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Jumeaux numériques : quels débouchés pour l'industrie ?

Jumeau numérique des poumons : quels bénéfices pour la médecine de demain ?

Martin Genet, professeur assistant au département de mécanique de l'École polytechnique au sein de l'équipe MΞDISIM (INRIA/IP Paris)
Le 30 janvier 2023 |
5 min. de lecture
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Martin Genet
professeur assistant au département de mécanique de l'École polytechnique au sein de l'équipe MΞDISIM (INRIA/IP Paris)
En bref
  • Un jumeau numérique est la numérisation d’un objet et de son environnement : il permet de simuler le comportement d’un objet réel dans un environnement virtuel.
  • En simulant l’organe d’un individu, il permettrait aux médecins de faciliter autant le diagnostic que la prise en charge du patient.
  • L’intérêt : personnaliser un modèle générique en rajoutant les données spécifiques de l’organe d’un individu.
  • Des jumeaux numériques de tissus vivants peuvent décrire jusqu’à l’interaction d’une molécule de médicament avec un sous-réseau d’une molécule d’ADN.
  • Le jumeau numérique donnerait la possibilité au médecin de prédire une maladie et d’essayer de la prévenir.

Nous avons tous dû voir pass­er, dans nos manuels de biolo­gie, le sché­ma d’un poumon. Avec ces dif­férents sché­mas, nous avons pu appren­dre le fonc­tion­nement de celui-ci. Pour autant, ce sché­ma inan­imé ne peut mon­tr­er l’activité de l’organe d’un indi­vidu en par­ti­c­uli­er, ce n’est qu’un mod­èle générique. Aujourd’hui, par la numéri­sa­tion de ces mod­èles, il est pos­si­ble d’y inté­gr­er les don­nées traduisant cette activ­ité. Ain­si, les vari­abil­ités entre les indi­vidus sont pris­es en compte grâce à un mod­èle per­son­nal­isé. Ce mod­èle, qui, par déf­i­ni­tion, est plus pré­cis, s’appelle un jumeau numérique. 

Un jumeau numérique est la numéri­sa­tion d’un objet et de son envi­ron­nement, qui se veut fidèle à leurs car­ac­téris­tiques physiques. Il per­met ain­si de simuler le com­porte­ment réel d’un objet dans un envi­ron­nement virtuel. C‘est un mod­èle qui pro­pose une telle per­son­nal­i­sa­tion de la ver­sion numérisée de l’objet qu’il en revient presque à étudi­er sa ver­sion réelle. 

L’idée est de se diriger vers des mod­èles de plus en plus fins, tout en sachant qu’aucun mod­èle n’est infin­i­ment fin. 

Ce type de sim­u­la­tion numérique est util­isé dans de nom­breux domaines d’ingénierie. Et il n’est pas dif­fi­cile d’imaginer que le mod­èle si spé­ci­fique d’un objet peut être utile au domaine de la san­té. Car, finale­ment, lorsqu’un objet se résume àun ensem­ble d’équations cor­re­spon­dant à ses car­ac­téris­tiques physiques, tout peut être numérisé, même l’organe d’un être vivant. Mar­tin Genet, chercheur en bio­mé­canique, et plusieurs col­lègues de l’équipe de recherche MΞDISIM au Lab­o­ra­toire de Mécanique des Solides (LMS*) de l’École poly­tech­nique1, tra­vail­lent sur la mod­éli­sa­tion per­son­nal­isée des poumons pour étudi­er la fibrose pul­monaire idiopathique. Ils ont en tête l’hypothèse que le proces­sus mécanique de la res­pi­ra­tion pour­rait favoris­er l’apparition et le développe­ment de la mal­adie — une sorte de cer­cle vicieux mécanique. Ces recherch­es sont faites dans l’optique de fournir aux médecins un type d’outils facil­i­tant autant le diag­nos­tic que la prise en charge du patient. 

Personnaliser un modèle générique

Tout d’abord, il faut com­mencer par le mod­èle générique de l’organe ciblé. Dans le cas de Mar­tin Genet, il s’agit du poumon. Ensuite, sur cette base, cer­taines infor­ma­tions spé­ci­fiques au patient sont appliquées afin de per­son­nalis­er le mod­èle générique. Le but : créer un mod­èle numérique qui cor­re­spond le « plus pos­si­ble » à l’organe à étudi­er. « L’idée est de se diriger vers des mod­èles de plus en plus fins, tout en sachant qu’aucun mod­èle n’est infin­i­ment fin, insiste le chercheur. Un jumeau numérique est donc un mod­èle per­son­nal­isé inté­grant les don­nées spé­ci­fiques à un patient. »

Même si obtenir une sim­u­la­tion par­faite sem­ble impos­si­ble, Mar­tin Genet rap­pelle que la per­fec­tion n’est pas néces­saire pour tir­er des infor­ma­tions médi­cales per­ti­nentes. « Le mod­èle par­fait n’existe pas. Un jumeau numérique reste un mod­èle, une approx­i­ma­tion du réel. On ne peut donc pas repro­duire toutes les expéri­ences pos­si­bles sur une chose réelle,admet-il. Mais une mal­adie don­née est liée à un cer­tain nom­bre de proces­sus physiques, chim­iques, mécaniques. Ain­si, pour mieux com­pren­dre la mal­adie, et in fine mieux la traiter, il faut évidem­ment pren­dre en compte ces proces­sus, mais il est inutile de com­pren­dre tous les phénomènes physi­co-chim­iques qui ont eu lieu dans la vie du patient », insiste-t-il.

En ce qui con­cerne les recherch­es de Mar­tin Genet et l’équipe MΞDISIM, la mal­adie en ques­tion est la fibrose pul­monaire – une mal­adie forte­ment liée à la mécanique du tis­su, qui cor­re­spond notam­ment à une sur­pro­duc­tion de col­lagène dans le tis­su pul­monaire. Comme le col­lagène est rigide, une présence trop impor­tante a pour effet de rigid­i­fi­er le tis­su. Une per­son­ne ayant du col­lagène en excès fini­ra par forcer sa res­pi­ra­tion, ce qui aggrav­erait à son tour la mal­adie. « C’est l’aspect fon­da­men­tal de notre recherche, explique Mar­tin Genet. Établir si les con­traintes mécaniques ont ten­dance à favoris­er l’apparition et/ou l’évolution de la mal­adie, et donc si l’hypothèse de ce cer­cle vicieux est val­able. »

Comprendre et classifier les fibroses

La mod­éli­sa­tion per­son­nal­isée per­met égale­ment d’aller plus loin dans le diag­nos­tic, notam­ment pour la clas­si­fi­ca­tion poten­tielle du type de fibrose dont le patient est atteint, ou sim­ple­ment dans le suivi, et l’optimisation, des traite­ments à lui admin­istr­er. Pour cela, à nou­veau, il est inutile de con­naître toute la vie du patient en ques­tion. Il pour­rait suf­fire de se focalis­er sur un aspect de la mal­adie, comme la rigid­i­fi­ca­tion du tis­su. D’autant que, aujourd’hui, « des jumeaux numériques de tis­sus vivants sont dévelop­pés : ils décrivent jusqu’à l’interaction d’une molécule de médica­ment avec un sous-réseau d’une molécule d’ADN. » Et tout cela de manière non-invasive.

Les médecins sont très deman­deurs de ce type d’outils car aujourd’hui, il existe très peu d’outils per­for­mants pour ce type de maladie.

La suite : le diag­nos­tic médi­cal – bien qu’au stade de la recherche il soit plus judi­cieux de par­ler de clas­si­fi­ca­tion de la mal­adie. « Par­mi tous les types de fibros­es pul­monaires, serons-nous capa­bles de clas­si­fi­er, de manière quan­ti­ta­tive et objec­tive, celle dont est atteint le patient en ques­tion ? », se demande le chercheur. Si l’équipe MΞDISIM y parvient, le médecin n’aura plus qu’à voir le com­porte­ment du poumon numérique pour déter­min­er le traite­ment adéquat. 

La médecine de demain

De plus, un tel out­il a égale­ment une mul­ti­tude d’autres intérêts en san­té, et les pro­fes­sion­nels de ce domaine en sont con­scients. « Les médecins sont très deman­deurs de ce type d’outils d’ingénierie bio­médi­cale, ajoute Mar­tin Genet. Ces out­ils ont voca­tion à faciliter le tra­vail du médecin. » Car aujourd’hui, il existe très peu d’outils per­for­mants pour ce type de mal­adie. D’autant que, si cet « aspect fon­da­men­tal » de la recherche venait à valid­er cette « hypothèse du cer­cle vicieux », un jumeau numérique don­nerait une pos­si­bil­ité au médecin de prédire le poten­tiel développe­ment d’une fibrose chez un patient, et donc, pourquoi pas, d’essayer de la prévenir.

Enfin, un des intérêts majeurs du jumeau numérique en matière de san­té repose sur la pos­si­bil­ité d’optimiser les traite­ments admin­istrés. Notre pro­pre organe peut être mod­élisé dans une sim­u­la­tion qui repro­duit son fonc­tion­nement et son inter­ac­tion avec d’autres élé­ments, eux-mêmes mod­élisés. Il suf­fit alors qu’un de ces élé­ments soit le médica­ment à admin­istr­er : l’influence chim­ique sur l’organe en ques­tion peut être simulée. Ain­si, ce jumeau numérique de notre organe don­nera une indi­ca­tion quan­ti­ta­tive au médecin de l’efficacité du traite­ment à pre­scrire (anti-fibrosant, anti-inflam­ma­toire…) tout en lui per­me­t­tant de réalis­er un suivi quan­ti­tatif de ce traitement. 

« Nous espérons pou­voir décrire, par le mod­èle, l’évolution de la mal­adie, syn­thé­tise le chercheur. Pour, ensuite, opti­miser et automa­tis­er cet out­il au max­i­mum, afin qu’il soit util­is­able en clin­ique facile­ment. Le rêve serait que l’outil soit directe­ment inté­gré dans les pipelines logi­ciels de l’hôpital. »

Pablo Andres
1LMS : une unité mixte de recherche CNRS, École poly­tech­nique – Insti­tut Poly­tech­nique de Paris

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