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Jumeaux numériques : quels débouchés pour l'industrie ?

Modéliser la mer permet des avancées dans le domaine maritime

Anders Thorin, ingénieur-chercheur au Laboratoire de Simulation Interactive du CEA List
Le 31 janvier 2023 |
4 min. de lecture
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Anders Thorin
ingénieur-chercheur au Laboratoire de Simulation Interactive du CEA List
En bref
  • Un jumeau numérique est la numérisation d’un objet ou d’un environnement donné, avec lesquels on peut interagir dans le cas d’un jumeau numérique interactif.
  • Le logiciel CETO utilise cette technologie pour répondre à des problématiques qui se posent dans le milieu de l’industrie maritime.
  • Un jumeau numérique permet de valider des scénarios avant d’enclencher leur application dans le monde physique.
  • Le jumeau numérique apporte trois avantages majeurs : le coût, la sécurité et la reproductibilité.
  • Les jumeaux numériques permettent de prévoir des scénarios, mais peuvent également servir à la formation du personnel en toute sécurité.

Un jumeau numérique est la numéri­sa­tion d’un envi­ron­nement don­né : cette déf­i­ni­tion très générale englobe un grand nom­bre de cas très var­iés. Les jumeaux numériques inter­ac­t­ifs, per­me­t­tent à un humain d’interagir avec l’environnement virtuel, grâce à des cap­teurs de suivi, des organes des com­man­des (joy­stick, manettes, etc.) ou des inter­faces à retour d’effort (inter­faces hap­tiques). Ces out­ils sont inter­dis­ci­plinaires à plusieurs titres : par leurs domaines d’application (médecine, indus­trie mar­itime, etc.) et par les sci­ences qu’ils mobilisent  (mécaniques, ther­miques, biologiques, etc.). 

Les jumeaux numériques inter­ac­t­ifs, per­me­t­tent à un humain d’interagir avec l’environnement virtuel.

Anders Thorin, ingénieur-chercheur au Lab­o­ra­toire de Sim­u­la­tion Inter­ac­tive du CEA List, tra­vaille au sein de l’équipe qui développe le logi­ciel XDE Physics depuis une ving­taine d’années. Ce logi­ciel, qui per­met la créa­tion de jumeaux numériques dans le domaine de la robo­t­ique, a intéressé l’entreprise Tech­nip Ener­gies pour des pro­jets dans l’industrie mar­itime. Les chercheurs ont alors dévelop­pé de nou­velles fonc­tion­nal­ités pour répon­dre aux besoins de l’industriel. Aujourd’hui « repack­agé » dans un logi­ciel bap­tisé « CETO » dédié à la sim­u­la­tion inter­ac­tive mar­itime, il per­met une immer­sion en réal­ité virtuelle (VR) au sein d’une grue embar­quée sur une struc­ture flot­tante, qui peut servir à la prévi­sion et l’évaluation des risques pour des opéra­tions com­plex­es de lev­age, ou encore à la for­ma­tion du personnel.

Reproduire la mer et son environnement

CETO per­met de repro­duire les car­ac­téris­tiques physiques de la mer, son envi­ron­nement et de nom­breux objets du monde mar­itime — porte-con­teneurs, grues por­tu­aires, câbles, tuyaux — dans une sim­u­la­tion interactive. 

La pre­mière étape était la phys­i­cal­i­sa­tion de l’environnement à étudi­er — étape par laque­lle les chercheurs vont mod­élis­er les élé­ments con­sti­tu­tifs de la scène, à com­mencer par la mer. « Pour mod­élis­er la mer, nous util­isons typ­ique­ment 600 com­posantes spec­trales, indique le chercheur. Chaque com­posante spec­trale cor­re­spond à une vague sinu­soï­dale, qui a plusieurs paramètres : ampli­tude (de la crête au creux de la vague), direc­tion, phase, fréquence. D’autres con­di­tions envi­ron­nemen­tales sont à pren­dre en compte durant la sim­u­la­tion inter­ac­tive : le vent et le courant, par exem­ple. »

Super­po­si­tion d’on­des sinu­soï­dales pour génér­er un sig­nal irréguli­er, source : Marinet1

Après un pre­mier pro­to­type de sim­u­la­tion, les chercheurs ont pu amélior­er la pré­ci­sion et donc le réal­isme de la sim­u­la­tion, en aug­men­tant le niveau de détail des mod­èles : prise en compte des hélices, câbles, grues, etc., dans l’optique de savoir, ou plutôt de véri­fi­er, com­ment celui-ci réa­gi­ra au mou­ve­ment de la mer, à celui du vent, de la houle et ain­si de suite. « La phys­i­cal­i­sa­tion n’est pas tou­jours néces­saire selon le besoin, pré­cise-t-il, mais quand elle l’est, le car­ac­tère inter­ac­t­if impose de résoudre les équa­tions physiques en temps réel, ce qui passe sou­vent par une phase de sim­pli­fi­ca­tion des mod­èles physiques. »

Par exem­ple, un solide rigide élancé est mod­élisé par une « poutre » d’une cer­taine dimen­sion, ce qui est une sim­pli­fi­ca­tion pour per­me­t­tre la sim­u­la­tion en temps réel dans XDE Physics. Avec cette étape, une ques­tion pour­rait se pos­er : un jumeau numérique peut-il être si pré­cis qu’il repro­duit la réal­ité, mal­gré sa sim­pli­fi­ca­tion ? Le chercheur, lui, ne se la pose plus : « En sci­ence, tout est mod­èle. Même un con­cept aus­si sim­ple qu’un angle droit n’existe pas à pro­pre­ment par­ler dans la nature. L’enjeu, pour un jumeau numérique en sim­u­la­tion inter­ac­tive, est d’adopter un mod­èle suff­isam­ment pré­cis pour lui con­fér­er une util­ité pra­tique dans un con­texte don­né. En out­re, il faut que les équa­tions du mod­èle choisies puis­sent être résolues suff­isam­ment rapi­de­ment avec le matériel prévu. Il n’y a pas besoin d’une pré­ci­sion par­faite pour obtenir des résul­tats utiles, et tant mieux, car elle est inat­teignable. » 

L’exemple de la mise à l’eau d’un tuyau déformable est par­lant à cet égard. Une fois le tuyau mod­élisé en tant que poutre, l’équipe du lab­o­ra­toire pour­ra éval­uer sa résis­tance pen­dant les opéra­tions de lev­age et de mis à l’eau, en fonc­tion des con­di­tions météorologiques et des actions du gru­ti­er dans le monde virtuel. Cette mul­ti­tude d’éléments con­jugués numérique­ment per­met une sim­u­la­tion inter­ac­tive de n’importe quel scé­nario souhaité. Ain­si, l’utilisateur pour­ra éval­uer si le tuyau résis­tera à sa manip­u­la­tion sans devoir, pour autant, attein­dre une pré­ci­sion par­faite de la sim­u­la­tion. Tout cela de manière bien plus sécu­ri­taire et économique que les essais en sit­u­a­tion réelle. 

De la prévision à la formation

Un jumeau numérique peut donc per­me­t­tre de valid­er des scé­nar­ios avant d’enclencher leur appli­ca­tion dans le monde physique. Les util­ités sont donc innom­brables, et les avan­tages con­séquents. « Il y a un véri­ta­ble béné­fice à ce type de sim­u­la­tion, assure Anders Thorin. En matière de coût d’abord, car elle néces­site moins de temps pour la réal­i­sa­tion d’un pro­jet, lim­ite le besoin de déplac­er le matériel, évite le recours aux maque­ttes, etc. Et en matière de repro­ductibil­ité, car chaque scé­nario peut être validé sur la même sim­u­la­tion, les paramètres étant mod­i­fi­ables selon les besoins. » 

Les util­ités du jumeau numérique sont innom­brables, et les avan­tages conséquents.

En effet, si l’on veut estimer la dif­férence de mou­ve­ment qu’un navire peut avoir en eau calme, par rap­port à en eau agitée, seuls les paramètres influ­ents sur cette dynamique de l’eau et du vent sont à chang­er, à savoir : la direc­tion du vent, sa vitesse comme sa con­stance, etc. « C’est une forme de prévi­sion d’un évène­ment dans cer­taines con­di­tions préétablies — vent, houle, courant, et beau­coup d’autres », ajoute le chercheur.

Cepen­dant, l’utilité de ce type de jumeau numérique ne s’arrête pas à la « prévi­sion » de scé­nario. Avoir un véri­ta­ble monde virtuel, acces­si­ble à l’aide d’un casque VR, le tout, en étant le plus fidèle pos­si­ble aux réal­ités physiques des élé­ments qui nous entourent, per­me­t­trait une util­i­sa­tion effi­cace pour la for­ma­tion. « Tech­nip Ener­gies a ajusté une chaise de façon à repro­duire (cette fois-ci dans le monde réel) la cab­ine d’une grue avec ses manettes de com­man­des, explique-t-il. Ce qui a per­mis à un gru­ti­er de venir sur place pour y faire une for­ma­tion, en plus d’une mise en pra­tique.»

Cou­plé avec ses deux béné­fices prin­ci­paux (coût et repro­ductibil­ité), un tel logi­ciel aurait une plus-val­ue indé­ni­able à la for­ma­tion des gru­tiers, notam­ment pour faire face à des sit­u­a­tions extrêmes, comme des vents forts.

Pablo Andres
1Marinet: Best prac­tice man­u­al for wave sim­u­la­tion – https://www.marinet2.eu/wp-content/uploads/2017/04/D2.8‑Best-Practice-Manual-for-Wave-Simulation.pdf

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