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Changement climatique : pourquoi El Niño pique sa crise ?

Lauriane Batté
Lauriane Batté
responsable du département de l’analyse et du suivi climatique de Météo-France
Juliette Mogné
Juliette Mignot
océanographe à l’Institut de recherche pour le développement (IRD)
En bref
  • El Niño est une oscillation naturelle du climat d’une durée de 6 à 18 mois.
  • Les raisons de son déclenchement sont, encore aujourd’hui, peu comprises et son intensité très variable est difficile à prévoir.
  • Depuis cet été, un épisode d’El Niño est en cours.
  • Ses conséquences, elles, sont très connues : un El Niño déclenche des téléconnexions climatiques qui peuvent impacter tout le globe (pluies, sécheresses, cyclones…)
  • Les effets de El Niño se cumulent et interagissent avec les autres phénomènes climatiques naturels et l’impact des activités humaines sur la planète.

El Niño, tem­péra­tures au-delà des normes de sai­son, canicules marines, change­ment cli­ma­tique d’origine humaine… Les phénomènes large­ment médi­atisés de ces derniers mois peu­vent prêter à con­fu­sion. Par­fois, leurs effets se ressem­blent. Par­fois, un lien existe entre eux. Mais atten­tion : s’ils coex­is­tent actuelle­ment, leurs rythmes, leurs durées ou leurs orig­ines sont bien différents.

Depuis cet été, un épisode El Niño d’une inten­sité mod­érée est en cours1. Le phénomène qui n’avait pas eu lieu depuis 7 ans a fait la une des jour­naux en rai­son des prévi­sions ini­tiales – désor­mais revues à la baisse – qui évo­quaient la pos­si­bil­ité d’un El Niño intense. El Niño est une oscil­la­tion naturelle du cli­mat. D’une durée typ­ique de 6 à 18 mois, le phénomène se met en place tous les 2 à 7 ans. Le cycle alterne avec des phas­es neu­tres et des phas­es La Niña, l’opposé d’El Niño. « Le fac­teur déclen­chant la mise en place d’un El Niño n’est pas réelle­ment con­nu, témoigne Lau­ri­ane Bat­té. En revanche, le phénomène et ses con­séquences sont très bien décrits aujourd’hui. »

Com­ment recon­naître un El Niño ? On observe tout d’abord un ralen­tisse­ment des alizés, ces vents des régions intertrop­i­cales souf­flant d’est en ouest. Des coups de vent inhab­ituels venant de l’ouest ont lieu dans le Paci­fique, et le cen­tre et l’est du Paci­fique équa­to­r­i­al se réchauf­fent. Actuelle­ment, la tem­péra­ture de sur­face au cen­tre du Paci­fique équa­to­r­i­al est 1,5 °C au-dessus des nor­males. « Cer­tains préreq­uis à la mise en place d’El Niño per­me­t­tent d’anticiper sa sur­v­enue plusieurs mois en avance, détaille Juli­ette Mignot. En revanche, son inten­sité est liée aux coups de vent inhab­ituels d’ouest : ils sont assez peu prévis­i­bles, cela com­plique les pro­jec­tions cli­ma­tiques. »

L’ampleur actuelle des anom­alies de tem­péra­ture de sur­face de la mer est telle qu’elle ne peut être qu’une sig­na­ture du réchauf­fe­ment climatique

Les con­séquences ? Même si le phénomène est local­isé dans le Paci­fique trop­i­cal, il déclenche des télé­con­nex­ions cli­ma­tiques à tra­vers de nom­breuses régions du globe2 : le cli­mat varie jusqu’à plusieurs mil­liers de kilo­mètres de El Niño. Les pré­cip­i­ta­tions aug­mentent dans cer­taines régions de l’Amérique du Sud et de l’Asie cen­trale, au sud des États-Unis et dans la Corne de l’Afrique3. À l’inverse, des épisodes de sécher­esse ont lieu en Aus­tralie, Indonésie, et dans cer­taines régions du sud de l’Asie, d’Amérique Cen­trale et du Nord de l’Amérique du Sud. Les tem­péra­tures sont aug­men­tées dans cer­taines régions et l’activité cyclonique est, elle aus­si, mod­i­fiée : des cyclones majeurs ont lieu sur le Paci­fique. La Polynésie est plus exposée au risque, tan­dis que le risque est dimin­ué dans le bassin Atlan­tique. Les retombées sont faibles sur le cli­mat européen.

