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Le péril silencieux des polluants éternels

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Stéphane Vuilleumier
professeur de microbiologie et de biologie de l’environnement à l’Université de Strasbourg
Mickael RYCKELYNCK
Michaël Ryckelynck
professeur de biochimie à l’Université de Strasbourg
En bref
  • Les PFAS, qualifiés de polluants éternels, inquiètent la communauté scientifique en raison de leur toxicité persistante.
  • Une enquête menée par de grands médias a établi une cartographie détaillée des dizaines de milliers de sites contaminés par les PFAS à travers l’Europe.
  • Les industriels, qui ne bénéficient pas d’alternative satisfaisante, continuent d’utiliser les PFAS malgré leur nocivité connue.
  • Une des solutions investiguées est la recherche d’une « bactérie dépolluante » capable de dégrader ces composés.
  • La lutte contre les PFAS nécessite une approche pluridisciplinaire ; le CNRS a dédié un groupe de travail à leur détection et dépollution, ainsi qu’aux composés alternatifs.
  • Innover en matière de solutions dépolluantes ne suffira pas, il est nécessaire de réglementer ces polluants éternels.

Les PFAS, des com­posés chim­iques tox­iques et per­sis­tants, ont envahi chaque recoin de notre planète. Si la com­mu­nauté en sci­ences biologiques est mobil­isée pour débus­quer les micro-organ­ismes poten­tielle­ment capa­bles de les dégrad­er, la solu­tion dépasse les fron­tières des lab­o­ra­toires, appelant à une réponse col­lec­tive et réglementaire.

Des chiffres alar­mants témoignent de l’ampleur de la pol­lu­tion : 1 433 ng/L au fond d’un puits du vil­lage béar­nais de Monts, 1 546 ng/L à la sor­tie d’un for­age de La Trem­blade en face de l’Île d’Oléron, 2 399 ng/Kg dans des œufs de poules à prox­im­ité du bassin indus­triel de Pierre-Bénite au sud de Lyon. Ces relevés comptent par­mi les sites français les plus con­t­a­m­inés par les PFAS, des pol­lu­ants dits éter­nels qui inquiè­tent la com­mu­nauté sci­en­tifique et au-delà, en rai­son de leur tox­i­c­ité et de leur per­sis­tance dans l’environnement.

L’acronyme PFAS regroupe les sub­stances per- et poly-flu­o­roalkylées. « Ces com­posés chim­iques indus­triels entrent dans la com­po­si­tion de nom­breux pro­duits du quo­ti­di­en, comme les plas­tiques d’emballages ali­men­taires et les bat­ter­ies », détaille Stéphane Vuilleu­mi­er, micro­bi­ol­o­giste et pro­fesseur à l’Université de Stras­bourg. On les retrou­ve égale­ment dans les mouss­es anti-incendie, dans les procédés de pro­duc­tion de papi­er ou de fini­tion des textiles.

Les PFAS sont partout

Début 2023, un impres­sion­nant tra­vail d’enquête, mené par un con­sor­tium de grands médias européens tels que Le Monde et The Guardian, a per­mis d’établir une car­togra­phie1 détail­lée des sites con­t­a­m­inés par les PFAS à tra­vers le con­ti­nent. Leurs travaux lèvent le voile sur une pol­lu­tion mas­sive des eaux, des sédi­ments et des sols européens. Ils ont réper­torié des dizaines de mil­liers de sites, dont un peu plus de 2 100 « hot spots », où la con­cen­tra­tion dépasse large­ment les seuils jugés dan­gereux pour la san­té (à savoir 100 ng/L).

Cette car­togra­phie ne liste cepen­dant que les sites testés ou iden­ti­fiés comme par­ti­c­ulière­ment exposés et n’englobe que les sub­stances les mieux con­nues (une dizaine). Or, le chercheur souligne la paru­tion d’une nou­velle nomen­cla­ture qui classe désor­mais plusieurs mil­lions de sub­stances dif­férentes2 dans cette caté­gorie, sug­gérant que la dis­sémi­na­tion des PFAS est glob­ale­ment sous-estimée. « Il n’existe a pri­ori pas un seul endroit sur Terre qui n’ait pas de trace de PFAS », insiste le chercheur.

Mal­gré les preuves sci­en­tifiques de leur nociv­ité « même à de très faibles con­cen­tra­tions », ces sub­stances con­tin­u­ent d’être large­ment pro­duites et util­isées par les indus­triels, qui ne béné­fi­cient pas d’alternatives sat­is­faisantes. Leurs effets délétères sur la san­té humaine sont pour­tant de mieux en mieux car­ac­térisés, rap­pelle Stéphane Vuilleu­mi­er, « notam­ment sur le sys­tème immu­ni­taire3 ou sur le plan hor­mon­al, en agis­sant comme des per­tur­ba­teurs endocriniens 4 ».

