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Les innovations numériques au service de la santé

Alzheimer, Parkinson… « Demain, les IA détecteront des maladies grâce à la biométrie »

Agnès Vernet, journaliste scientifique
Le 27 avril 2022 |
5 min. de lecture
Mounim El Yacoubi
Mounîm A. El Yacoubi
professeur à Télécom SudParis (IP Paris)
En bref
  • L’IA peut aider à aller au-delà des tests actuels afin de proposer au milieu médical  des solutions moins coûteuses, moins invasives et qui affinent les diagnostics.
  • Pour la maladie de Parkinson, un projet de recherche européen est mené par de  nombreux chercheurs, en collaboration avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle  épinière.
  • L’objectif est de parvenir à détecter dans la voix et les expressions du visage du  patient des anomalies typiques de la maladie, et ce au cours d’un simple appel  vidéo.
  • Pour la maladie d’Alzheimer, les données pourraient être utilisées pour suivre sur plusieurs mois sur l’évolution de l’écriture, de la marche, de la voix, choses impossibles à suivre pour un médecin.
  • Nos données de santé pourraient donc être récoltées via nos montres, nos frigos,  nos ordinateurs afin de suivre l’évolution des comportements et des habitudes à risques.

L’IA et le machine learn­ing sont déjà util­isés aujourd’hui pour aider au diag­nos­tic des patients. En quoi peu­vent-ils être utiles ?

Mounîm El Yacoubi. Tout d’abord, il faut soulign­er que le diag­nos­tic ne se résume pas à un sim­ple tri des patients. Il n’existe pas de fron­tière nette entre le « nor­mal » et le « pathologique ». C’est pourquoi les médecins restent maîtres de leurs diag­nos­tics, et que les solu­tions de machine learn­ing ne sont que des aides, qui n’ont pas voca­tion à se sub­stituer aux médecins mais à les aider à pri­oris­er, par exemple.

Néan­moins, aujourd’hui, le machine learn­ing a des choses à apporter, notam­ment dans la détec­tion des anom­alies dans les IRM. Ce type de méth­ode repose sur un appren­tis­sage super­visé à par­tir de mil­lions d’images. Les sys­tèmes arrivent ain­si à repér­er des anom­alies, avec des taux de clas­si­fi­ca­tion très élevés, par­fois plus fins que ceux des médecins.

L’IA peut donc nous servir à aller au-delà des tests actuels ?

En effet. Les méth­odes clas­siques de diag­nos­tic, qui s’appuient sur des tests san­guins, sur l’imagerie médi­cale ou sur la mesure d’autres paramètres biologiques, essaient de met­tre en évi­dence une anom­alie ou les symp­tômes car­ac­téris­tiques d’une pathologie.

Elles fonc­tion­nent assez bien, mais ne sont pas par­faites : elles sont sou­vent inva­sives et coû­teuses ter­mes d’équipement et de per­son­nel. Il faut aus­si que les patients vien­nent à l’hôpital ou au lab­o­ra­toire de biolo­gie médi­cale. Pour toutes ces raisons, les out­ils de diag­nos­tic basés sur du machine learn­ing, sur des don­nées issues de cap­teurs peu cou­teux et non invasifs, intéressent le milieu médical.

De votre côté, vous n’exploitez pas des don­nées médi­cales classiques…

Non, en effet. Nous tra­vail­lons sur des don­nées dites écologiques, comme l’écriture man­u­scrite, la démarche ou la voix.

Pour la mal­adie de Parkin­son, nous menons un pro­jet de recherche européen, en col­lab­o­ra­tion avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière. L’objectif est de par­venir à détecter dans la voix et les expres­sions du vis­age du patient des anom­alies typ­iques de la mal­adie, et ce au cours d’un sim­ple appel vidéo. Les per­son­nes souf­frant de ce trou­ble neu­rodégénératif présen­tent en général une hypomimie, c’est-à-dire une réduc­tion de l’amplitude des mou­ve­ments expres­sifs, ou des altéra­tions de la voix. Nous dévelop­pons ain­si une méth­ode de machine learn­ing pour détecter automa­tique­ment ces sig­naux, et nous cher­chons à com­par­er ses résul­tats aux don­nées d’IRM ou d’autres indi­ca­teurs clin­iques. Nous espérons que notre approche pour­ra aider à mieux car­ac­téris­er les patients et à strat­i­fi­er la mal­adie, c’est-à-dire à iden­ti­fi­er des critères per­me­t­tant de détecter des groupes de patients parkin­soniens avec des com­porte­ments dif­férents, qui pour­raient donc être traités par les médecins avec des traite­ments et des thérapies différents.

