Accueil / Chroniques / Chaleur géothermale : la grande oubliée des énergies renouvelables
π Énergie

Chaleur géothermale : la grande oubliée des énergies renouvelables

PHILIPPE_Mikael
Mikaël Philippe
responsable de l’unité géothermies et stockage d’énergie, BRGM
VERGNE_Jérôme
Jérôme Vergne
physicien à l’École et Observatoire des Sciences de la Terre à Strasbourg
En bref
  • La géothermie exploite la chaleur du sous-sol : elle est captée et valorisée sous forme d’électricité ou de chaleur.
  • Elle est particulièrement intéressante pour les zones urbaines, et constitue un véritable atout dans le contexte du changement climatique.
  • Pourtant, une très faible part de la consommation de chaleur est fournie par la géothermie en France : en 2021, elle s’élève à 1 % de la consommation finale.
  • En effet, elle est peu connue du grand public et des collectivités, et il existe assez peu d’entreprises de forage en France.
  • Grâce aux nombreux projets qui sont mis en place, l’Europe devrait enregistrer une hausse de 270 % de consommation d’énergie géothermale entre 2019 et 2024.

Et si la France mis­ait en par­tie sur la géother­mie pour attein­dre la neu­tral­ité car­bone ? En févri­er dernier, le gou­verne­ment présen­tait un plan d’action pour accélér­er son déploiement. L’objectif : « Pro­duire en 15 à 20 ans suff­isam­ment de chaleur pour économiser 100 TWh/an de gaz, soit plus que les impor­ta­tions en de gaz russe avant 2022. » La pro­gram­ma­tion pluri­an­nuelle de l’énergie vise à mul­ti­pli­er par 2 ou plus les instal­la­tions de pro­duc­tion de chaleur géother­male entre 2016 et 2028.

La géother­mie exploite la chaleur du sous-sol1 : elle est cap­tée et val­orisée sous forme d’électricité ou de chaleur. Pen­chons-nous sur la pro­duc­tion de chaleur, l’objectif du gouvernement.

Les géothermies pour produire de la chaleur

À plus de 200 mètres de pro­fondeur, la géother­mie pro­fonde basse énergie – comme l’aquifère du Dog­ger en Île-de-France – con­siste à pom­per puis réin­jecter l’eau d’aquifères, des réser­voirs souter­rains. Elle y est réchauf­fée par la dés­in­té­gra­tion naturelle des élé­ments radioac­t­ifs des roches du sous-sol. La géother­mie pro­fonde haute énergie – comme à Soultz-sous-Forêts en Alsace – exploite l’eau naturelle­ment con­tenue dans des roches frac­turées. Ces sites se situent dans des zones vol­caniques actives ou encore dans des fos­sés d’effondrement (des struc­tures géologiques particulières).

À moins de 200 mètres de pro­fondeur, la géother­mie de sur­face exploite l’inertie du sol, presque insen­si­ble aux vari­a­tions de la tem­péra­ture atmo­sphérique : elle demeure con­stante autour de 10–15 °C en France mét­ro­pol­i­taine. L’utilisation d’une pompe à chaleur géother­mique (PACg) est néces­saire : elle val­orise la dif­férence de tem­péra­ture entre la sur­face et le sous-sol. La chaleur est récupérée en pom­pant (puis réin­jec­tant) l’eau souter­raine ou en faisant cir­culer un flu­ide calo­por­teur au sein d’un tuyau dans le sol chaud.

La géothermie en France

En France, la chaleur pro­duite par géother­mie pro­fonde ali­mente prin­ci­pale­ment des réseaux de chaleur urbains (au nom­bre de 59 aujourd’hui) et est util­isée dans des procédés indus­triels (2 TWh au total) ou pour chauf­fer des ser­res. « Avec un plan ambitieux de déploiement, il serait pos­si­ble de pro­duire une dizaine de TWh de chaleur sup­plé­men­taire d’ici 20 ans. », com­plète Mikaël Philippe, respon­s­able de l’unité Géother­mies et Stock­age d’Énergie du BRGM. Elle est par­ti­c­ulière­ment intéres­sante pour ali­menter les grandes aggloméra­tions : elle néces­site l’installation d’un réseau de chaleur et d’une cen­trale à prox­im­ité, d’une emprise d’environ 2 000 m2. « Il existe de nom­breux aquifères non exploités aux ressources très intéres­santes, décrit Mikaël Philippe. Nous déb­u­tons de nou­veaux pro­grammes d’exploration et de recherche pour mieux éval­uer leur poten­tiel. » Ces bassins se situent à l’Ouest de Paris, dans le Sud-Est de la France ou dans le bassin aquitain. La lim­ite ? « L’exploitation de la ressource n’est pos­si­ble qu’en adéqua­tion avec le besoin : il est indis­pens­able que l’aquifère se situe à prox­im­ité d’une forte den­sité de pop­u­la­tion. », répond Mikaël Philippe.

