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Comment évaluer les engagements et progrès des pays vers le « Zéro émission nette » ?

Patricia Crifo
Patricia Crifo
professeure d’économie à l’École polytechnique (IP Paris), chercheuse au CREST (CNRS) et chercheuse associée à CIRANO
Ekatarina Ghosh
Ekaterina Ghosh
étudiante en économie des villes intelligentes et des politiques climatiques à l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Afin de contrer la crise climatique, plus de 139 pays affichent un objectif ZEN (Zéro émission nette) à atteindre d’ici les années 2050.
  • Le projet « Race to zero » s’adresse aux acteurs privés et infranationaux, qui s’engagent à réduire de moitié les émissions mondiales d’ici à 2030.
  • L’OCDE a développé l’IPAC, un outil de mesure et d’évaluation climatiques permettant d’aider les pays à avoir une vision d’ensemble de leur situation.
  • L’IPAC compte quatre outils : un tableau d’indicateurs ; un moniteur de suivi annuel ; un outil de notation et de conseils ; une plateforme interactive.
  • Si les pays progressent dans leurs actions climatiques, les engagements actuels ne remplissent pas les objectifs fixés : l’IPAC a pour but de soutenir et guider les pays dans cette démarche.

S’alignant sur l’objectif pre­mier fixé pour la COP26 à Glas­gow en 20211, de plus en plus de pays s’engagent à attein­dre des objec­tifs d’émissions nettes nulles (zéro émis­sion nette, ZEN2) vers le milieu du siè­cle et à ren­forcer leurs con­tri­bu­tions déter­minées au niveau nation­al (CDN3) d’ici à 2030. Aujourd’hui, plus de 139 pays et unions, dont la Chine, les États-Unis et l’Union européenne, cou­vrant env­i­ron 83 % des émis­sions mon­di­ales, ont annon­cé cet objec­tif ZEN. 

Source : https://​zero​track​er​.net/

Objectif zéro carbone

Les acteurs infra­na­tionaux et le secteur privé mul­ti­plient eux aus­si leurs pro­pres engage­ments en matière de réduc­tion des émis­sions, notam­ment avec la cam­pagne « Objec­tif zéro » (« Race to Zero »).

Lancée lors du Som­met Action Cli­mat 2019 de l’UNSG (Secré­tari­at Général des Nations Unies) par le prési­dent chilien Sebastián Piñera, « Race to zero » mobilise les acteurs en dehors des gou­verne­ments nationaux pour qu’ils rejoignent l’Alliance Ambi­tion Cli­mat (« Cli­mate Ambi­tion Alliance ») et s’engagent à réduire de moitié les émis­sions mon­di­ales d’ici à 2030. En sep­tem­bre 2022 cette cam­pagne comp­tait l’engagement de 11 309 acteurs non éta­tiques, dont 8 296 entre­pris­es, 593 insti­tu­tions finan­cières, 1 136 villes, 52 États et régions, 1 125 étab­lisse­ments d’enseignement, 64 étab­lisse­ments de san­té et 29 autres organisations.

Source: Race to zero, https://​race​toze​ro​.unfc​cc​.int/​j​o​i​n​-​t​h​e​-​r​a​c​e​/​w​h​o​s-in/

Mais dis­pose-t-on réelle­ment des out­ils pour éval­uer et mesur­er ces engage­ments ? Pas vrai­ment, et c’est pour répon­dre à cette lacune que l’OCDE a dévelop­pé un out­il nova­teur de mesure et d’évaluation des engage­ments nationaux : le pro­gramme inter­na­tion­al pour l’action sur le cli­mat (IPAC).

L’IPAC, le programme pour guider les pays

Ini­tiale­ment pro­posé par la France et soutenu publique­ment par le Prési­dent Macron à l’occasion du 60e anniver­saire de l’OCDE en décem­bre 2020, l’IPAC a été lancé en mai 2021 et repose sur qua­tre composantes :

  • Tout d’abord un tableau de bord d’indicateurs liés au cli­mat, mesurables et con­venus entre les pays pour être util­isés dans le suivi.
  • Ensuite, un moni­teur de suivi annuel de l’action cli­ma­tique, basé sur le tableau de bord précé­dent, four­nit un résumé des pro­grès des pays vers leurs pro­pres objec­tifs en matière de cli­mat et développe­ment durable. Ce moni­teur donne des exem­ples de bonnes pra­tiques et de résul­tats en matière d’atténuation et d’adaptation au climat.
  • Puis un out­il de nota­tion des pays fondé sur des indi­ca­teurs envi­ron­nemen­taux, soci­aux et géo­graphiques et con­tenant des con­seils poli­tiques ciblés, afin d’aider à la con­cep­tion d’actions d’atténuation et d’adaptation économique­ment viables.
  • Enfin, une plate­forme inter­ac­tive pour le dia­logue et l’apprentissage mutuel entre les pays pro­posant des sujets de dis­cus­sion sur les approches inno­vantes et les bonnes pratiques.