Avec un tel out­il, une pre­mière étape diag­nos­tique pour­rait être réal­isée sans même avoir à faire venir le patient !

Il s’agit même de don­nées imper­cep­ti­bles par les médecins !

En théorie, le médecin pour­rait décel­er ces signes, mais en pra­tique c’est très com­pliqué, parce qu’il faudrait com­par­er l’évolution des expres­sions sur plusieurs mois. Nous avons dévelop­pé une approche sim­i­laire pour la mal­adie d’Alzheimer, en col­lab­o­ra­tion avec l’Hôpital Bro­ca, à Paris. Il s’agissait de repér­er les dégra­da­tions de l’écriture man­u­scrite, de la voix et de la marche imputa­bles à la maladie.

Pour ces travaux sur les mal­adies neu­rodégénéra­tives, la dif­fi­culté con­siste à con­cili­er spé­ci­ficité et sen­si­bil­ité. Nous voulons être capa­bles de repér­er les patients atteints de formes pré­co­ces sans les con­fon­dre avec d’autres trou­bles neu­rologiques, comme des trou­bles cog­ni­tifs légers ou d’autres patholo­gies. C’est très délicat.

Les objets con­nec­tés peu­vent-ils vous aider à déploy­er ces approches ?

Pour le dia­bète de type 2, nous util­isons des cap­teurs de gly­cémie con­nec­tés. Ils per­me­t­tent de lire la gly­cémie en con­tinu; nous n’avons pas besoin de deman­der aux patients de se piquer et nous pou­vons dis­pos­er de valeurs 24 heures sur 24. Nous asso­cions à ces don­nées les infor­ma­tions liées à la prise de repas et d’insuline, que le patient peut nous com­mu­ni­quer grâce à une appli­ca­tion de suivi de dia­bète sur smart­phone, ain­si que son activ­ité physique, enreg­istrée via un bracelet con­nec­té. En com­bi­nant ces infor­ma­tions, nous arrivons à prévoir la valeur de la gly­cémie (le taux de glu­cose dans le sang).

Il s’agissait de repér­er les dégra­da­tions de l’écriture man­u­scrite, de la voix et de la marche imputa­bles à la maladie

C’est un véri­ta­ble défi car chaque per­son­ne a son pro­pre métab­o­lisme, sa pro­pre géné­tique… Nous avons donc créé des mod­èles per­son­nal­isés, fondés sur des mod­èles de « deep learn­ing séquen­tiel ». Ce tra­vail a été l’objet d’une thèse menée par Maxime de Bois, que j’ai codirigée avec Meh­di Ammi de l’Université Paris-Saclay. Maxime a dévelop­pé sa tech­nique sur une base de patients syn­thé­tiques, validée par la FDA, l’autorité régle­men­taire améri­caine. Puis il l’a testée auprès de 6 patients en col­lab­o­ra­tion avec le réseau Revesdiab.

Avez-vous ren­con­tré des difficultés ?

Oui, plusieurs, mais nous avons su les résoudre. Pour pal­li­er le manque de don­nées, nous util­isons une méth­ode d’apprentissage par trans­fert, qui nous autorise à pré-entraîn­er le mod­èle à par­tir d’autres patients en veil­lant à ce qu’il génère les paramètres les plus généraux pos­si­bles, donc les plus adapt­a­bles à un nou­veau patient.

Pour amélior­er l’acceptabilité du sys­tème auprès des médecins, nous avons tenu compte des écarts de pré­dic­tions dans le choix de nos métriques.