Un modèle de résistance à briser

Les PFAS sont qual­i­fiés de pol­lu­ants éter­nels, car ils ont la par­tic­u­lar­ité d’être con­sti­tués d’une liai­son car­bone-flu­or qui rend impos­si­ble leur biodégra­da­tion. « Il n’existe que très peu de com­posés organiques naturels qui con­ti­en­nent du flu­or » pré­cise Michael Ryck­e­lynck, biochimiste et pro­fesseur à l’Université de Stras­bourg. En 2020, ce spé­cial­iste de la microflu­idique s’est asso­cié avec Stéphane Vuilleu­mi­er pour trou­ver des bac­téries capa­bles de bris­er cette liai­son, de déflu­o­r­er. Le souci ? On estime aujour­d’hui que plus d’un mil­liard d’e­spèces de bac­téries dif­férentes existe. Trou­ver la can­di­date idéale revient à rechercher une aigu­ille dans une botte de foin. 

Tech­nolo­gie microflu­idique dévelop­pée pour la recherche de l’activité de déflu­o­ra­tion. Des petites gout­telettes d’eau dans l’huile de quelques picol­itres (mil­liardièmes de mil­li­l­itre) et con­tenant des bac­téries sont pro­duites grâce à des microp­uces. Les bac­téries dans ces gout­telettes (indiquées par une flèche sur le cliché A, à gauche) s’y dévelop­pent. Lorsque les bac­téries sont capa­bles de réalis­er la réac­tion de déflu­o­ra­tion recher­chée, les gout­telettes devi­en­nent flu­o­res­centes (en vert sur la pho­to B, à droite), les ren­dant faciles à iden­ti­fi­er et à isol­er pour car­ac­téris­er le sys­tème cat­aly­tique bac­térien respon­s­able de cette réac­tion. Crédits pho­to : Emi­lie GEERSENS et Michael RYCKELYNCK

« Notre exper­tise en microflu­idique nous per­met, juste­ment, d’ac­célér­er les essais et les réac­tions en les minia­tur­isant dans des vol­umes de l’ordre du picol­itre » décrit-il. Avec cette échelle d’expérience, les chercheurs peu­vent analyser une très grande quan­tité d’échantillons en une seule étape. « Plutôt que de présélec­tion­ner des enzymes et des bac­téries can­di­dates pour ensuite les tester une par une, nous recher­chons la fonc­tion de déflu­o­ra­tion dans un large échan­til­lon (…), à rai­son de deux mil­lions d’analyses par heure. » Ils ont ain­si créé un « pipeline d’analyse » dans lequel inter­agis­sent les bac­téries can­di­dates avec des PFAS et un détecteur de flu­o­rure. Si une de ces bac­téries est capa­ble de dégrad­er le com­posé, un ion flu­o­rure est alors dégagé. Celui-ci sera mis en évi­dence par flu­o­res­cence, per­me­t­tant aux chercheurs d’identifier la bac­térie respon­s­able et de l’isoler pour l’étudier plus en détail ensuite.

La lutte sera collective ou ne sera pas 

Leurs pre­miers travaux5 ont per­mis de démon­tr­er l’efficacité du détecteur de déflu­o­ra­tion. Ils s‘attachent désor­mais à analyser des échan­til­lons envi­ron­nemen­taux (qui provi­en­nent préféren­tielle­ment de sites con­t­a­m­inés) et à amélior­er les pro­priétés de dégra­da­tion de cer­taines des bac­téries d’intérêt. L’ensemble de la com­mu­nauté sci­en­tifique mon­di­ale pour­suit ce même objec­tif : trou­ver « la » bac­térie anti-PFAS. Cepen­dant, à elle seule, une tech­nolo­gie ne pour­ra suf­fire à résoudre le prob­lème des PFAS. Une approche col­lab­o­ra­tive du sujet s’avère indis­pens­able pour y par­venir. « Il faut associ­er notre méth­ode de détec­tion avec des inno­va­tions issues d’autres lab­o­ra­toires, plaide Michael Ryck­e­lynck, comme les mem­branes d’adsorption6 [ndlr : pour capter et stock­er les PFAS], ou d’autres approches de chimie physique per­me­t­tant la dégra­da­tion de ces com­posés. »