La philoso­phie qui sous-tend cette démarche est d’éviter des poli­tiques inef­fi­caces ou con­tre-pro­duc­tives, ce qui est plus facile à dire qu’à faire étant don­né l’ampleur de la réponse req­uise et la néces­sité de s’adapter en per­ma­nence à l’évolution des cir­con­stances nationales et mon­di­ales. L’IPAC répond fon­da­men­tale­ment à la néces­sité pour les décideurs de béné­fici­er de don­nées et d’outils cli­ma­tiques com­plets per­me­t­tant un suivi, un étalon­nage et une analyse sig­ni­fi­cat­ifs des politiques.

Grâce à l’IPAC, les gou­verne­ments sont en mesure de voir où ils sont, où ils vont et com­ment ils peu­vent s’améliorer. 

L’intérêt de ces qua­tre out­ils de l’IPAC réside dans le fait que les décideurs peu­vent obtenir un aperçu à la fois gran­u­laire et glob­al de toutes les don­nées per­ti­nentes liées au cli­mat : les émis­sions et leurs caus­es, les risques et les impacts encou­rus, ain­si que les répons­es et les mesures pris­es. En out­re, dans le cadre de ses recherch­es et analy­ses por­tant sur plus de 50 pays, l’équipe de l’IPAC est en mesure d’exploiter et de com­mu­ni­quer l’ampleur et la pro­fondeur des don­nées recueil­lies, en partageant les meilleures pra­tiques et en encour­ageant les par­ties prenantes à appren­dre les unes des autres. Par con­séquent, en util­isant les out­ils et les infor­ma­tions recueil­lis par l’IPAC, les gou­verne­ments sont en mesure de voir l’ensemble de la sit­u­a­tion : où ils sont, où ils vont et com­ment ils peu­vent s’améliorer.

Lors de la COP27 à Charm El Cheikh,  le secré­taire général  de l’OCDE, Math­ias Cor­mann,  a présen­té cet out­il dans le cadre de la table ronde organ­isée au pavil­lon de la France le 7 novem­bre 2022, réu­nis­sant Agnès Pan­nier-Runach­er, Min­istre de la Tran­si­tion Énergé­tique en  France ; Espen Barth Eide, Min­istre du Cli­mat et de l’Environnement en Norvège ; Max­i­m­il­iano Proaño Ugalde, Sous-secré­taire de l’environnement au Chili et Johan Rock­ström, co-directeur du Pots­dam Insti­tute for Cli­mate Impact Research.

© Patri­cia Crifo

Que reste-t-il à faire en France ?

Ces indi­ca­teurs jouent un rôle clé dans le deux­ième rap­port annuel sur le cli­mat qui sera pub­lié en novem­bre 2022 : ce rap­port met en évi­dence l’exposition des pays aux risques liés au cli­mat, dont la fréquence et l’intensité aug­mentent. Pour réus­sir à atténuer ces risques et à s’y adapter, le Moni­teur IPAC de cette année con­seille aux gou­verne­ments d’utiliser tous les out­ils et dis­posi­tifs poli­tiques (sec­to­riel, inter­sec­to­riel ; non-marchands, marchands) à leur dis­po­si­tion, ain­si que d’accroître leur rigueur.

Dans le cas de la France, l’IPAC mon­tre par exem­ple que l’intensités des émis­sions de GES par unité de PIB et par habi­tant décrois­sent. Cela sig­ni­fie que, glob­ale­ment, la France décou­ple les émis­sions à la fois de la pro­duc­tion économique et de la crois­sance démographique.

Source: IPAC Dash­board https://​www​.oecd​.org/​c​l​i​m​a​t​e​-​a​c​t​i​o​n​/​i​p​a​c​/​d​a​s​h​board

D’autre part, le pour­cent­age de la pop­u­la­tion exposée à des journées d’été où la tem­péra­ture dépasse 35°C est en aug­men­ta­tion. Selon le tableau de bord de l’I­PAC, cet indi­ca­teur aide à com­pren­dre les risques éventuels des tem­péra­tures extrêmes pour la pop­u­la­tion. Ce qu’il faut retenir ? La France ne peut se con­tenter d’atténuer les risques chroniques à long terme et doit trou­ver des solu­tions pour faire face aux risques aigus, tels que les canicules, aux­quels elle est de plus en plus vulnérable. 

