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Les innovations numériques au service de la santé

Faut-il centraliser toutes nos données de santé ?

Le 27 avril 2022 |
4 min. de lecture
Emmanuel Didier (2)
Emmanuel Didier
sociologue, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre Maurice Halbwachs à l’EHESS
En bref
  • Le Health Data Hub est un projet français doté d'un budget de près de 10 millions d’euros. L’objectif : centraliser toutes les données de santé en France.
  • Ce projet permettra de faciliter le travail des médecins grâce en mutualisant les données de santé, mais il ouvrira également un nouveau marché prolifique pour les entreprises.
  • La quantité de données de santé en France est colossale : le Sniiram (Le système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie) détient 1,2 milliard de feuilles de soins collectées depuis 2002.
  • La centralisation pose cependant un problème à certains acteurs qui ne veulent pas confier leurs bases de données au risque de perdre le travail investi dans celles-ci. C'est le cas de la cohorte Constance et ses quelques 200 000 données.
  • D’autres critiques gravitent autour du projet. Le principe même de centralisation ou encore la question de l’hébergement, qui serait assuré par Microsoft, attirent l’attention.

Faut-il cen­tralis­er les don­nées de san­té détenues par l’État ? En 2019, le gou­verne­ment français a lancé le Health Data Hub afin de per­me­t­tre l’accès aux don­nées de san­té tant pour la recherche que pour les entre­pris­es et ain­si accélér­er en matière d’innovation. Doté d’un bud­get de 10 mil­lions d’euros1, ce pro­jet a con­nu un coup d’ar­rêt en jan­vi­er dernier suite au retrait de la demande d’autorisation for­mulée par le Health Data Hub auprès de la CNIL. Emmanuel Didi­er, mem­bre du Comité con­sul­tatif nation­al d’éthique, qui ren­dra un avis sur le sujet dans les mois qui vien­nent, revient sur la créa­tion et la mise en place du Health Data Hub.

En quoi les données peuvent-elles être utiles pour la santé ?

Le Health Data Hub, la cen­tral­i­sa­tion des don­nées de l’Assurance mal­adie française et d’une quar­an­taine d’autres bases, facilit­era le tra­vail des médecins en mutu­al­isant des don­nées de san­té. Il sera égale­ment une source très riche pour les chercheurs. D’autre part, il ouvri­ra un nou­veau marché pro­lifique pour les entre­pris­es. La volon­té du gou­verne­ment est de créer un espace prop­ice à l’innovation dans le secteur de la san­té pour per­me­t­tre la créa­tion de nou­velles licornes, ces start-ups val­orisées à plus d’un mil­liard d’euros (Doc­tolib, par exem­ple), cen­sées con­cur­rencer les géants du numérique améri­cains (GAFAM). 

Pour accéder à ces don­nées, les acteurs doivent pro­pos­er un pro­jet expli­quant les raisons d’utilisation. L’espoir réside dans un croise­ment des don­nées qui ouvri­rait de nou­velles pos­si­bil­ités de suivi des soins et leur prise en charge. Un exem­ple dans ce domaine est celui des élec­tro­car­dio­grammes. Actuelle­ment, il y a plusieurs logi­ciels pour récupér­er les élec­tro­car­dio­grammes. Une cen­tral­i­sa­tion des don­nées per­me­t­trait donc de n’utiliser qu’un seul logi­ciel pour des échanges plus flu­ides entre les dif­férents cen­tres de car­di­olo­gie, tout en pro­posant une ges­tion mieux adaptée. 

Y’a‑t-il des projets similaires dans d’autres pays ?

La France est un pays dont le sys­tème de san­té cor­re­spond à un pro­jet tel que le Health Data Hub. En effet, la quan­tité de don­nées de san­té en France est colos­sale : le Sni­iram (le Sys­tème nation­al d’information inter-régimes de l’Assurance mal­adie) détient 1,2 mil­liard de feuilles de soins col­lec­tées depuis 20022. Dans des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis, le sys­tème de san­té est divisé en plusieurs par­ties. En Alle­magne, ce sont les Län­der (les régions admin­is­tra­tives) qui gèrent leur pro­pre sys­tème de san­té, aux États-Unis, ce sont les états via les com­pag­nies d’assurance. De fait, une cen­tral­i­sa­tion des don­nées doit néces­saire­ment être organ­isée autrement qu’en France où celles-ci sont gérées par l’État.

