Chaleur géothermale : la grande oubliée des énergies renouvelables
- La géothermie exploite la chaleur du sous-sol : elle est captée et valorisée sous forme d’électricité ou de chaleur.
- Elle est particulièrement intéressante pour les zones urbaines, et constitue un véritable atout dans le contexte du changement climatique.
- Pourtant, une très faible part de la consommation de chaleur est fournie par la géothermie en France : en 2021, elle s’élève à 1 % de la consommation finale.
- En effet, elle est peu connue du grand public et des collectivités, et il existe assez peu d’entreprises de forage en France.
- Grâce aux nombreux projets qui sont mis en place, l’Europe devrait enregistrer une hausse de 270 % de consommation d’énergie géothermale entre 2019 et 2024.
Et si la France misait en partie sur la géothermie pour atteindre la neutralité carbone ? En février dernier, le gouvernement présentait un plan d’action pour accélérer son déploiement. L’objectif : « Produire en 15 à 20 ans suffisamment de chaleur pour économiser 100 TWh/an de gaz, soit plus que les importations en de gaz russe avant 2022. » La programmation pluriannuelle de l’énergie vise à multiplier par 2 ou plus les installations de production de chaleur géothermale entre 2016 et 2028.
La géothermie exploite la chaleur du sous-sol1 : elle est captée et valorisée sous forme d’électricité ou de chaleur. Penchons-nous sur la production de chaleur, l’objectif du gouvernement.
Les géothermies pour produire de la chaleur
À plus de 200 mètres de profondeur, la géothermie profonde basse énergie – comme l’aquifère du Dogger en Île-de-France – consiste à pomper puis réinjecter l’eau d’aquifères, des réservoirs souterrains. Elle y est réchauffée par la désintégration naturelle des éléments radioactifs des roches du sous-sol. La géothermie profonde haute énergie – comme à Soultz-sous-Forêts en Alsace – exploite l’eau naturellement contenue dans des roches fracturées. Ces sites se situent dans des zones volcaniques actives ou encore dans des fossés d’effondrement (des structures géologiques particulières).
À moins de 200 mètres de profondeur, la géothermie de surface exploite l’inertie du sol, presque insensible aux variations de la température atmosphérique : elle demeure constante autour de 10–15 °C en France métropolitaine. L’utilisation d’une pompe à chaleur géothermique (PACg) est nécessaire : elle valorise la différence de température entre la surface et le sous-sol. La chaleur est récupérée en pompant (puis réinjectant) l’eau souterraine ou en faisant circuler un fluide caloporteur au sein d’un tuyau dans le sol chaud.
La géothermie en France
En France, la chaleur produite par géothermie profonde alimente principalement des réseaux de chaleur urbains (au nombre de 59 aujourd’hui) et est utilisée dans des procédés industriels (2 TWh au total) ou pour chauffer des serres. « Avec un plan ambitieux de déploiement, il serait possible de produire une dizaine de TWh de chaleur supplémentaire d’ici 20 ans. », complète Mikaël Philippe, responsable de l’unité Géothermies et Stockage d’Énergie du BRGM. Elle est particulièrement intéressante pour alimenter les grandes agglomérations : elle nécessite l’installation d’un réseau de chaleur et d’une centrale à proximité, d’une emprise d’environ 2 000 m2. « Il existe de nombreux aquifères non exploités aux ressources très intéressantes, décrit Mikaël Philippe. Nous débutons de nouveaux programmes d’exploration et de recherche pour mieux évaluer leur potentiel. » Ces bassins se situent à l’Ouest de Paris, dans le Sud-Est de la France ou dans le bassin aquitain. La limite ? « L’exploitation de la ressource n’est possible qu’en adéquation avec le besoin : il est indispensable que l’aquifère se situe à proximité d’une forte densité de population. », répond Mikaël Philippe.
Autre potentiel à développer : la géothermie de surface. Elle représente la plus grande partie de la chaleur géothermale produite aujourd’hui en France (4,8 TWh). « Nous estimons le potentiel atteignable d’ici 20 ans à 100 TWh, c’est 10 fois plus qu’avec la géothermie profonde », précise Mikaël Philippe. Son intérêt majeur ? Elle est disponible sur la quasi-totalité du territoire français, contrairement à la géothermie profonde. « La géothermie de surface est particulièrement intéressante dans les zones d’habitats dispersés moyennement denses, ajoute Mikaël Philippe. Sa réversibilité pour produire du froid, grâce aux PACg, est un véritable atout dans le contexte du changement climatique. »
Quelles limites pour la géothermie ?
