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Phytoextraction : ces plantes qui nettoient les sols pollués

GRISON_Claude
Claude Grison
Directrice du Laboratoire de Chimie bio-inspirée et d'Innovations écologiques
En bref
  • Les activités minières et métallurgiques dégradent et érodent fortement les sols, ce qui empêche les végétations de s’y développer.
  • Il est possible de restaurer les écosystèmes en utilisant la phytoextraction : certaines plantes extraient les éléments métalliques du sol et les stockent dans leurs feuilles.
  • Cette technique est peu coûteuse, crée une économie circulaire et permet de réhabiliter les sols dans une démarche de restauration écologique.
  • Mais la phytoextraction possède certaines limites, comme la durée totale du procédé ou les capacités naturelles des plantes.
  • Le même procédé est développé pour la dépollution de l’eau, à l’aide de plantes aquatiques : c’est la rhizofiltration.

Vous travaillez sur la dépollution, pouvez-vous nous en dire plus sur les procédés que vous développez ? 

Nous restau­rons des écosys­tèmes ter­restres et aqua­tiques en util­isant des plantes accu­mu­la­tri­ces d’éléments métalliques. Les activ­ités minières et métal­lurgiques dégradent forte­ment les sols, aucune végé­ta­tion ne peut s’y dévelop­per. Ces sols nus sont forte­ment érodés : les pous­sières chargées en élé­ments métalliques s’envolent ou sont emportées par lessi­vage dans les cours d’eau, pol­lu­ant l’environnement proche. La restau­ra­tion ne se lim­ite pas à la dépol­lu­tion : la réin­tro­duc­tion durable de plantes adap­tées est une pri­or­ité pour lim­iter la dis­per­sion des polluants.

De quelles plantes parlez-vous ?

Nous avons étudié de nom­breuses plantes ter­restres tolérantes et hyper­ac­cu­mu­la­tri­ces d’éléments métalliques : le tabouret des bois (Noc­caea caerulescens), un éco­type de la vul­néraire (Anthyl­lis vul­ner­aria) ou encore des arbres tels que Geis­sois pru­inosa et Gre­vil­lea meis­neri en Nou­velle-Calé­donie. Cha­cune réalise un proces­sus naturel de phy­toex­trac­tion : elles extraient les élé­ments métalliques du sol par leurs racines et les trans­portent dans la sève jusqu’à les stock­er dans leurs feuilles en très grande con­cen­tra­tion. Dans le Gard, la vul­néraire stocke plus de 17 000 ppm de zinc. Nous esti­mons que si la cou­ver­ture végé­tale atteint 70 %, 27 kg de zinc par hectare peu­vent être poten­tielle­ment extraits du sol à chaque récolte1. En Nou­velle-Calé­donie, les récoltes d’un seul arbre de Gre­vil­lea meis­neri comptent 2,5 kg de bio­masse con­tenant plus de 10 000 ppm de man­ganèse2.

Quel est l’intérêt écologique pour ces plantes à stocker de grandes quantités de métaux ?

Plusieurs théories sont explorées. Pour Noc­caea caerulescens, c’est qu’elle ne résiste pas bien à la com­péti­tion et se fait très vite envahir par les plantes envi­ron­nantes. Dans ces envi­ron­nements pol­lués, elle est la seule à sur­vivre. Par ailleurs, elle se défend clas­sique­ment des her­bi­vores en libérant des com­posés tox­iques, les glu­cosi­no­lates. Quand elle est riche en zinc, la plante dimin­ue cor­réla­tive­ment la pro­duc­tion de glu­cosi­no­lates : c’est une façon indi­recte de se pro­téger des her­bi­vores3.

Pourquoi est-il nécessaire de développer de nouvelles solutions de réhabilitation ?

Les solu­tions disponibles ne sont pas sat­is­faisantes. L’une d’entre elles con­siste à con­fin­er la pol­lu­tion en recou­vrant le sol par des matéri­aux. Or la pol­lu­tion con­tin­ue à se propager dans les nappes phréa­tiques au gré des infil­tra­tions d’eau. La deux­ième solu­tion est très coû­teuse : elle con­siste à excaver les ter­res con­t­a­m­inées pour les traiter chim­ique­ment dans des usines appro­priées. Cela génère un nou­veau déchet : le décon­t­a­m­i­nant asso­cié aux métaux…

En quoi les procédés utilisant les plantes sont-ils plus satisfaisants ?

