël dispose toujours d’une liberté totale dans ses attaques contre le territoire libanais, contre sa population et contre ses infrastructures.
  • La communauté internationale n’a présenté pour le moment aucun plan efficace pour aider le Liban à répondre aux enjeux du surnombre de réfugiés dans le pays.

Après deux ans de vacance du pouvoir, en janvier 2025 le Liban a de nouveau un président, Joseph Aoun. Peu après, Nawaf Salam, ancien président de la Cour internationale de justice, est désigné chef du gouvernement. Ces deux nominations marquent-elles la fin d’un blocage politique ?

Aurélie Daher. Effec­tive­ment, le siège prési­den­tiel était inoc­cupé depuis novem­bre 2022, depuis la fin du man­dat d’un autre Aoun, Michel de son prénom. Le prési­dent de la République au Liban n’est pas élu au suf­frage uni­versel, mais par le Par­lement. En pra­tique, les députés for­malisent à tra­vers leurs votes les choix arrêtés en dehors de l’Hémicycle, par une oli­garchie mul­ti­con­fes­sion­nelle et de divers­es obé­di­ences idéologiques. Or, cette oli­garchie a été inca­pable de s’entendre sur un can­di­dat. Le gou­verne­ment souf­frait depuis deux ans d’un statut d’expéditeur des affaires courantes, non autorisé à pren­dre de nou­velles déci­sions, dans une série de con­textes où l’exécutif aurait pour­tant eu besoin de dis­pos­er d’une marge de manœu­vre véritable.

L’élection de Joseph Aoun à la tête de l’État et la nom­i­na­tion de Nawaf Salam à celle du gou­verne­ment ont per­mis de remet­tre l’action insti­tu­tion­nelle sur les rails. Cette dou­ble nom­i­na­tion a sus­cité dans beau­coup de milieux de grands espoirs. Les plus opti­mistes ont trans­féré sur les deux hommes une série d’attentes ambitieuses. Par­mi elles, un assainisse­ment des insti­tu­tions économiques du pays, à com­mencer par celui du sys­tème ban­caire, tenu respon­s­able de la crise effroy­able qui a frap­pé le pays en 2019. La fin de l’influence d’une cer­taine classe poli­tique et la délégiti­ma­tion de la mis­sion armée du Hezbol­lah font égale­ment par­tie des espérances pro­jetées sur la nou­velle équipe.

Depuis cette remise en route politique, des victoires ont-elles été remportées ?

Quelques pre­mières batailles, au poten­tiel réelle­ment impac­tant, ont été rem­portées, notam­ment au niveau de la réforme du secteur ban­caire. Pour autant, le Liban reste trag­ique­ment dépen­dant des aides extérieures pour réus­sir son rétab­lisse­ment, et le retard à la matéri­al­i­sa­tion de sou­tiens sig­ni­fi­cat­ifs à ce niveau reste, à la fin du print­emps 2025, très pénalisant.

La recon­struc­tion des par­ties du Liban affec­tées par la guerre israéli­enne de l’automne 2024 n’a pas encore démar­ré. Le con­texte région­al n’aide pas, puisque le pays vit tou­jours sous la men­ace de l’armée israéli­enne, qui entrave sys­té­ma­tique­ment toute ini­tia­tive de réha­bil­i­ta­tion des zones sin­istrées. Par son action diplo­ma­tique, Tel-Aviv s’appuie sur le duo améri­cano-saou­di­en – sous la tutelle duquel est placé Bey­routh depuis la sig­na­ture du cessez-le-feu de novem­bre dernier – pour blo­quer les ini­tia­tives de sou­tien en prove­nance de gou­verne­ments « non agréés ». À titre d’exemple, l’Iran et l’Irak se sont offi­cielle­ment avancés pour pren­dre à leur charge les frais de la recon­struc­tion. Mais Israël comme l’Arabie saou­dite inter­dis­ent au gou­verne­ment libanais d’accepter ces propo­si­tions, soucieux de priv­er les deux grands pays chi­ites de la région – et le Hezbol­lah par exten­sion – de div­i­den­des de pop­u­lar­ité auprès des Libanais. 

Les épisodes de vio­lence orchestrés par Israël ont égale­ment pour effet de nuire à l’économie libanaise en frap­pant de plein fou­et le tourisme (source de ren­trées fon­da­men­tale) ain­si que les investisse­ments intérieurs comme extérieurs.

Un parlementaire chiite déclarait en avril 2025 que « personne ne devrait sous-estimer la puissance et la base populaire de la résistance et du Hezbollah, celui-ci étant toujours le plus grand parti au niveau populaire dans ce pays1». Qu’en est-il réellement ?

C’est un des angles morts des réc­its opti­mistes. Une grande par­tie des ultra-ent­hou­si­astes de la « nou­velle ère » présidée par le duo Aoun-Salam font abstrac­tion de don­nées soci­ologiques bien réelles – que ce soit par mécon­nais­sance du ter­rain ou par déni. Leurs lec­tures oublient que la représen­ta­tion insti­tu­tion­nelle des com­posantes de la vie poli­tique n’est pas fidèle aux poids de cha­cune au sein de la société. Nous sommes en sys­tème « conso­ci­atif », les sièges au Par­lement sont alloués aux com­mu­nautés selon des quo­tas arrêtés en 1990, date à laque­lle leur redéf­i­ni­tion avait été cri­tiquée, à l’époque déjà, comme périmée. 

Trente-cinq ans plus tard, la com­mu­nauté chi­ite, dont la taille n’a cessé de croître depuis la créa­tion du Liban en 1920, représente désor­mais plus de la moitié de la société. Pour­tant, elle doit se con­tenter de 27 sièges sur un total de 128, soit 20 % du lég­is­latif. À titre com­para­tif, les chré­tiens (toutes dénom­i­na­tions et idéolo­gies con­fon­dues) y siè­gent à 50 % pour une part estimée au mieux à un tiers de la pop­u­la­tion totale.

Ce qui explique le com­men­taire du Hezbol­lah, qui souhaite rap­pel­er que le pre­mier par­ti du pays n’est pas celui qui a le plus de députés, mais celui qui béné­fi­cie du sou­tien d’une plus grande par­tie de la pop­u­la­tion. Or, le fait est que, mal­gré les destruc­tions et tragédies humaines qui ont ciblé avant tout et essen­tielle­ment les chi­ites, la majorité de ceux-ci – sans compter une part non insignifi­ante des autres com­mu­nautés –, accorde tou­jours sa con­fi­ance au par­ti, plus par­ti­c­ulière­ment dans un con­texte où Israël con­tin­ue de frap­per le Liban à sa guise, sans que l’armée libanaise ne puisse y faire quoi que ce soit.

Au mois de févri­er dernier, la présence mas­sive de per­son­nes (aux alen­tours d’un mil­lion et demi) aux funérailles de l’ancien secré­taire général du Hezbol­lah, Has­san Nas­ral­lah, assas­s­iné en sep­tem­bre 2024, ain­si que les élec­tions munic­i­pales du print­emps 2025, dans le cadre desquelles le Hezbol­lah a engrangé d’excellents résul­tats, sont des illus­tra­tions explicites de ce main­tien de la pop­u­lar­ité du parti. 

La représentante des Nations unies pour le Liban, Jeanine Hennis-Plasschaert, estimait en février 2025 qu’un nouveau chapitre plus radieux s’ouvrait pour le pays. Des indicateurs sont-ils effectivement encourageants malgré un contexte régional incertain ? 

C’est le souhait de tous les Libanais, pour autant, tous les indi­ca­teurs ne vont pas dans ce sens. Israël, pour com­mencer, dis­pose d’une lib­erté totale dans ses attaques con­tre le ter­ri­toire libanais, con­tre sa pop­u­la­tion, con­tre ses infra­struc­tures. Le pré­texte de prévenir une remise en selle du Hezbol­lah est fal­lac­i­eux, l’armée israéli­enne cible tout autant des civils, des bâti­ments et des cen­tres économiques. Cela entrave lour­de­ment un vrai rétab­lisse­ment du pays.

Dans la même veine, la tutelle améri­cano-saou­di­enne est une con­tra­dic­tion de fait avec l’objectif annon­cé d’un rétab­lisse­ment de la sou­veraineté des Libanais dans la ges­tion de leurs affaires internes, ce qui atteint le gou­verne­ment dans sa crédi­bil­ité. Le refus de ce dernier, par ailleurs, de con­trôler l’expression publique, aujourd’hui sur­in­vestie par une extrême-droite portée par les anciens des Forces libanais­es (FL), mil­ice chré­ti­enne la plus vio­lente de l’histoire de la guerre civile (1975–1990), par­ticipe à la crispa­tion des rela­tions inter­com­mu­nau­taires. En effet, les FL, qui inter­prè­tent la sit­u­a­tion actuelle comme un « retour de leur heure de gloire », déversent énergique­ment dans plusieurs médias (L’Orient-Le Jour, MTV…) un racisme anti-chi­ite décom­plexé, par­fois ouverte­ment vio­lent, qui sabote les efforts à portée transcon­fes­sion­nelle et nationale.

Les inquié­tudes com­mu­nau­taires sont égale­ment ali­men­tées par la ques­tion des réfugiés, dont la ges­tion fait du sur­place depuis des années. Aujourd’hui, on éval­ue le nom­bre de réfugiés dans le pays à un ratio de 1 (réfugié) pour 2,5 (Libanais). En par­ti­c­uli­er, cohab­itent aujourd’hui sur le ter­ri­toire au moins un mil­lion, voire un mil­lion et demi de Syriens. Plus de trois cent mille pro-Assad sont arrivés depuis décem­bre 2024, après la chute du régime, ce qui a aggravé une crise human­i­taire déjà aigüe. Et cela, sans que les anti-Assad, présents depuis le début des années 2010, n’aient sig­ni­fica­tive­ment rejoint leur pays. Cer­taines par­ties au Liban, chi­ites et chré­ti­ennes, voient en ces derniers de poten­tiels sym­pa­thisants des groupes wah­habites vio­lents affil­iés au régime syrien de Chareh, notam­ment ceux qui se sont ren­dus respon­s­ables des mas­sacres dans le nord-ouest de la Syrie au mois de mars. Ce qui provoque une ambiance de sus­pi­cion généralisée. 

Un optimisme à nuancer

La com­mu­nauté inter­na­tionale n’a pour le moment présen­té aucun plan effi­cace pour aider le Liban à gér­er ce surnom­bre de réfugiés, qui lui pose à la fois de grands défis économiques et soci­aux, mais aus­si poli­tiques et sécu­ri­taires. La sit­u­a­tion au Liban est loin d’être rose, et le chemin vers un « nou­veau chapitre radieux » est encore bien long et bien sinueux.

Propos recueillis par Alicia Piveteau
1https://​www​.lori​entle​jour​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​1​4​5​7​7​7​2​/​l​e​-​h​e​z​b​o​l​l​a​h​-​p​a​r​t​i​-​l​e​-​p​l​u​s​-​p​o​p​u​l​a​i​r​e​-​c​e​r​t​a​i​n​s​-​v​i​v​e​n​t​-​s​u​r​-​u​n​e​-​a​u​t​r​e​-​p​l​a​n​e​t​e​-​f​u​s​t​i​g​e​n​t​-​l​e​s​-​f​l​.html

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir notre newsletter