D’une année à l’autre, le cli­mat glob­al varie selon la présence d’El Niño ou de La Niña. Mais ces phénomènes ne sont pas les seules mod­u­la­tions naturelles du sys­tème cli­ma­tique. D’autres sont bien con­nues : l’oscillation Nord Atlan­tique, le mode annu­laire Sud ou encore le dipôle de l’océan Indi­en. Ce dernier est d’ailleurs, tout comme El Niño, en cours jusqu’au moins décem­bre4. « Avec El Niño, ces vari­a­tions sont celles qui ont le plus de retombées sur les vari­a­tions saison­nières du cli­mat d’une année à l’autre », explique Lau­ri­ane Bat­té. D’autres exis­tent, à des échelles de temps beau­coup plus grandes : la vari­abil­ité mul­ti­dé­cen­nale Atlan­tique peut per­sis­ter dans la même phase pen­dant 50 à 70 ans !

Les aléas climatiques : un cumul de facteurs aggravés par les activités humaines

À ces phénomènes s’ajoute l’effet des activ­ités humaines sur le cli­mat. Mais atten­tion : ici, on change d’échelle spa­tiale et tem­porelle. Cela con­cerne toute la planète et provoque une aug­men­ta­tion de la tem­péra­ture glob­ale – de l’atmosphère et des océans – régulière depuis l’ère indus­trielle. Le réchauf­fe­ment glob­al lié aux activ­ités humaines s’élève désor­mais à +1,1 °C par rap­port à l’ère préin­dus­trielle5. Depuis 2012, la tem­péra­ture glob­ale de sur­face des mers est sys­té­ma­tique­ment supérieure à la moyenne des années 1982 à 20116. « L’ampleur actuelle des anom­alies de tem­péra­ture de sur­face de la mer est telle, qu’elle ne peut être qu’une sig­na­ture du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, explique Lau­ri­ane Bat­té. Les oscil­la­tions naturelles sont local­isées, ici le réchauf­fe­ment est con­staté partout sur le globe. »

Résul­tat : les mesures cli­ma­tiques – tem­péra­ture des océans ou de l’atmosphère – cumu­lent l’ensemble de ces fac­teurs : le réchauf­fe­ment glob­al à long terme lié aux activ­ités humaines, les phénomènes à court-terme El Niño et le dipôle de l’Océan indi­en en cours. « Un phénomène El Niño très fort peut con­tribuer à aug­menter la tem­péra­ture moyenne glob­ale de plus de 1 °C, pré­cise Juli­ette Mignot. Cette année, celle-ci va donc être plus élevée, mais cela ne sig­ni­fiera pas pour autant que le réchauf­fe­ment lié aux activ­ités humaines s’accélère ! Cela sera une sig­na­ture d’El Niño, cumulée au réchauf­fe­ment cli­ma­tique d’origine anthropique. »

Pour com­plex­i­fi­er encore un peu plus le tableau, le change­ment cli­ma­tique lié aux activ­ités humaines mod­i­fie aus­si les oscil­la­tions naturelles. Il est, par exem­ple, très prob­a­ble que les émis­sions de gaz à effet de serre et/ou l’appauvrissement de la couche d’ozone aient con­tribué à une phase pos­i­tive d’une oscil­la­tion cli­ma­tique local­isée en Aus­tralie (le mode annu­laire Sud) entre les années 1970 et 20007. Con­cer­nant la vari­abil­ité mul­ti­dé­cen­nale Atlan­tique, dans une phase froide entre les années 60 et 90, il sem­ble que sa durée et inten­sité ont été influ­encées par les émis­sions d’aérosols liées aux activ­ités humaines et vol­caniques. « Avec ces exem­ples, nous n’observons pas une sim­ple addi­tion des effets du change­ment cli­ma­tique dû aux activ­ités humaines aux vari­a­tions naturelles du cli­mat, mais une vraie inter­ac­tion entre les deux », appuie Juli­ette Mignot. Lau­ri­ane Bat­té pour­suit : « Con­cer­nant El Niño en revanche, il reste encore beau­coup d’incertitudes sur l’impact du change­ment cli­ma­tique sur le phénomène. » Au quo­ti­di­en, la météo résulte d’un ensem­ble de fac­teurs régis par des vari­a­tions naturelles, mais est aus­si liées aux activ­ités humaines. Face à une infor­ma­tion rel­a­tive au cli­mat, il est fon­da­men­tal de garder en tête les échelles de temps et spa­tiale qui sont en jeu.