Autre poten­tiel à dévelop­per : la géother­mie de sur­face. Elle représente la plus grande par­tie de la chaleur géother­male pro­duite aujourd’hui en France (4,8 TWh). « Nous esti­mons le poten­tiel atteignable d’ici 20 ans à 100 TWh, c’est 10 fois plus qu’avec la géother­mie pro­fonde », pré­cise Mikaël Philippe. Son intérêt majeur ? Elle est disponible sur la qua­si-total­ité du ter­ri­toire français, con­traire­ment à la géother­mie pro­fonde. « La géother­mie de sur­face est par­ti­c­ulière­ment intéres­sante dans les zones d’habitats dis­per­sés moyen­nement dens­es, ajoute Mikaël Philippe. Sa réversibil­ité pour pro­duire du froid, grâce aux PACg, est un véri­ta­ble atout dans le con­texte du change­ment cli­ma­tique. »

Quelles limites pour la géothermie ?

Pour­tant, une très faible part de la con­som­ma­tion de chaleur est fournie par la géother­mie en France : en 2021, elle s’élève à 1 % de la con­som­ma­tion finale2. Pourquoi ? « Elle est peu con­nue du grand pub­lic et des col­lec­tiv­ités, décrit Mikaël Philippe. On dénom­bre égale­ment peu d’entreprises de for­age sur le ter­ri­toire. Avec l’aide de plusieurs struc­tures, nous tra­vail­lons à lever ces freins. » Les coûts d’investissement sont égale­ment élevés, même si l’État sou­tient son déploiement à l’aide de dif­férents dis­posi­tifs (Fonds Chaleur, MaPrimeRen­ov’, Coup de pouce chauffage). Pour une mai­son indi­vidu­elle, l’Ademe estime3 le coût (hors aides) d’une PACg à 2 731 € TTC/an (instal­la­tion com­prise), con­tre 2 236 € pour une chaudière à gaz ou 4 429 € pour un chauffage élec­trique. Le cal­cul s’avère cepen­dant dif­férent si la hausse du prix de l’électricité, du gaz et du bois est prise en compte : la géother­mie devient la solu­tion au plus faible coût de fonc­tion­nement. Pour le col­lec­tif et le ter­ti­aire, la géother­mie de sur­face est la solu­tion la plus onéreuse actuellement.

En 2021, la géother­mie représen­tait 1 % de la con­som­ma­tion finale de chaleur.

Qu’en est-il à l’international ? Tout le monde a en tête les images de cen­trales entourées de vapeur en Islande. En ali­men­tant une tur­bine, la chaleur géother­male (supérieure à 110 °C) sert ici à pro­duire en cogénéra­tion de la chaleur et de l’électricité. En Islande, en 2013, 29 % de l’électricité est pro­duite avec cette tech­nique et 45 % des bâti­ments sont chauf­fés4. Mais l’Islande fait fig­ure de mod­èle : à tra­vers le monde en 2022, seule 0,37 % de la chaleur con­som­mée est d’origine géother­mique5. La pro­duc­tion française de chaleur se monte à 6,7 TWh, con­tre 82,1 TWh à l’échelle de l’Europe6 et 26 000 TWh à l’échelle mon­di­ale7. Con­cer­nant l’électricité, les États-Unis enreg­istrent la plus grande capac­ité de pro­duc­tion (2,5 TWh), suiv­is de l’Indonésie et des Philip­pines8. En France, la pro­duc­tion élec­trique se lim­ite essen­tielle­ment aux cen­trales de Bouil­lante en Guade­loupe (112 GWh/an) et de Soultz-sous-Forêts en Alsace (12 GWh/an).

