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Comment recycler le CO2 grâce au plasma froid

GUAITELLA_Olivier
Olivier Guaitella
ingénieur de recherche au Laboratoire de physique des plasmas (LPP*)
En bref
  • Les plasmas froids pourraient jouer un rôle important dans la valorisation et le recyclage du CO2.
  • Les plasmas froids sont le seul milieu dans lequel les molécules de CO2 peuvent être excitées de manière préférentielle pour les rendre plus réactives.
  • L'efficacité de la conversion du CO2 induite par le plasma n’est pas tant limité par la dissociation des liaisons C-O mais par les processus dits de « réaction inverse ».
  • Cette réaction inverse peut être évitée en couplant les plasmas froids à des catalyseurs, à des solvants liquides ou à des membranes ioniques.
  • Les technologies de valorisation du CO2 pourraient devenir économiquement et énergétiquement viables si les émissions de CO2 étaient plus lourdement taxées.

Les plas­mas, et en par­ti­c­uli­er les plas­mas froids, pour­raient jouer un rôle impor­tant dans la val­ori­sa­tion et le recy­clage du CO2. Olivi­er Guaitel­la et ses col­lègues du Lab­o­ra­toire de physique des plas­mas (LPP1) tra­vail­lent sur l’ac­ti­va­tion du CO2 à l’aide de ces plas­mas et sa con­ver­sion en molécules à plus haute den­sité d’énergie. Il est ain­si pos­si­ble de recy­cler le CO2 avant qu’il ne soit libéré dans l’atmosphère.

Même si nous par­venons à réduire les émis­sions de CO2, ce qui reste la pri­or­ité, les indus­tries dont nous dépen­dons, comme les aciéries, les cimenter­ies et les ver­reries, con­tin­ueront à émet­tre ce gaz à effet de serre – du moins, dans un avenir prévis­i­ble. Plutôt que d’enfouir le CO2 dans des champs de séques­tra­tion souter­rains, ce qui est un proces­sus tech­nique­ment com­plexe, acid­i­fi­ant le sol et léguant aux généra­tions futures le prob­lème du CO2 stocké, l’idée est d’es­say­er de capter le CO2 émis et de le recy­cler en le con­ver­tis­sant en molécules à plus haute den­sité énergé­tique, comme l’éthanol ou le méthanol. Cela per­met égale­ment d’offrir une solu­tion de stock­age des éner­gies renou­ve­lables sous forme chim­ique pour pou­voir trans­porter l’énergie et l’utiliser en cas de besoin.

Pour le recy­clage, une des tech­niques con­siste à hydrogén­er le CO2, mais une dif­fi­culté sub­siste : le CO2 est une molécule extrême­ment sta­ble qui ne réag­it pas bien chim­ique­ment avec l’hy­drogène, ni avec d’autres atom­es ou molécules. Il existe ain­si un cer­tain nom­bre de tech­niques pour soit dimin­uer les émis­sions de CO2à la source, soit pour le con­ver­tir ou le piéger. Par­mi celles-ci, citons : la catal­yse ther­mique clas­sique dans laque­lle le COet l’hy­drogène sont chauf­fés ensem­ble en présence d’un catal­y­seur ; l’électrolyse ; le craquage ther­mique dans des fours solaires, par exem­ple ; et l’u­til­i­sa­tion de plantes comme le colza et la bet­ter­ave ou des algues qui se nour­ris­sent en CO2 pour trans­former les émis­sions de CO2 en biocarburant.

Une nouvelle solution : les plasmas froids

En tant que physi­ciens, Olivi­er Guaitel­la et ses col­lègues tra­vail­lent sur une autre approche util­isant des plas­mas froids. Les plas­mas sont des gaz qui ont été ion­isés à l’aide d’un champ élec­trique de sorte qu’ils con­ti­en­nent des ions posi­tifs et des élec­trons. Les plas­mas froids ne sont que par­tielle­ment ion­isés – typ­ique­ment, seule une par­tic­ule sur 10 000 dans le gaz est ion­isée. La par­tic­u­lar­ité de ce type de plas­ma (égale­ment appelé plas­ma « non ther­mique ») est que les élec­trons, les ions et les atom­es neu­tres du gaz ne sont pas à la même tem­péra­ture. Les plas­mas froids sont donc le seul milieu dans lequel les molécules de CO2 peu­vent être excitées de manière préféren­tielle pour les ren­dre plus réac­tives, sans gaspiller d’én­ergie à chauf­fer l’ensem­ble du gaz.

Le plas­ma froid nous per­met de génér­er des réac­tions chim­iques que l’on n’arrive pas à obtenir en chauf­fant sim­ple­ment le gaz. 

Dans un plas­ma froid, cer­tains des élec­trons pro­duits ont beau­coup d’én­ergie mais le gaz reste à des tem­péra­tures rel­a­tive­ment bass­es. Ces élec­trons sont capa­bles de bris­er les liaisons des molécules de CO2ou d’ex­citer ces liaisons. « Les plas­mas froids sont ce que nous appelons un milieu hors équili­bre ther­mo­dy­namique », explique Olivi­er Guaitel­la. « Ce milieu nous per­met de génér­er des réac­tions chim­iques que l’on n’arrive pas à obtenir en chauf­fant sim­ple­ment le gaz, car il nous per­met de dépass­er les lim­ites ther­mo­dy­namiques. »

« Ce que nous essayons de faire, c’est d’u­tilis­er les quelques élec­trons qui ont beau­coup d’én­ergie pour aller exciter les vibra­tions de la molécule de CO2. Si nous par­venons à trans­fér­er suff­isam­ment d’én­ergie à ces vibra­tions, la molécule de CO2 devien­dra réac­tive vis-à-vis des autres molécules en ayant dépen­sé un min­i­mum d’énergie. »

Éviter la « réaction inverse »

Pour génér­er le plas­ma, les chercheurs utilisent l’én­ergie élec­trique – idéale­ment issue de sources renou­ve­lables – pour accélér­er les élec­trons du gaz, qui trans­fèrent ensuite de l’én­ergie aux vibra­tions de la molécule de CO2. « Une fois que nous avons réus­si à faire cela, nous pou­vons essay­er de faire réa­gir la molécule de CO2 avec de l’hy­drogène vert (qui peut provenir de proces­sus comme l’élec­trol­yse) ou du méthane (qui peut provenir de la fer­men­ta­tion de déchets biologiques, par exem­ple) pour con­ver­tir le CO2 en méthane, en méthanol ou en d’autres hydro­car­bu­res. »

Ce qui lim­ite réelle­ment l’ef­fi­cac­ité de la con­ver­sion du CO2 induite par le plas­ma n’est pas tant la dis­so­ci­a­tion des liaisons C‑O, car ce proces­sus fonc­tionne bien, mais plutôt les proces­sus dits de « réac­tion inverse », qui doivent être évités à tout prix, explique Olivi­er Guaitel­la. « Une fois que nous avons dis­so­cié la molécule de CO2 en monoxyde de car­bone (CO) et en un atome d’oxygène (O), nous devons empêch­er cet atome d’oxygène de se recom­bin­er avec le CO pour reformer le CO2, détaille-t-il. Si cela se pro­duit, l’ef­fi­cac­ité du proces­sus de trans­for­ma­tion du CO2 est con­sid­érable­ment réduite. »

Il existe plusieurs façons d’éviter cette réac­tion, en cou­plant les plas­mas froids à des catal­y­seurs, à des solvants liq­uides ou à des mem­branes ion­iques (matéri­aux qui per­me­t­tent l’ex­trac­tion con­tin­ue des atom­es d’oxygène for­més). « Dans notre équipe, nous étu­dions ces trois approches en par­al­lèle. », souligne Olivi­er Guaitella.

Optimiser la valorisation du CO2

Il y a égale­ment dif­férentes manières d’amorcer le plas­ma. L’une des sources plas­ma util­isées au LPP – unique­ment à des fins de recherche fon­da­men­tale – sont les décharges « lumi­nes­centes » (sim­i­laire à celles util­isés dans les tubes flu­o­res­cents util­isés pour l’éclairage). Elles ont l’a­van­tage de pou­voir être facile­ment com­parées à des mod­èles numériques pour mieux com­pren­dre le com­porte­ment des plas­mas de CO2, un milieu très com­plexe en soi. Toute­fois, les décharges lumi­nes­centes sont peu effi­caces pour con­ver­tir le CO2. « L’une des idées pour amélior­er l’efficacité est d’utiliser des décharges radiofréquences pul­sées générant des champs élec­triques qui oscil­lent typ­ique­ment dans la gamme des 13–56 MHz. », explique Olivi­er Guaitel­la. « Ces plas­mas nous per­me­t­tent d’at­tein­dre des den­sités d’élec­trons élevées tout en ayant un champ élec­trique moyen suff­isam­ment faible pour opti­miser l’ex­ci­ta­tion des vibra­tions du CO2.

