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Les dirigeables nous réservent-ils encore de belles surprises ?

DOARÉ_Olivier
Olivier Doaré
professeur en mécanique des fluides à l’ENSTA Paris (IP Paris)
LE-MESTRE_Robin
Robin Le Mestre
docteur en Mécanique des fluides et des solides
SCHOTTE_Jean-Sébastien
Jean-Sébastien Schotté
chargé de recherche à l’ONERA
En bref
  • Les dirigeables pourraient faire leur grand retour, car ils présentent des avantages indéniables par rapport à d’autres moyens de transport.
  • Mais du fait de leur légèreté, ils sont soumis aux aléas et aux intempéries : il faut donc développer des moyens de prédiction et de commande plus précis.
  • Simulation numérique, conception de matériaux plus résistants et outils de prédiction du vent permettent d’améliorer les nouveaux dirigeables.
  • Ils ne remplaceront pas les transports aériens à grande échelle, mais peuvent être utiles pour le tourisme ou le déplacement interrégional.
  • Plusieurs entreprises, comme Flying Whales ou Thalès, s’intéressent de plus en plus aux nouveaux dirigeables.

Les dirige­ables sont sou­vent perçus comme une tech­nolo­gie d’une autre époque. Arrivé sur le marché vers la fin du XIXe siè­cle, ce nou­veau moyen de trans­port était une révo­lu­tion mon­di­ale : à bord de ces énormes bal­lons, il était en effet pos­si­ble de tra­vers­er l’Atlantique en moins de 60 heures, et d’aller au-delà des 130 km/h. 

Cepen­dant, cette tech­nolo­gie n’a pas con­nu une belle fin. La cat­a­stro­phe du Hin­den­burg en 1937 – ce colosse, à peine plus petit que la tour Eif­fel, enflam­mé dans le ciel du New Jer­sey – est encore aujourd’hui syn­onyme de trau­ma­tisme. Pour­tant, les dirige­ables présen­tent des avan­tages indé­ni­ables, et cet acci­dent ne les a jamais remis en cause. 

Olivi­er Doaré, pro­fesseur en mécanique des flu­ides, a dirigé la thèse de Robin Le Mestre visant à mod­élis­er les effets des flu­ides externes et internes sur le com­porte­ment dynamique des dirige­ables en vol1. Une recherche allant donc dans le sens d’un poten­tiel renou­veau des dirige­ables, car Olivi­er Doaré le main­tient : « Depuis cette cat­a­stro­phe, il y a eu un siè­cle de pro­grès tech­nologiques. »

Une dépendance au vent

Le Hin­den­burg était gon­flé à l’hydrogène, autrement dit, un gaz haute­ment inflam­ma­ble. Le choix des Alle­mands d’utiliser ce gaz ne résulte pas d’un manque de con­nais­sances de leur part : l’hélium — bien moins inflam­ma­ble — était déjà recom­mandé à l’époque, mais bien plus rare à trou­ver. Le manque d’approvisionnement était dû au con­texte géopoli­tique de l’époque : les États-Unis, qui avaient le qua­si-mono­pole du marché de l’hélium, voulaient garder leur avance sur cette technologie. 

La cat­a­stro­phe du Hin­den­burg (CC).

« De nos jours, la très grande majorité des pro­jets de dirige­ables sont gon­flés à l’hélium pour des raisons de sécu­rité, pré­cise Olivi­er Doaré, même si à force de por­tance égale, cela néces­site un vol­ume de gaz plus impor­tant qu’avec de l’hydrogène. » Mais l’idée d’un dirige­able gon­flé à l’hydrogène n’est pas totale­ment aban­don­née pour autant : « Dans le cas d’une propul­sion élec­trique assurée par une pile à com­bustible, l’hydrogène pour­rait être simul­tané­ment le gaz por­teur et le com­bustible. », sug­gère Robin Le Mestre. 

Ces deux gaz sont util­isés car ils sont plus légers que l’air : « Le dirige­able se sus­tente par lui-même grâce à la poussée d’Archimède, explique Robin Le Mestre, il ne néces­site donc presque aucune énergie pour être main­tenu en vol. » Cela con­stitue un avan­tage con­sid­érable, surtout dans le con­texte écologique actuel, mais implique des con­traintes à pren­dre en compte. « Du fait de sa légèreté, l’engin sera haute­ment soumis aux aléas et aux intem­péries, admet Robin Le Mestre. Beau­coup d’incidents trou­vent leur orig­ine ici ». 