« En France, nous notons une accéléra­tion des pro­jets de pro­duc­tion de chaleur notam­ment pour les bâti­ments ter­ti­aires et les réseaux de chaleur. », pré­cise Mikaël Philippe. D’après l’Agence inter­na­tionale de l’énergie, la Chine et la Turquie sont respon­s­ables de la majorité de la crois­sance de la pro­duc­tion de chaleur géother­male ces dernières années. Dans ses pro­jec­tions, l’agence estime que la crois­sance chi­noise devrait se main­tenir, mais note égale­ment que l’Europe est l’un des marchés les plus act­ifs : le con­ti­nent devrait enreg­istr­er une hausse de 270 % de con­som­ma­tion d’énergie géother­male entre 2019 et 2024. 

LES SÉISMES LIÉS À LA GÉOTHERMIE PROFONDE

L’exploitation géother­male d’eaux pro­fondes s’accompagne sou­vent de séismes. « C’est un phénomène bien con­nu, les opéra­teurs ont l’obligation de sur­veiller cette sis­mic­ité. », rap­porte Jérôme Vergne, physi­cien à l’École et Obser­va­toire des Sci­ences de la Terre à Stras­bourg. Les séismes mesurés demeurent très sou­vent inférieurs à la mag­ni­tude 1,5 et ne sont pas ressen­tis par la pop­u­la­tion. « Dans cer­tains cas par­ti­c­uliers,quelques séismes d’une mag­ni­tude plus élevée survi­en­nent : par exem­ple entre 2019 et 2021, trois séismes de mag­ni­tude 3 à 3,9 ont été enreg­istrés lors de la phase de pré­pa­ra­tion du site de très grande pro­fondeur de Venden­heim, dans le Nord de l’Eurométropole de Stras­bourg. », ren­seigne Jérôme Vergne.

La majorité de l’activité sis­mique est générée lors des phas­es de stim­u­la­tion hydraulique : un mélange d’eau et d’adjuvant est injec­té sous pres­sion pour amélior­er la cir­cu­la­tion des flu­ides géother­maux dans les réser­voirs. « Or ces réser­voirs sont naturelle­ment per­méables notam­ment grâce aux fis­sures et failles, des frac­tures naturelles le long desquelles les séismes peu­vent se pro­duire, explique Jérôme Vergne. L’injection d’eau mod­i­fie les pres­sions s’exerçant sur celles-ci et peut génér­er des rup­tures sis­miques. » On par­le alors de séismes induits. Par­fois, des séismes plus impor­tants sont enreg­istrés, comme le séisme de Pohang (Corée du Sud) en 2017 d’une mag­ni­tude de 5,4 (le plus impor­tant asso­cié à un pro­jet de géother­mie). « Dans ce cas la géother­mie n’a pas induit un séisme inédit, on par­le plutôt de séisme déclenché, com­mente Jérôme Vergne. L’exploitation géother­male a accéléré la sur­v­enue d’un séisme qui aurait eu lieu naturelle­ment plus tard, c’est la goutte d’eau qui a fait débor­der le vase. »  Un sys­tème de préven­tion – bap­tisé « feux tri­col­ores » – est mis en place pour chaque pro­jet de géother­mie pro­fonde haute énergie. À Illkirch-Graf­fen­staden et Venden­heim, il prévoit le pas­sage en vig­i­lance ren­for­cée dès qu’un séisme de mag­ni­tude 1,5 est enreg­istré, et un arrêt pro­gres­sif pour tout séisme atteignant la mag­ni­tude 2.

Anaïs Marechal 
1Site inter­net con­sulté le 30/03/2023 : www​.geot​her​mies​.fr
2Min­istère de la tran­si­tion énergé­tique, 2 févri­er 2023, Géother­mie : un plan d’action pour accélér­er.
3Ademe, Coûts des éner­gies renou­ve­lables et de récupéra­tion en France, édi­tion 2022.
4Site inter­net con­sulté le 31/03/2023 : https://​nea​.is/​g​e​o​t​h​e​r​m​a​l​/​t​h​e​-​r​e​s​o​urce/
5IEA (2019d), World Ener­gy Sta­tis­tics and Bal­ances 2018 (data­base), www​.iea​.org/​s​t​a​t​i​s​tics/; IEA (forth­com­ing), World Ener­gy Out­look 2019.
6Site inter­net con­sulté le 30/03/2023 : www​.geot​her​mies​.fr
7IEA (2019), Renew­ables 2019, IEA, Paris https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​r​e​n​e​w​a​b​l​e​s​-2019, License: CC BY 4.0
8Site inter­net con­sulté le 30/03/2023 : www​.geot​her​mies​.fr

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter