IA : la montée en puissance de l’Inde et des pays du Golfe
- Des acteurs étatiques comme les Émirats arabes unis, l’Inde ou encore l’Arabie saoudite prennent une part croissante dans la course à l’intelligence artificielle (IA).
- Les Émirats arabes unis se sont vite hissés à la 5e place des classements internationaux en matière d’IA, mais manquent encore d’infrastructures souveraines.
- L’Arabie saoudite pose les fondations de sa stratégie en recentrant ses objectifs sur le territoire national, avec la volonté de développer un hub local et d’attirer des talents.
- L’Inde forme un grand nombre de chercheurs en IA, et ses différents États sont appelés à contribuer à l’élaboration des politiques nationales via des mécanismes de coordination.
- Si l’on observe les classements des pays les plus avancés dans le développement de leurs capacités en IA, près de la moitié du top 10 est occupée par des pays émergents.
Pour rejoindre officiellement la course à l’IA, plusieurs États ont fait part de leurs ambitions en publiant, autour de 2018, leur première stratégie nationale. Plus ou moins exhaustives ou sectorielles, ces feuilles de route tendent à se ressembler bien que ces acteurs émergents disposent de ressources et d’une structure économique singulière. Les stratégies sont appelées à s’affiner progressivement, au fur et à mesure des publications et selon l’évolution des contextes nationaux.
Émirats arabes unis. Une stratégie pour l’IA ou de nouvelles formes de dépendance ?
Jean-François Gagné. Nouveau joueur apparu à la fin des années 2010, les Émirats arabes unis (EAU) se sont rapidement positionnés à la 5e place des classements internationaux (2023 Global AI Vibrancy Ranking). Deux principaux atouts expliquent cette progression : les investissements publics injectés dans la recherche et le développement, et une force d’attraction pour faire venir sur leur sol les talents internationaux. Pour mettre en œuvre leur programme, un ministère consacré uniquement à l’IA a été créé dès 2017 – l’un des premiers au monde –, dirigé par Omar Sultan Al Olama, présent au classement des cent personnalités les plus influentes du secteur, selon le TIME Magazine. Plus récemment, Abou Dabi a frappé les esprits en déclarant que l’écriture des lois s’effectuerait désormais grâce à l’IA. Au-delà de l’effet d’annonce et des incertitudes, le projet traduit une certaine ambition nationale.
Par ailleurs, pour un État dont l’économie reste largement tributaire des revenus pétroliers, investir dans l’IA fait partie d’un processus de diversification. Le pari sera-t-il gagnant ? Des sommes colossales sont injectées dans des projets à haut risque, mais de nombreuses inconnues demeurent quant aux résultats à en attendre. Malgré ses ambitions, l’État du Golfe n’a pas les ressources en matière d’infrastructures, il reste à tous les niveaux dépendant de l’extérieur pour développer ses capacités. Il faut rappeler qu’à l’exception des géants chinois ou états-uniens, très peu de pays sont capables d’être indépendants en matière d’IA, car aucun d’entre eux ne possède la panoplie complète des ressources nécessaires. Dans cette optique, la Chine a redoublé d’efforts pour s’implanter via des grandes compagnies installées à Abou Dabi. Pour autant, les élites politiques et économiques cherchent à conserver le dialogue avec l’ensemble des acteurs, États-Unis inclus. À ce titre, le fonds émirati MGX, proche du pouvoir, a participé financièrement au projet colossal Stargate, annoncé par Donald Trump en janvier 2025.
Arabie saoudite. Avec l’ambition de devenir l’un des leaders de l’IA d’ici 2030, l’Arabie saoudite a elle aussi publié sa Stratégie nationale pour les données et l’IA. En quoi se différencie-t-elle de sa voisine émiratie ?
Pour son entrée dans la course à la fin des années 2010, la monarchie saoudienne avait retenu l’attention mondiale en donnant pour la première fois la citoyenneté à une humanoïde dénommée Sophia. Une fois l’effet médiatique passé, en 2020, Riyad pose les jalons de sa stratégie en plaçant ses objectifs à l’intérieur du pays, à l’inverse des EAU qui misent massivement sur les investissements directs étrangers. Le prince saoudien Mohammed ben Salmane souhaite internaliser les différents leviers économiques liés à l’IA en développant un hub sur le territoire, tout en attirant les investissements et les ressources humaines. À long terme, cette vision pourrait se révéler fructueuse.

Sur le plan des partenariats, si l’Arabie saoudite reste étroitement liée aux États-Unis, en témoigne la dernière visite de Donald Trump en mai 2025 conclue par l’annonce de contrats technologiques, elle reste ouverte au dialogue avec la Chine. Cela étant, à 5 ans de l’échéance fixée par la Vision 2030, le royaume est encore loin du statut de leader dans le secteur. Selon les différents classements internationaux, il se situe autour du 25e rang, au même niveau que la Malaisie ou l’Australie.
Inde. Le Premier ministre indien Narendra Modi entend mener la « révolution de l’intelligence artificielle ». Qu’en est-il réellement ?
L’Inde est à présent un joueur majeur sur le terrain de l’IA et se différencie des deux États du Golfe présentés précédemment par ses capacités locales en recherche et développement, avec un bassin de talents qualifiés considérable. Grâce à la taille de sa population et son système d’éducation, le pays forme de nombreux chercheurs de pointe qui contribuent aux dernières avancées de cette technologie en constante évolution. Tout ceci en reposant sur sa diaspora technologique, bien intégrée aux grandes entreprises technologiques américaines qui ont créé des centres de recherche et développement dans le pays.
L’une des particularités de sa stratégie est l’approche ascendante. En d’autres termes, les différents États indiens sont appelés à contribuer à l’élaboration des politiques au niveau national à travers différents mécanismes de coordination (notamment NITI Aayog). Loin du modèle américain hyper-décentralisé, ou inversement, du modèle chinois où tout se décide en haut lieu, New Delhi mise dans une certaine mesure sur une stratégie de construction. L’accent est également mis sur le respect et la préservation de la diversité culturelle et linguistique des différentes régions indiennes dans la recherche et le développement des systèmes IA. Toutefois, en Inde aussi les défis restent nombreux, avec la question des infrastructures technologiques en tête des préoccupations, notamment l’enjeu des superordinateurs et des centres de données.
Vers un élargissement des acteurs ?
Dans ce panel, plus discret mais prometteur, Singapour se démarque par des bases solidement établies en matière d’infrastructures, une stratégie cohérente et une position à l’avant-garde sur la recherche et développement, en particulier au niveau de la ville intelligente. Par ailleurs, le pays favorise des modèles en accès libre, contrairement aux États Unis qui optent davantage pour des modèles propriétaires.
Plus globalement, si l’on regarde les classements des pays les plus avancés dans le développement de leurs capacités, une tendance est notable : près de la moitié du top 10 est occupée par des pays émergents (2023 Global AI Vibrancy Ranking). Dans une compétition relevant de technologies sophistiquées, cette tendance peut traduire une nouvelle forme de démocratisation de l’IA. Cette catégorie d’acteurs jouera probablement un rôle de plus en plus décisif, et leur montée en puissance questionne sur les recompositions à venir dans le paysage international de l’IA.
Enfin, les États ne sont pas les seuls maîtres du jeu. Des forces majeures sont exercées par les entreprises américaines, qui ont acquis des valeurs boursières équivalentes à certains PIB du G7. À titre d’exemple, Amazon investit autant que la France en matière de R&D. Ces géants sont devenus des acteurs indispensables dans tous les forums internationaux et bénéficient d’une structure tentaculaire – là où la structure chinoise demeure encore limitée dans son déploiement international.