Pour mar­quer le retour des dirige­ables, il fau­dra donc maîtris­er ces con­traintes météorologiques d’ores et déjà iden­ti­fiées. « C’est tout l’intérêt de ma thèse, fait val­oir le doc­teur. Pour aller à l’encontre de l’action du vent, il faut avoir des moyens de pré­dic­tion et de com­mande de con­trôle bien plus pré­cis. »

Le poten­tiel de cette thèse a égale­ment attiré l’attention du cen­tre français de recherche aérospa­tiale, l’ONERA. Jean-Sébastien Schot­té, chargé de recherche au sein de cet office, a donc aidé au développe­ment de ces out­ils de pré­dic­tion. Selon lui, « une meilleure mod­éli­sa­tion des cou­plages entre la struc­ture déformable du dirige­able et l’écoulement des gaz qui l’entourent per­me­t­tra d’améliorer les sim­u­la­tions de com­porte­ment en vol de l’engin, par exem­ple face à des rafales de vent, et cela pour­ra aider à la con­cep­tion et au dimen­sion­nement des futurs pro­jets de dirige­ables ».

Une meilleure prédiction

À ces pro­grès dans le domaine de la sim­u­la­tion numérique s’ajoutent égale­ment d’autres pro­grès réal­isés dans la con­cep­tion des matéri­aux : « Les matéri­aux util­isés aujourd’hui sont plus résis­tants, plus étanch­es, tout en étant plus légers. », cer­ti­fie Jean-Sébastien Schot­té. « De plus, des out­ils de pré­dic­tion du vent exis­tent et sont très effi­caces. », rap­pelle Olivi­er Doaré. La tech­nolo­gie LiDAR, par exem­ple, ces lasers de pré­dic­tion du vent, aujourd’hui utiles à l’optimisation du con­trôle du parc éolien,  pour­raient aus­si être utiles aux dirige­ables. « Seule­ment, pour prédire la tra­jec­toire réelle d’un dirige­able, et donc s’assurer de sa sûreté, une mul­ti­tude de fac­teurs envi­ron­nemen­taux doit être prise en compte, con­cède le pro­fesseur. Si bien qu’il est dif­fi­cile, avec les moyens actuels, de simuler par­faite­ment le com­porte­ment de l’engin sur un ordi­na­teur. »

En mécanique des flu­ides, les équa­tions de Navier-Stokes sont fon­da­men­tales. Elles per­me­t­tent de représen­ter les mou­ve­ments les plus com­plex­es des flu­ides — et donc beau nom­bre de ces fac­teurs envi­ron­nemen­taux —, mais restent bien trop lour­des à traiter pour être util­isées dans des sim­u­la­tions com­plètes de com­porte­ment en vol de grandes struc­tures sou­ples, comme les dirige­ables. « La pre­mière étape était donc de sim­pli­fi­er les équa­tions de Navier-Stokes pour n’en retenir que les élé­ments essen­tiels, détaille Robin Le Mestre. En pos­tu­lant des hypothès­es sur chaque inter­ac­tion à étudi­er, nous avons pu for­muler des équa­tions sim­pli­fiées, mais, mal­gré tout, réal­istes, afin de pou­voir mod­élis­er le sys­tème, et son fonc­tion­nement, au tra­vers d’un ensem­ble d’opérateurs math­é­ma­tiques, qui eux peu­vent être numérisés.»

Avec cette sim­pli­fi­ca­tion, les chercheurs ont pu pro­pos­er une sim­u­la­tion réal­iste acces­si­ble par des cal­culs rapi­des. À terme, les ingénieurs espèrent pou­voir adapter les com­man­des de l’engin en sit­u­a­tion réelle. « Un avion a une telle puis­sance, de par son poids et ses moteurs, que si le pilote veut aller à gauche, il prend les com­man­des et, peu importe le vent et son com­porte­ment, il ira à gauche, indique Olivi­er Doaré. Un dirige­able subi­ra beau­coup l’effet du vent, et ses moteurs pour­ront ne pas être suff­isants. Il y a un plus grand intérêt à com­bin­er nos con­nais­sances des effets du vent avec celles des com­man­des de l’engin.» 

Les travaux de recherche en cours, dont la thèse de Robin Le Mestre fait par­tie, visent donc à aider les indus­triels à opti­miser leur con­cep­tion des dirige­ables, en leur per­me­t­tant par exem­ple de dévelop­per des out­ils de pré­dic­tions de com­man­des en temps réel à par­tir des don­nées du vent.

Une utilisation spécifique

La taille, aus­si impres­sion­nante qu’elle soit, reste un incon­vénient au poten­tiel d’utilisation des dirige­ables. Les mod­èles de type blimp sont des bal­lons gon­flés avec un min­i­mum de struc­ture. Ce type de mod­èle tire son avan­tage non pas dans l’aspect sécu­ri­taire, mais dans celui de sa charge utile. Seule­ment, en com­para­i­son avec l’avion, pour une même quan­tité de pas­sagers, ou de marchan­dis­es, le vol­ume néces­saire devra être bien plus impor­tant. « D’un point vu per­son­nel, admet Olivi­er Doaré, je ne pense pas que le dirige­able de demain rem­plac­era l’avion. Déjà par le poids de l’industrie aéro­nau­tique, mais aus­si par cet incon­vénient de la taille des struc­tures. » 

Le dirige­able de demain ne rem­plac­era pas l’avion.