Source: IPAC Dash­board https://​www​.oecd​.org/​c​l​i​m​a​t​e​-​a​c​t​i​o​n​/​i​p​a​c​/​d​a​s​h​board

En ce qui con­cerne les « actions et oppor­tu­nités », nous con­sta­tons que la France adopte de plus en plus de poli­tiques cli­ma­tiques, mais n’adopte pas encore l’ensemble des options poli­tiques disponibles mesurées par l’OCDE, représen­tées par la ligne en pointil­lé (OECD, 2022). 

En out­re, il appa­raît que la France a actuelle­ment adop­té la plus grande part des poli­tiques disponibles qui ciblent l’ensemble des secteurs, suiv­ies par celles ciblant le secteur du bâti­ment. Étant don­né que la stratégie cli­ma­tique française donne la pri­or­ité à l’efficacité énergé­tique dans les bâti­ments, il sem­ble qu’ici, l’élaboration des poli­tiques soit alignée sur les objec­tifs nationaux et munic­i­paux. Néan­moins, la France a la pos­si­bil­ité d’adopter un ensem­ble de poli­tiques plus large, en par­ti­c­uli­er celles qui con­cer­nent le secteur de l’élec­tric­ité, où elle est en retard.

Source: IPAC Dash­board https://​www​.oecd​.org/​c​l​i​m​a​t​e​-​a​c​t​i​o​n​/​i​p​a​c​/​d​a​s​h​board

Améliorés par la com­pi­la­tion et l’analyse de l’outil IPAC, ces indi­ca­teurs et les out­ils qui les accom­pa­g­nent exploitent les don­nées pour iden­ti­fi­er les pri­or­ités poli­tiques, les lacunes et les pro­grès. En out­re, ils per­me­t­tent de canalis­er des efforts et une budgéti­sa­tion effi­caces. Alors que les gou­verne­ments tra­vail­lent avec un temps et un argent lim­ités (et dans un con­texte de pres­sion crois­sante) pour traduire leurs ambi­tions en actions, l’accès aux con­nais­sances et aux con­seils fondés sur des preuves doit être utilisé.

En matière de lutte con­tre le change­ment cli­ma­tique, chaque pays passe par un proces­sus inévitable con­sis­tant à déter­min­er les poli­tiques les plus effi­caces dans un con­texte nation­al et inter­na­tion­al en con­stante évo­lu­tion. L’urgence de trou­ver des solu­tions ne cesse de croître, et si les pays ont cer­taine­ment fait preuve de pro­grès dans leurs actions et leurs ambi­tions, les engage­ments nationaux actuels en matière de cli­mat ne sont tou­jours pas suff­isants pour attein­dre les objec­tifs de l’Accord de Paris. En out­re, alors que les pays doivent « aug­menter » leurs engage­ments, beau­coup d’entre eux ont du mal à attein­dre leurs objec­tifs actuels. C’est pourquoi cette ini­tia­tive de l’OCDE apporte un sou­tien indis­pens­able et encour­age les par­ties prenantes à ne pas tir­er à l’aveuglette, mais à s’appuyer sur des out­ils holis­tiques et fondés sur des données.

Des don­nées sup­plé­men­taires sur les émis­sions, les impacts, les risques, les actions et les oppor­tu­nités sont disponibles dans le tableau de bord IPAC. 

Pour aller plus loin

Nachti­gall, D., Lutz, L., Cár­de­nas Rodríguez, M., Haš­cic, I., and R. Pizarro (2022), “The cli­mate actions and poli­cies mea­sure­ment frame­work: A struc­tured and har­monised cli­mate pol­i­cy data­base to mon­i­tor coun­tries’ mit­i­ga­tion action”,  Envi­ron­ment Work­ing paper. No. 203, Pub­li­ca­tion OECD Paris

1L’objectif de l’Accord de Paris de lim­iter le réchauf­fe­ment de la planète à 1,5 ° implique en effet de réduire les émis­sions de 45 % d’ici à 2030 et d’atteindre l’objectif de zéro émis­sion nette d’ici à 2050.
2« Zéro émis­sion nette » sig­ni­fie que les émis­sions de gaz à effet de serre sont réduites à un niveau aus­si proche que pos­si­ble de zéro, les émis­sions restantes présentes dans l’atmosphère étant réab­sorbées (par les océans et les forêts notam­ment).
3Une « Con­tri­bu­tion Déter­minée au niveau Nation­al », est un plan cli­mat visant à réduire les émis­sions et à s’adapter aux effets des change­ments cli­ma­tiques. Chaque Par­tie à l’Accord de Paris est tenue d’établir une CDN et de la met­tre à jour tous les cinq ans. Le pacte de Glas­gow pour le cli­mat de novem­bre 2021 impose de revoir et ren­forcer les objec­tifs dans les CDN en 2022, en aug­men­tant les ambi­tions, en réduisant davan­tage les émis­sions et en adop­tant des mesures d’adaptation plus larges.

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