L’espoir réside dans un croise­ment de don­nées qui per­me­t­trait d’avoir des pos­si­bil­ités inédites pour le suivi des soins et leur prise en charge. 

Cepen­dant d’autres pays pos­sè­dent un sys­tème de san­té sim­i­laire au nôtre et pour­raient éventuelle­ment lancer ce type de pro­jet. C’est le cas au Roy­aume-Uni où la Bio Bank est déjà au cœur des recherch­es sur la cen­tral­i­sa­tion. C’est d’ailleurs ce que l’Europe a en tête avec son espace européen des don­nées de san­té. Cette espace cor­re­spond à une volon­té européenne de partage des don­nées de san­té afin de faciliter la recherche et d’améliorer les sys­tèmes de san­té dans leur glob­al­ité. Le but est de con­stru­ire des algo­rithmes d’intelligence arti­fi­cielle à grande échelle per­me­t­tant de gér­er des crises comme celle du Covid-193

Quelles sont les critiques suscitées par ce projet ?

La cen­tral­i­sa­tion pose un prob­lème à cer­tains acteurs qui ne veu­lent pas con­fi­er leurs bases de don­nées au risque de per­dre le tra­vail investi dans celles-ci. Con­stance, une cohorte épidémi­ologique française, dis­pose par exem­ple de con­di­tions d’accès spé­ci­fiques à ses quelques 200 000 don­nées et a fait com­pren­dre au Health Data Hub ne pas vouloir les partager4.

Une autre cri­tique con­cerne l’enrichissement des uns avec les don­nées de san­té des autres. En France, il est inter­dit d’utiliser les don­nées de san­té à des fins de mar­ket­ing ou assur­an­cielles. Cepen­dant, le Health Data Hub lui, offre un nou­veau ter­rain de jeu aux entre­pris­es innovantes. 

Enfin, l’hébergement de don­nées par des serveurs améri­cains (Microsoft) pose un prob­lème de sou­veraineté. L’objectif aurait pu ou pour­rait per­me­t­tre la créa­tion d’un hébergeur français ou européen. Nous ne savons pas encore quelle ori­en­ta­tion est en train de pren­dre le Health Data Hub

Quelles peuvent être les solutions qui s’ouvrent pour l’avenir du Health Data Hub ? 

L’une des solu­tions avancées serait de frag­menter les don­nées de san­té tout en les ren­dant acces­si­bles à tous. Au lieu d’avoir un seul Health Data Hub, nous en auri­ons plusieurs répar­tis dans toute la France per­me­t­tant aux entre­pris­es et autres groupes ayant des don­nées en grande quan­tité de les con­serv­er tout en les partageant avec le plus grand nom­bre. Cette solu­tion est égale­ment plus sécurisée puisque pour tout piratage il y’aurait plusieurs espaces de stock­age à atta­quer. De fait, les pirates ne pour­raient pas met­tre la main sur toutes les don­nées d’un seul coup comme ils le feraient avec une seule base de don­nées cen­tral­isée. Mais ceci n’est qu’une des pistes possibles. 

Propos recueillis par Fabien Roches

1https://​www​.legifrance​.gouv​.fr/​j​o​r​f​/​i​d​/​J​O​R​F​T​E​X​T​0​0​0​0​4​1​7​74001
2https://​assur​ance​-mal​adie​.ameli​.fr/​e​t​u​d​e​s​-​e​t​-​d​o​n​n​e​e​s​/​p​r​e​s​e​n​t​a​t​i​o​n​-​s​y​s​t​e​m​e​-​n​a​t​i​o​n​a​l​-​d​o​n​n​e​e​s​-​s​a​n​t​e​-snds
3https://​www​.health​-data​-hub​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​h​d​h​-ehds
4https://​www​.con​stances​.fr

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