Anaïs Marechal
1Site inter­net con­sulté le 26/10/2023 : https://​mete​ofrance​.com/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​-​e​t​-​d​o​s​s​i​e​r​s​/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​e​l​-​n​i​n​o​-​e​s​t​-​d​e​-​r​e​t​o​u​r​-​q​u​e​l​l​e​s​-​c​o​n​s​e​q​u​e​n​c​e​s​-​e​c​h​e​l​l​e​-​m​o​n​d​i​a​l​e​-​e​t​-​e​urope
2IPCC, 2021: Annex IV: Modes of Vari­abil­i­ty [Cas­sou, C., A. Cher­chi, Y. Kosa­ka (eds.)]. In Cli­mate Change 2021: The Phys­i­cal Sci­ence Basis. Con­tri­bu­tion of Work­ing Group I to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change [Mas­son-Del­motte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Con­nors, C. Péan, S. Berg­er, N. Caud, Y. Chen, L. Gold­farb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lon­noy, J.B.R. Matthews, T.K. May­cock, T. Water­field, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, Unit­ed King­dom and New York, NY, USA, pp. 2153–2192, doi:10.1017/9781009157896.018.
3Com­mu­niqué de presse n° 04072023, Organ­i­sa­tion météorologique mon­di­ale
4Site inter­net con­sulté le 26/10/2023 : http://​www​.bom​.gov​.au/​c​l​i​m​a​t​e​/​e​n​s​o​/​#​o​v​e​r​v​i​e​w​-​s​e​c​t​i​o​n​=​S​u​mmary
5IPCC, 2023: Sum­ma­ry for Pol­i­cy­mak­ers. In: Cli­mate Change 2023: Syn­the­sis Report. Con­tri­bu­tion of Work­ing Groups I, II and III to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change [Core Writ­ing Team, H. Lee and J. Romero (eds.)]. IPCC, Gene­va, Switzer­land, pp. 1–34, doi: 10.59327/IPCC/AR6-9789291691647.001
6Site inter­net con­sulté le 31/10/2023 : https://​cli​matere​an​a​lyz​er​.org/​c​l​i​m​/​s​s​t​_​d​aily/
7Eyring, V., N.P. Gillett, K.M. Achuta Rao, R. Bari­malala, M. Bar­reiro Par­ril­lo, N. Bel­louin, C. Cas­sou, P.J. Durack, Y. Kosa­ka, S. McGre­gor, S. Min, O. Mor­gen­stern, and Y. Sun, 2021: Human Influ­ence on the Cli­mate Sys­tem. In Cli­mate Change 2021: The Phys­i­cal Sci­ence Basis. Con­tri­bu­tion of Work­ing Group I to the Sixth Assess­ment Report of the Inter­gov­ern­men­tal Pan­el on Cli­mate Change [Mas­son-Del­motte, V., P. Zhai, A. Pirani, S.L. Con­nors, C. Péan, S. Berg­er, N. Caud, Y. Chen, L. Gold­farb, M.I. Gomis, M. Huang, K. Leitzell, E. Lon­noy, J.B.R. Matthews, T.K. May­cock, T. Water­field, O. Yelekçi, R. Yu, and B. Zhou (eds.)]. Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, Unit­ed King­dom and New York, NY, USA, pp. 423–552, doi: 10.1017/9781009157896.005.

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