Nous avons con­stru­it un démon­stra­teur qui mon­tre que nous sommes capa­bles de réalis­er la méthani­sa­tion du CO2 avec de telles décharges radiofréquences.

« Sur ce thème, nous avons actuelle­ment un pro­jet en cours, d’abord financé par L’IP Paris et main­tenant par la SATT Paris Saclay. Il n’en est pas à pro­pre­ment par­ler au stade de pro­to­type, dans le sens où nous ne pou­vons pas encore l’exploiter sur un site indus­triel. Nous avons cepen­dant con­stru­it un démon­stra­teur à une échelle déjà plus grande que nos réac­teurs de lab­o­ra­toire. Ce démon­stra­teur, dévelop­pé notam­ment par le doc­tor­ant Edmond Barat­te, mon­tre que nous sommes capa­bles de réalis­er la méthani­sa­tion du CO2 avec de telles décharges radiofréquences.

« Le recy­clage du CO2 présente des défis à la fois socié­taux et tech­nologiques. Bien qu’il existe plusieurs tech­nolo­gies de val­ori­sa­tion du CO2, aucune d’en­tre elles n’est actuelle­ment viable sur le plan économique et énergé­tique. Toute­fois, elles pour­raient le devenir si les émis­sions de CO2 dans l’at­mo­sphère étaient plus lour­de­ment taxées. Cela encour­agerait les grands pol­lueurs à inve­stir davan­tage dans des instal­la­tions de recy­clage du CO2. Il s’agit ici de choix poli­tiques et économiques. »

Isabelle Dumé

Références

  • PIONEER project
  • PLAS­MA­Science Grad­u­ate School
  • E4C (Energy4Climate)
  • C Fro­mentin et al 2023. Study of vibra­tional kinet­ics of CO 2 and CO in CO 2 –O 2 plas­mas under non-equi­lib­ri­um con­di­tions. Plas­ma Sources Sci. Tech­nol. 32 024001
  • C. Fro­mentin, T. Sil­va, T. C. Dias, E. Barat­te, O. Guaitel­la, V. Guer­ra. Val­i­da­tion of non-equi­lib­ri­um kinet­ics in CO2-N2 plas­mas. arXiv:2301.08938v1 
  • Sil­va, T., Moril­lo-Can­das, A. S., Guaitel­la, O., & Guer­ra, V. (2021). Mod­el­ing the time evo­lu­tion of the dis­so­ci­a­tion frac­tion in low-pres­sure CO2 plas­mas. Jour­nal of CO2 Uti­liza­tion53, 101719
  • Bogaerts, A., Neyts, E. C., Guaitel­la, O., & Mur­phy, A. B. (2022). Foun­da­tions of plas­ma catal­y­sis for envi­ron­men­tal appli­ca­tions. Plas­ma Sources Sci­ence and Tech­nol­o­gy31(5), 053002
1*LPP : une unité mixte de recherche CNRS, École poly­tech­nique – Insti­tut Poly­tech­nique de Paris, Obser­va­toire de Paris, Sor­bonne Uni­ver­sité, Uni­ver­sité Paris-Saclay

Auteurs

GUAITELLA_Olivier

Olivier Guaitella

ingénieur de recherche au Laboratoire de physique des plasmas (LPP*)

Olivier Guaitella est ingénieur de recherche au Laboratoire de physique des plasmas (LPP*). Après un doctorat à l'École polytechnique en physique des plasmas, il a collaboré avec et travaillé dans de nombreuses entreprises, comme PREMiERE. Il a obtenu son habilité à diriger des recherches en 2018.

*LPP : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, Observatoire de Paris, Sorbonne Université, Université Paris-Saclay

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