La phy­toex­trac­tion est effi­cace, peu coû­teuse et per­met de réha­biliter les sols dans une démarche de restau­ra­tion écologique : il s’agit d’une vision long terme. Et surtout, elle crée une économie cir­cu­laire ne générant aucun déchet. Pour repren­dre l’exemple de la Nou­velle-Calé­donie, les litières des arbres hyper­ac­cu­mu­la­teurs de man­ganèse ou de nick­el sont récoltées et trans­for­mées en matière minérale grâce à des procédés sobres et directs. Les métaux sont util­isés en tant que catal­y­seurs, appelés éco­catal­y­seurs. Ils rem­pla­cent ceux clas­sique­ment util­isés pour la syn­thèse de médica­ments par exem­ple, dont un grand nom­bre est mis en défaut par la régle­men­ta­tion européenne de la chimie (REACH)4. La val­ori­sa­tion écore­spon­s­able de ces plantes est au cœur de nos développe­ments : seule cette retombée économique sou­tient les efforts de restau­ra­tion dans la durée.

La dépollution par phytoextraction ne présente-t-elle pas certaines limites ?

Si l’objectif est de dépol­luer le sol, cela peut être long : dans le Gard, l’Ademe estime que la dépol­lu­tion totale des anciens bassins de décan­ta­tion prendrait 50 ans. De plus, ces tech­niques ne sont pas général­is­ables : chaque plante est choisie en lien avec son habi­tat naturel. Il est incon­cev­able d’installer une plante hyper­ac­cu­mu­la­trice de Nou­velle-Calé­donie en métro­pole. En Ore­gon, l’implantation d’une espèce d’origine européenne a con­duit à une sit­u­a­tion cat­a­strophique, elle est dev­enue envahissante. Enfin, les pos­si­bil­ités sont lim­itées par les capac­ités naturelles des plantes. Il existe de nom­breuses espèces capa­bles d’accumuler le nick­el, le zinc ou le man­ganèse. En revanche les capac­ités sont lim­itées – voire impos­si­bles – pour d’autres élé­ments comme l’arsenic, le cobalt ou le cuivre. 

Ces lim­ites nous ont poussés à dévelop­per un autre procédé de dépol­lu­tion con­cer­nant l’eau. C’est une ressource très impor­tante à préserv­er, mais pour­tant pol­luée par de nom­breuses activ­ités humaines. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce nouveau procédé ?

Il repose sur la rhi­zofil­tra­tion et la biosorp­tion. Nous util­isons des plantes aqua­tiques capa­bles de séquestr­er des métaux dans leurs racines. Elles sont très per­for­mantes : elles dis­posent d’antennes molécu­laires qui captent les élé­ments nutri­tifs dilués dans l’eau… et aus­si les pol­lu­ants métalliques. 

L’utilisation de plantes mortes est une avancée majeure dans le traite­ment de l’eau : elles con­ser­vent leur capac­ité de dépol­lu­tion, mais cela rend le procédé indus­tri­al­is­able. Les racines sont broyées et trans­for­mées en poudre végé­tale, puis placées dans une colonne dans laque­lle l’eau cir­cule. Les métaux sont ain­si séquestrés par la poudre. Nous avons démon­tré la bonne per­for­mance de ces fil­tres végé­taux pour traiter des efflu­ents miniers en France pol­lués au zinc, au fer et à l’arsenic. Le procédé est égale­ment adap­té à l’industrie chim­ique pour capter les efflu­ents en sor­tie de réac­teurs. Au lab­o­ra­toire, nous expéri­men­tons le traite­ment de pol­lu­ants organiques red­outa­bles comme la chlordé­cone, et nos résul­tats sont très con­clu­ants5.

L’économie circulaire a‑t-elle aussi une place importante pour la dépollution de l’eau ?

Bien sûr ! Les fil­tres végé­taux chargés en élé­ments métalliques sont là encore trans­for­més en éco­catal­y­seurs. L’atout majeur ? Les plantes aqua­tiques captent cer­taines ter­res rares ou élé­ments d’intérêt comme le pal­la­di­um. Cette ressource est stratégique : le plus gros pro­duc­teur actuel est la Russie et de nom­breuses indus­tries l’utilisent mas­sive­ment (élec­tron­ique, auto­mo­bile, phar­ma­ceu­tique). Son recy­clage est devenu une pri­or­ité, et les fil­tres végé­taux le per­me­t­tent6. Avec BioIn­spir, nous com­mer­cial­isons des molécules d’intérêt – fra­grances et solvants – 100 % biosour­cées, fab­riquées à l’aide de ces éco­catal­y­seurs sans intrants chim­iques. Elles sont util­isées en cos­mé­tique, par­fumerie et chimie fine. L’écocatalyse est l’opportunité de revis­iter la chimie en lim­i­tant au max­i­mum son empreinte envi­ron­nemen­tale7.

Nous avons même poussé le cer­cle vertueux encore plus loin… Les plantes exo­tiques envahissantes sont l’une des prin­ci­pales men­aces pour la bio­di­ver­sité dans le monde. Or nom­bre d’entre elles sont util­isées dans nos procédés : renouée asi­a­tique, jussie d’eau, laitue d’eau, etc. Nous les récoltons mas­sive­ment dans les zones humides d’Occitanie pour les inté­gr­er à nos fil­tres végé­taux. Cela ren­force le sou­tien aux efforts de ges­tion et de non-pro­liféra­tion d’espèces végé­tales dev­enues dangereuses.

Propos recueillis par Anaïs Marechal
1The legu­mi­nous species Anthyl­lis vul­ner­aria as a Zn-hyper­ac­cu­mu­la­tor and eco-Zn cat­a­lyst resources, Env­i­ron. Sci. Pol­lut. Res. 2015, 22, 5667–5676, C. M. Gri­son, M.Mazel, A. Sell­i­ni, V. Escan­de, J. Biton, C. Gri­son
2Leaf-age effect: a key fac­tor to report trace-ele­ments hyper­ac­cu­mu­la­tion by plants and design appli­ca­tions, Env­i­ron. Sci. Pol­lut. Res. 2015, 22, 5620–5632, G. Los­feld, B. Fogliani, L. L’Huillier, C. Gri­son
3Iden­ti­fi­ca­tion of glu­cosi­no­lates in seeds of three Bras­si­caceae species known to hyper­ac­cu­mu­late heavy met­als, Chem­istry and Bio­di­ver­si­ty, 2017, Vol­ume 14, Issue 3, e1600311, S. Mon­taut, B. S. Gui­do, C. Gri­son, P. Rollin
4Eco-CaM­nOx: A Green­er Gen­er­a­tion of Eco­cat­a­lysts for Eco-friend­ly Oxi­da­tion Process­es, ACS Sus­tain­able Chem. Eng., 2019, 8, 10, 4044–4057, doi: org/10.1021/acssuschemeng.9b05444, C. Bihan­ic, S. Dilib­er­to, F. Pelissier, E. Petit, C. Boulanger, C. Gri­son
5Effi­cient removal of per­sis­tent and emerg­ing organ­ic pol­lu­tants by biosorp­tion using abun­dant bio­mass wastes, Chemos­phere, 2023, 213, 137307, P.-A. DeyrisF., Pelissier„  C. M.Grison, P. Hes­e­mann, E. Petit,C. Gri­son
6Eco­log­i­cal­ly respon­si­ble and effi­cient recy­cling of Pd from aque­ous efflu­ents using biosorp­tion on bio­mass feed­stock, J. Clean. Prod., 2021, https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​6​/​j​.​j​c​l​e​p​r​o​.​2​0​2​1​.​1​26895, A. Gar­cia, P.-Al. Deyris, P. Adler, F. Pelissier, T. DumasY.-M. LegrandC. Gri­son
7Eco­catal­y­sis, a new vision of Green and Sus­tain­able Chem­istry, Cur­rent Opin­ion in Green and Sus­tain­able Chem­istry, 2021, 29, 100461. C. Gri­son, Y. Lock Toy Ki.

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