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Jumeaux numériques : quels débouchés pour l'industrie ?

Des jumeaux numériques pour prédire des maladies 

Claire Biot, vice-présidente de l’Industrie de la Santé Dassault Systèmes
Le 8 novembre 2022 |
5 min. de lecture
BIOT Claire
Claire Biot
vice-présidente de l’Industrie de la Santé Dassault Systèmes
En bref
  • Un jumeau numérique est une représentation modélisée, généralement en 3D, d’un élément réel.
  • C’est un projet qui emprunte des savoir-faire à de nombreuses disciplines, comme la physique, la mécanique des fluides ou la chimie.
  • Ils sont très utiles dans le domaine de la santé pour comprendre un état de santé, définir une pathologie ou tester différents scénarios d’intervention.
  • Ces progrès permettent aux médecins de libérer plus de temps disponible à passer avec les patients.
  • Dans deux ou trois ans, ils auront grandement évolué en termes de rapidité, de rendu et de résultats, ce qui favorisera leur utilisation dans l’entièreté du corps médical.

Les mon­des virtuels sont une manière d’é­ten­dre et d’amélior­er le monde réel, et c’est égale­ment le rôle d’un jumeau numérique. Con­crète­ment, il s’agit d’un référen­tiel sur lequel vont s’associer dif­férentes dis­ci­plines pour faire avancer un pro­jet com­mun : en addi­tion­nant leurs con­nais­sances et leurs savoir-faire, elles vont pou­voir partager, sur la base d’une même représen­ta­tion, plusieurs scé­nar­ios possibles.

Per­son­ne n’at­tend d’un jumeau numérique qu’il soit par­fait. Si je prends le par­al­lèle avec l’au­to­mo­bile, 95 % des crash tests des voitures com­mer­cial­isées sont réal­isés sur sup­port infor­ma­tique. Grâce au jumeau numérique d’un véhicule, même incom­plet, on peut tester sa résis­tance lors d’un choc, par exem­ple. Cela sig­ni­fie que l’on a con­fi­ance en ces mod­èles. Le corps humain, évidem­ment, est plus com­plexe qu’une auto­mo­bile, mais notre objec­tif est sim­i­laire : nous souhaitons amélior­er l’e­spérance de vie et garder les indi­vidus en bonne san­té, à un coût souten­able pour les sys­tèmes de soins. 

Un projet multidisciplinaire

Pour ce faire, nous avons mis en place chez Das­sault Sys­tèmes une réelle flex­i­bil­ité entre les dif­férentes échelles et les dif­férentes dis­ci­plines qui sont util­isées par ces référents virtuels. Notre jumeau numérique du cœur se définit comme mul­ti­physique. Le cœur est une pompe, et a donc un com­porte­ment mécanique qui va le faire se con­tracter sous l’ef­fet d’un sig­nal élec­trique. Il nous est pos­si­ble de dupli­quer numérique­ment ce phénomène et la manière dont la pompe va être com­mandée. Ce jumeau est ain­si capa­ble de repro­duire la géométrie du cœur à par­tir d’un sys­tème d’imagerie, mais égale­ment le com­porte­ment des fibres mus­cu­laires : c’est un pre­mier type de physique que nous avons utilisé.

Si un mod­èle ne con­tient que ce que l’on y met, il per­met donc tout de même de faire des prédictions.

Ce cœur se con­tracte ensuite pour faire cir­culer le sang. Nous sommes donc allés chercher un autre type de physique pour repro­duire tout ce qui con­cerne la mécanique des flu­ides afin de car­ac­téris­er au mieux le com­porte­ment hémo­dy­namique. L’en­jeu, c’est de per­son­nalis­er ce mod­èle de cœur en fonc­tion de chaque indi­vidu afin de pou­voir, par exem­ple, tester dif­férentes manières de soign­er un patient dès lors qu’il a une mal­adie. À par­tir de ce mod­èle paramé­tra­ble, il est pos­si­ble d’aller vers une repro­duc­tion très fine du cœur du patient du point de vue de son com­porte­ment, à la fois sur le plan de la géométrie, mais aus­si de l’el­lipse élec­tro­phys­i­ologique ou de la physique. Si un mod­èle ne con­tient que ce que l’on y met, il per­met donc tout de même de faire des prédictions. 

Nous sommes égale­ment capa­bles d’être mul­ti-échelle. Pour le cœur, il est tout à fait pos­si­ble de chang­er de dis­ci­pline afin de repro­duire des com­porte­ments de car­diotox­i­c­ité. Cer­tains médica­ments vont être capa­bles de s’introduire dans les cel­lules du cœur et de con­trôler le sys­tème d’ouverture/fermeture de canaux ion­iques. Ici, nous ren­trons dans le domaine de la chimie et de la biolo­gie molécu­laire. On peut ain­si génér­er des ary­th­mies du cœur qui vont aller jusqu’à des tor­sades de pointe, que nos logi­ciels sont capa­bles de repro­duire en fonc­tion du dosage des médica­ments. Ici, nous sommes à l’échelle molécu­laire, et plus seule­ment dans le domaine de la physique. 

Les différents types de jumeaux numériques

Ain­si, nous avons besoin de met­tre en œuvre plusieurs jumeaux numériques du patient pour com­pren­dre son état de san­té, définir sa patholo­gie et pou­voir tester dif­férents scé­nar­ios d’in­ter­ven­tion. Si la longévité aug­mente ces dernières années – selon les chiffres de l’OMS –, l’e­spérance de vie en bonne san­té stagne. Pour dépass­er ce palier, cette mul­ti­plic­ité sera néces­saire. Un scé­nario d’in­ter­ven­tion peut ain­si utilis­er un médica­ment ou un dis­posi­tif médi­cal, ou même les deux. Un autre jumeau numérique des­tiné à tester la molécule ou le dis­posi­tif médi­cal sera alors req­uis. Ce soin sera admin­istré dans un envi­ron­nement par­ti­c­uli­er : si c’est une opéra­tion, elle aura lieu à l’hôpi­tal, mais il peut s’agir d’une con­sul­ta­tion à dis­tance ou en présen­tiel dans un cab­i­net de médecine. Nous aurons alors besoin d’un jumeau numérique du site.

Enfin, réalis­er un jumeau numérique du sys­tème de soins est égale­ment néces­saire pour l’éprouver, com­pren­dre com­ment se font les flux d’ar­gent et tester dif­férentes manières de mieux le pilot­er. Il peut même se présen­ter en 2D : un jumeau numérique n’a pas néces­saire­ment besoin d’être en 3D, même si c’est le mod­èle le plus par­lant pour illus­tr­er cette tech­nolo­gie. Et dans les faits, nous n’avons pas besoin d’at­ten­dre d’avoir un jumeau numérique com­plet du corps humain pour avoir déjà des résul­tats concrets. 

Une aide cruciale pour les médecins

Ces pro­grès per­me­t­tront de ren­tr­er dans la médecine per­son­nal­isée, et de trou­ver le bon traite­ment pour le bon patient, au bon moment. Il y aura égale­ment un cer­tain nom­bre de béné­fices sec­ondaires. D’abord, le patient com­pren­dra mieux ce qui va se pro­duire lors de l‘intervention. Il pour­ra ain­si devenir acteur de sa pro­pre san­té, et la préven­tion sera ren­for­cée. De plus, ces pro­grès per­me­t­traient aux médecins d’avoir plus de temps disponible. En effet, si le jumeau numérique teste à leur place un cer­tain nom­bre de con­fig­u­ra­tions réal­isées autre­fois à la main, on libère du temps médi­cal sans bris­er pour autant le lien avec le patient, bien au con­traire. Cela promet égale­ment une meilleure col­lab­o­ra­tion entre médecins. 

Il existe déjà une demande très forte de la part des médecins pour utilis­er ces jumeaux numériques.

Il existe déjà une demande très forte de la part des médecins pour utilis­er ces jumeaux numériques, d’au­tant plus qu’ils se plaig­nent aujour­d’hui de pass­er trop de temps dans la ges­tion admin­is­tra­tive et pas assez de temps avec les malades. Mais nous sommes au début de cette aven­ture, et si cer­tains sont con­va­in­cus du bien-fondé de cette démarche, ils sont encore pio­nniers en la matière. C’est un besoin d’au­tant plus pres­sant qu’au­jour­d’hui, les con­nais­sances médi­cales dou­blent tous les 70 jours. Et ces médecins voient bien l’in­térêt de pou­voir met­tre en com­mun leurs con­nais­sances afin de pou­voir for­mer les jeunes généra­tions ou de dis­cuter d’un cas com­plexe à plusieurs praticiens. 

On peut citer en exem­ple le Boston Chil­dren’s Hos­pi­tal, l’hôpi­tal pédi­a­trique de Boston, où le chef de ser­vice en charge de la chirurgie pédi­a­trique, le doc­teur Hogan, utilise un mod­èle de cœur avant d’intervenir sur des enfants en bas âge ayant des mal­for­ma­tions con­géni­tales. Ce jumeau numérique du cœur l’aide à mieux com­pren­dre la patholo­gie de l’en­fant, et lui per­met d’expliquer visuelle­ment aux par­ents la patholo­gie de leur enfant pour les met­tre en confiance. 

C’est une preuve que cette tech­nolo­gie peut être util­isée dans une pra­tique médi­cale poussée, mais nous sommes encore loin d’une adop­tion générale. Si le monde médi­cal est friand d’innovations, il souhaite en par­al­lèle qu’elles soient éprou­vées. Ces tech­nolo­gies sont pour­tant assez raisonnables en ter­mes de coût et de temps. Dans deux ou trois ans, elles auront grande­ment évolué en ter­mes de rapid­ité, de ren­du, de résul­tats et de con­som­ma­tion de ressources tech­nologiques, ce qui favoris­era leur util­i­sa­tion dans l’entièreté du corps médical.

Propos recueillis par Jean Zeid

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