Effec­tive­ment, un aéro­port demande un espace assez con­séquent pour accueil­lir les avions. Pour une flotte de dirige­ables, l’espace néces­saire serait « démen­tiel ». Le trans­port de pas­sagers ne pour­ra se faire qu’à petite échelle, et pour­rait être béné­fique à quelques sit­u­a­tions : « D’un point vu touris­tique, le dirige­able peut offrir des ser­vices sim­i­laires à une balade en mont­golfière, pré­cise Robin Le Mestre. Con­cer­nant le trans­port, il y a un intérêt gran­dis­sant pour les déplace­ments inter­ré­gionaux, ou vers des zones dénuées d’aéroport, comme beau­coup d’îles. »  

Les aérostats : la grande famille des dirigeables 

Les dirige­ables sont des engins faisant par­tie de la famille des aérostats. Dans cette grande famille sont com­pris les mont­golfières et les bal­lons cap­tifs. Ces deux engins utilisent une tech­nolo­gie sim­i­laire à celle des dirige­ables, et les résul­tats de cette thèse peu­vent égale­ment s’y appliquer. 

Les bal­lons cap­tifs, par exem­ple, sont util­isés pour des mis­sions d’observation. Ils per­me­t­tent une sur­veil­lance de zone à buts mil­i­taires, écologiques, topographiques, ou sim­ple­ment de con­trôle de pêche. Ils sont égale­ment utiles à des fins de com­mu­ni­ca­tions. Qui plus est, une fois dégon­flés, leur légèreté per­met un trans­port et un déploiement rapi­de dans des zones sensibles. 

Maîtris­er le com­porte­ment de l’engin face à des intem­péries, tout en pou­vant prédire ces dernières, leur don­nerait l’avantage d’une très grande sta­bil­ité dans les airs. Cette car­ac­téris­tique, con­juguée à la faible quan­tité d’énergie néces­saire pour les main­tenir en vol, les rend très utiles, même face à leurs con­cur­rents, les drones.

Cette tech­nolo­gie n’a donc pas pour objec­tif de rem­plac­er les trans­ports aériens de pas­sagers à grande échelle, mais ces avan­tages nom­breux lui accor­dent une util­ité dans bien d’autres domaines. « Les dirige­ables peu­vent tout de même trans­porter plusieurs dizaines de tonnes, pré­cise-t-il. Ils seront utiles pour des secteurs spé­ci­fiques, en par­ti­c­uli­er ceux pour lesquels la con­trainte de temps n’est que peu impor­tante. » 

Visuel d’un dirige­able de la start-up Fly­ing Whales (crédit : Fly­ing Whales).

L’entreprise Fly­ing Whales s’est par exem­ple intéressée à cette thèse. « L’entreprise souhaite dévelop­per un pro­to­type de dirige­able d’ici quelques années, pour le trans­port de charge dans des zones inac­ces­si­bles, comme les forêts en zones mon­tag­neuses, ajoute Robin Le Mestre. Trans­porter du bois dans une forêt inac­ces­si­ble en camion à bord de ce type d’engin sera plus effi­cace qu’en héli­cop­tère, pour lequel l’espace de stock­age est plus faible, et le tra­jet plus coû­teux. » 

L’entreprise Thalès, en parte­nar­i­at avec l’ONERA, a par ailleurs lancé le pro­jet « Stra­to­bus »2, un dirige­able conçu pour effectuer des vols dans la stratosphère. Ce dirige­able rem­pli­ra des mis­sions com­plé­men­taires à celles des satel­lites, dans une fonc­tion de sur­veil­lance, de com­mu­ni­ca­tion, mais aus­si de défense. Force est de con­stater que bon nom­bre de pro­jets fleuris­sent actuelle­ment un peu partout dans l’industrie : il n’en est donc pas encore fini des dirigeables !

Pablo Andres
1Le mestre, R. Mod­éli­sa­tion des effets de flu­ides externes et internes sur le com­porte­ment dynamique des dirige­ables flex­i­bles. (Insti­tut poly­tech­nique de Paris, 2022).
2https://​www​.onera​.fr/​f​r​/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​b​a​l​l​o​n​s​-​s​e​-​d​i​r​i​g​e​r​-​v​e​r​s​-​u​n​e​-​s​o​l​u​t​i​o​n​-​p​l​e​i​n​e​-​d​-​a​v​a​n​tages

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