Les enjeux économiques sont titanesques pour l’industrie

Cette inter­dis­ci­pli­nar­ité s’est récem­ment con­crétisée en France à l’ini­tia­tive de la Mis­sion pour les Ini­tia­tives Trans­vers­es et Inter­dis­ci­plinaires du CNRS, avec un groupe de tra­vail7 dédié aux sujets de détec­tion et de dépol­lu­tion des PFAS, ain­si qu’aux alter­na­tives à ces com­posés. Chimistes, physi­ciens, biol­o­gistes, ingénieurs, soci­o­logues, math­é­mati­ciens, etc. sont appelés à rejoin­dre ce bouil­lon de sci­ence, qui vis­era à accélér­er l’innovation et l’émergence de solu­tions con­crètes pour traiter le prob­lème des PFAS à sa juste mesure.

Une réglementation nécessaire

Un col­loque sera organ­isé en mars 2024 pour rassem­bler ce large éven­tail de dis­ci­plines et pour créer des inter­ac­tions avec les indus­triels. Ces derniers « doivent faire par­tie de l’équation, insiste Stéphane Vuilleu­mi­er. Il faut bâtir avec eux une rela­tion de con­fi­ance. » Les indus­triels représen­tent une porte d’accès priv­ilégiée des sci­en­tifiques aux échan­til­lons de sol, de sédi­ments ou d’eau à analyser et à traiter. Ils auront, par ailleurs, un intérêt à suiv­re les avancées sci­en­tifiques de près, pour ensuite éval­uer des alter­na­tives pos­si­bles à ces sub­stances ou bien pour implé­menter des pro­to­types de dépollution.

Pour autant, la ten­dance n’est pas encore à une diminu­tion des usages, souligne le chercheur, « car les enjeux économiques sont titanesques pour l’industrie ». Les PFAS sont, en effet, au cœur de la machine pro­duc­tive mon­di­ale : « l’accélération de la fab­ri­ca­tion de bat­ter­ies pour véhicules élec­triques qui sol­licite ce type de sub­stances, par exem­ple, ne va pas for­cé­ment faciliter l’émergence de solu­tions. » Pour autant, la poten­tielle future décou­verte de « bac­téries dépol­lu­antes » ne saurait devenir un pré­texte pour con­tin­uer à pol­luer. Pour les chercheurs, il faut se pos­er la bonne ques­tion : sommes-nous prêts à nous pass­er des PFAS ? Ils plaident ain­si pour que la régle­men­ta­tion évolue, afin de faciliter le proces­sus de tran­si­tion. « Les décideurs doivent opér­er une bal­ance bénéfice/risque entre, d’un côté, l’impact financier que provo­querait une restric­tion de l’usage des PFAS et, de l’autre, le coût en ter­mes de san­té publique qu’entraînerait leur dis­sémi­na­tion con­tin­ue dans l’environnement. »

Quoi qu’il en advi­enne, la com­mu­nauté sci­en­tifique se tient en ordre de marche, tant pour innover en matière de solu­tions dépol­lu­antes, que pour éclair­er la déci­sion publique et enray­er la dis­per­sion menaçante de ces pol­lu­ants éternels.

Samuel Belaud
1https://​www​.lemonde​.fr/​l​e​s​-​d​e​c​o​d​e​u​r​s​/​a​r​t​i​c​l​e​/​2​0​2​3​/​0​2​/​2​3​/​p​o​l​l​u​a​n​t​s​-​e​t​e​r​n​e​l​s​-​e​x​p​l​o​r​e​z​-​l​a​-​c​a​r​t​e​-​d​-​e​u​r​o​p​e​-​d​e​-​l​a​-​c​o​n​t​a​m​i​n​a​t​i​o​n​-​p​a​r​-​l​e​s​-​p​f​a​s​_​6​1​6​2​9​4​2​_​4​3​5​5​7​7​0​.html
2https://​pubs​.acs​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​0​2​1​/​a​c​s​.​e​s​t​.​3​c​04855
3https://​www​.pnas​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​0​7​3​/​p​n​a​s​.​2​1​0​5​0​18118
4https://www.mdpi.com/1422–0067/22/4/2148
5https://​pubs​.acs​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​0​2​1​/​a​c​s​o​m​e​g​a​.​2​c​00248
6https://​www​.sci​encedi​rect​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​a​b​s​/​p​i​i​/​S​1​3​8​3​5​8​6​6​2​3​0​17082
7https://​miti​.cnrs​.fr/​a​p​p​e​l​-​a​-​p​r​o​j​e​t​s​/​d​e​p​o​l​l​u​tion/

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