Pourtant, une très faible part de la consommation de chaleur est fournie par la géothermie en France : en 2021, elle s’élève à 1 % de la consommation finale2. Pourquoi ? « Elle est peu connue du grand public et des collectivités, décrit Mikaël Philippe. On dénombre également peu d’entreprises de forage sur le territoire. Avec l’aide de plusieurs structures, nous travaillons à lever ces freins. » Les coûts d’investissement sont également élevés, même si l’État soutient son déploiement à l’aide de différents dispositifs (Fonds Chaleur, MaPrimeRenov’, Coup de pouce chauffage). Pour une maison individuelle, l’Ademe estime3 le coût (hors aides) d’une PACg à 2 731 € TTC/an (installation comprise), contre 2 236 € pour une chaudière à gaz ou 4 429 € pour un chauffage électrique. Le calcul s’avère cependant différent si la hausse du prix de l’électricité, du gaz et du bois est prise en compte : la géothermie devient la solution au plus faible coût de fonctionnement. Pour le collectif et le tertiaire, la géothermie de surface est la solution la plus onéreuse actuellement.
En 2021, la géothermie représentait 1 % de la consommation finale de chaleur.
Qu’en est-il à l’international ? Tout le monde a en tête les images de centrales entourées de vapeur en Islande. En alimentant une turbine, la chaleur géothermale (supérieure à 110 °C) sert ici à produire en cogénération de la chaleur et de l’électricité. En Islande, en 2013, 29 % de l’électricité est produite avec cette technique et 45 % des bâtiments sont chauffés4. Mais l’Islande fait figure de modèle : à travers le monde en 2022, seule 0,37 % de la chaleur consommée est d’origine géothermique5. La production française de chaleur se monte à 6,7 TWh, contre 82,1 TWh à l’échelle de l’Europe6 et 26 000 TWh à l’échelle mondiale7. Concernant l’électricité, les États-Unis enregistrent la plus grande capacité de production (2,5 TWh), suivis de l’Indonésie et des Philippines8. En France, la production électrique se limite essentiellement aux centrales de Bouillante en Guadeloupe (112 GWh/an) et de Soultz-sous-Forêts en Alsace (12 GWh/an).
« En France, nous notons une accélération des projets de production de chaleur notamment pour les bâtiments tertiaires et les réseaux de chaleur. », précise Mikaël Philippe. D’après l’Agence internationale de l’énergie, la Chine et la Turquie sont responsables de la majorité de la croissance de la production de chaleur géothermale ces dernières années. Dans ses projections, l’agence estime que la croissance chinoise devrait se maintenir, mais note également que l’Europe est l’un des marchés les plus actifs : le continent devrait enregistrer une hausse de 270 % de consommation d’énergie géothermale entre 2019 et 2024.
LES SÉISMES LIÉS À LA GÉOTHERMIE PROFONDE
L’exploitation géothermale d’eaux profondes s’accompagne souvent de séismes. « C’est un phénomène bien connu, les opérateurs ont l’obligation de surveiller cette sismicité. », rapporte Jérôme Vergne, physicien à l’École et Observatoire des Sciences de la Terre à Strasbourg. Les séismes mesurés demeurent très souvent inférieurs à la magnitude 1,5 et ne sont pas ressentis par la population. « Dans certains cas particuliers,quelques séismes d’une magnitude plus élevée surviennent : par exemple entre 2019 et 2021, trois séismes de magnitude 3 à 3,9 ont été enregistrés lors de la phase de préparation du site de très grande profondeur de Vendenheim, dans le Nord de l’Eurométropole de Strasbourg. », renseigne Jérôme Vergne.
La majorité de l’activité sismique est générée lors des phases de stimulation hydraulique : un mélange d’eau et d’adjuvant est injecté sous pression pour améliorer la circulation des fluides géothermaux dans les réservoirs. « Or ces réservoirs sont naturellement perméables notamment grâce aux fissures et failles, des fractures naturelles le long desquelles les séismes peuvent se produire, explique Jérôme Vergne. L’injection d’eau modifie les pressions s’exerçant sur celles-ci et peut générer des ruptures sismiques. » On parle alors de séismes induits. Parfois, des séismes plus importants sont enregistrés, comme le séisme de Pohang (Corée du Sud) en 2017 d’une magnitude de 5,4 (le plus important associé à un projet de géothermie). « Dans ce cas la géothermie n’a pas induit un séisme inédit, on parle plutôt de séisme déclenché, commente Jérôme Vergne. L’exploitation géothermale a accéléré la survenue d’un séisme qui aurait eu lieu naturellement plus tard, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. » Un système de prévention – baptisé « feux tricolores » – est mis en place pour chaque projet de géothermie profonde haute énergie. À Illkirch-Graffenstaden et Vendenheim, il prévoit le passage en vigilance renforcée dès qu’un séisme de magnitude 1,5 est enregistré, et un arrêt progressif pour tout séisme atteignant la magnitude 2.