Pour expli­quer com­ment notre mod­èle fonc­tionne, nous avons inté­gré à notre réseau de neu­rones pro­fonds (la méth­ode d’apprentissage) des couch­es pour estimer le poids de chaque vari­able dans le temps. Pour chaque pré­dic­tion, nous sommes ain­si capa­bles d’indiquer, à chaque instant, quelle vari­able (gly­cémie, ali­men­ta­tion ou insu­line) a été déter­mi­nante. C’est un aspect aus­si très intéres­sant car les médecins eux-mêmes ne savent pas quel paramètre est prépondérant à un instant donné.

Est-ce votre seul pro­jet avec des objets connectés ?

Non, nous avons égale­ment un pro­jet des­tiné à amélior­er le diag­nos­tic de l’arythmie car­diaque grâce à un bracelet con­nec­té qui mesure la rigid­ité artérielle. Il s’agira là aus­si de con­fron­ter nos résul­tats à ceux obtenus avec des électrocardiogrammes.

Toutes les don­nées sont bonnes à pren­dre… Pensez-vous que, dans le futur, notre fri­go con­nec­té pour­ra nous alert­er d’un risque de com­porte­ment dépres­sif ?

C’est en effet un bon objet pour repér­er des change­ments d’habitudes… On peut imag­in­er que ces don­nées puis­sent être cor­rélées à celles d’un smart­phone ou à la nature et les activ­ités sur les sites Inter­net fréquen­tés. Cela posera un enjeu impor­tant sur la pro­tec­tion des don­nées. Autoris­erons-nous notre médecin à con­sul­ter les analy­ses issues de notre fri­go ? Notre moteur de recherche ou nos réseaux soci­aux nous prévien­dront-ils si notre com­porte­ment évolue dan­gereuse­ment ? On imag­ine que des per­son­nes atteintes de patholo­gies chroniques et qui con­nais­sent des change­ments de phas­es, comme les dia­bé­tiques ou les bipo­laires, seraient plus sus­cep­ti­bles de don­ner un accord éclairé à ce type d’approches.

Pour aller plus loin:

  • DIGIPD : Val­i­dat­ing DIG­I­tal bio­mark­ers for bet­ter per­son­al­ized treat­ment of Parkinson’s Dis­ease, https://​www​.erap​ermed​.eu/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​1​/​0​1​/​N​e​w​s​l​e​t​t​e​r​-​E​R​A​-​P​e​r​M​e​d​_​f​i​n​a​l.pdf, 2021.
  • Maxime De Bois, Mounim A. El-Yacoubi, Meh­di Ammi, “Adver­sar­i­al mul­ti-source trans­fer learn­ing in health­care: Appli­ca­tion to glu­cose pre­dic­tion for dia­bet­ic peo­ple,” Com­put­er Meth­ods Pro­grams Bio­med­i­cine, 199: 105874 (2021).
  • Maxime De Bois, Mounim A. El-Yacoubi, Meh­di Ammi, “Enhanc­ing the Inter­pretabil­i­ty of Deep Mod­els in Heath­care Through Atten­tion: Appli­ca­tion to Glu­cose Fore­cast­ing for Dia­bet­ic Peo­ple,” Inter­na­tion­al Jour­nal of Pat­tern Recog­ni­tion and Arti­fi­cial Intel­li­gence, to appear, 2021.
  • Mounîm A. El-Yacoubi, Sonia Gar­cia-Sal­icetti, Chris­t­ian Kahin­do, Anne-Sophie Rigaud, and Vic­to­ria Cristan­cho-Lacroix, « From aging to ear­ly-stage Alzheimer’s: Uncov­er­ing hand­writ­ing mul­ti­modal behav­iors by semi-super­vised learn­ing and sequen­tial rep­re­sen­ta­tion learn­ing, » Pat­tern Recog­ni­tion, Vol. 86, pp. 112–133, 2/2019.
  • Saei­deh Mirza­ei, Mounim El Yacoubi, Sonia Gar­cia-Sal­icetti, Jerome Boudy, C Kahin­do, V Cristan­cho-Lacroix, Hélène Ker­hervé, A‑S Rigaud, “Two-stage fea­ture selec­tion of voice para­me­ters for ear­ly Alzheimer’s dis­ease pre­dic­tion,” IRBM, Vol. 39, No. 6, pp. 430–435, 2018.

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