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JO 2024 : la physique améliore les capacités des compétiteurs

Paralympiques : comment optimiser les lames de saut pour les athlètes amputés ? 

Fabien Szmytka, enseignant-chercheur à l’ENSTA Paris (IP Paris), Jean-François Semblat, responsable du Département mécanique et énergétique à l'ENSTA Paris (IP Paris) et Élodie Doyen, ingénieure de recherche à l'ENSTA Paris (IP Paris)
Le 3 janvier 2023 |
5 min. de lecture
Fabien Szmytka
Fabien Szmytka
enseignant-chercheur à l’ENSTA Paris (IP Paris)
Jean François Semblat
Jean-François Semblat
responsable du Département mécanique et énergétique à l'ENSTA Paris (IP Paris)
Elodie Doyen
Élodie Doyen
ingénieure de recherche à l'ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • Dans le cadre des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, des études sont menées afin d’améliorer la performance des prothèses tibiales.
  • Les athlètes paralympiques concernés utilisent des lames de saut qui s’apparentent à un ressort pour remplacer le membre amputé.
  • L’enjeu principal consiste à convertir l’énergie cinétique du sportif en « énergie d’impulsion », afin de s’élancer le plus loin possible.
  • En plus d’améliorer la performance, il s’agit aussi d’améliorer le confort des athlètes en évitant au maximum les frictions peau-prothèse.
  • L’étude des forces statiques et dynamiques est mise au service de l’humain, pour faire progresser « l’homme augmenté ».

Les Jeux Olympiques et Par­a­lympiques de Paris de 2024 arrivent à grands pas. Dans le cadre du pro­jet Sci­ences2024, nous menons des travaux pour amélior­er la per­for­mance des pro­thès­es tib­iales employées par cer­tains par­a­lympi­ens pour le saut en longueur. Il existe plusieurs caté­gories d’amputés – ampu­ta­tion basse ou haute de la jambe, des deux mem­bres ou d’un seul – mais nous nous focal­isons sur les amputés uni­latéraux, c’est-à-dire ceux qui ont été amputés d’une seule jambe au-dessous du genou. 

Sauter plus loin

Notre démarche a pour objec­tif dechercher des solu­tions pour opti­miser la resti­tu­tion de l’énergie au moment cri­tique du saut : c’est l’instant même de l’impulsion qui per­met au sportif de se pro­jeter en avant. Chez les amputés uni­latéraux, la lame de saut – en car­bone rigide mais de forme très élancée – rem­place le mem­bre amputé et s’assimile à un gros ressort presque parfait.

La lame, qui s’emboite sur le mem­bre résidu­el, per­met au sportif de pren­dre son élan en appuyant dessus et en la com­p­ri­mant ain­si forte­ment au moment de l’impulsion. Lors d’un saut en longueur, un ath­lète réalise une course d’élan impor­tante : plus il court vite, plus il emma­ga­sine de l’énergie ciné­tique, qui est ensuite « trans­for­mée » en impul­sion lors du dernier appel. L’enjeu prin­ci­pal con­siste à con­ver­tir cette énergie ciné­tique, liée à la vitesse d’élan, en « énergie d’impulsion » pour per­me­t­tre au sportif de s’élancer le plus loin possible.

L’enjeu prin­ci­pal est de con­ver­tir la vitesse d’élan en énergie d’impulsion pour per­me­t­tre au sportif de s’élancer le plus loin possible.

Cer­tains paramètres, comme un angle de saut inadap­té, une mau­vaise posi­tion du corps ou les mou­ve­ments par­a­sites de l’athlète pen­dant le saut peu­vent dis­siper cette pré­cieuse énergie. De plus, les frot­te­ments dans l’emboîture ou encore les chocs trans­mis au corps du sportif peu­vent con­duire à des blessures – et ce, même si le geste ou la pro­thèse sont pen­sés de la meilleure façon pos­si­ble pour la per­for­mance. C’est pourquoi nous cher­chons à com­pren­dre com­ment trans­fér­er de façon opti­male cette énergie ciné­tique à l’impulsion en effi­cac­ité vis-à-vis de la longueur du saut sans occa­sion­ner de blessure nuis­i­ble à la performance. 

Le geste sportif et la pro­thèse sont donc essen­tiels pour la con­ver­sion d’énergie. À cette fin, nous étu­dions l’énergie accu­mulée dans la lame afin que l’athlète puisse se pro­jeter le plus loin pos­si­ble. Nous nous intéres­sons davan­tage à la per­for­mance dans cette par­tie de notre tra­vail et nous tra­vail­lons avec le directeur tech­nique de la Fédéra­tion française han­d­is­port qui nous met en con­tact avec les sportifs et leurs entraîneurs.

Améliorer le confort 

En plus d’amélior­er les per­for­mances, nous cher­chons donc égale­ment à amélior­er le con­fort des ath­lètes, à lim­iter leur fatigue et, bien enten­du, leurs blessures. La lame de saut est un appen­dice qui leur per­met de sauter, mais elle crée aus­si des vibra­tions et des chocs lorsqu’elle impacte le sol. Ces vibra­tions peu­vent provo­quer des fric­tions au niveau de l’emboiture, générant ain­si de l’inconfort, voire des douleurs. Nous cher­chons à mesur­er ces chocs grâce à une mod­éli­sa­tion numérique afin d’analyser leur trans­mis­sion au corps de l’athlète.

Nous pour­rons com­pren­dre com­ment les matéri­aux com­posant la lame et la pro­thèse peu­vent se déformer mécanique­ment et réduire les chocs.

Nous avons mis en place des pro­to­coles expéri­men­taux en lab­o­ra­toire qui vont nous per­me­t­tre de repro­duire le geste sportif. Avec ceux-ci, nous pour­rons com­pren­dre la défor­ma­tion glob­ale de la lame, sous l’effet de la com­pres­sion, à l’impulsion mais surtout com­pren­dre com­ment les matéri­aux com­posant la lame et la pro­thèse trans­met­tent les forces de la piste vers le corps de l’athlète. De plus on iden­ti­fiera leur rôle à la fois dans la resti­tu­tion d’énergie mais aus­si dans la réduc­tion du risque de blessures inhérent à la pratique.

Pour ce faire, nous avons dévelop­pé de nom­breuses expéri­ences en lab­o­ra­toire avec des instru­men­ta­tions var­iées. Des caméras rapi­des et des cap­teurs nous per­me­t­tent ain­si d’analyser en détail les phénomènes dynamiques et mesur­er les efforts ain­si que le trans­fert des ondes. Ces mesures nous per­me­t­tent d’aller vers une opti­mi­sa­tion glob­ale du sys­tème lame-prothèse.

Nous tra­vail­lons égale­ment sur le développe­ment des matéri­aux qui con­stituent la pro­thèse et nous nous efforçons de trou­ver ceux qui don­neront de bonnes per­for­mances glob­ales. Ces matéri­aux sont fab­riqués par impres­sion 3D, autrement appelée « fab­ri­ca­tion additive ».

Comprendre les forces 

Pour analyser au mieux l’impact des matéri­aux et du geste sportif, nous étu­dions deux scé­nar­ios. Dans le pre­mier, lorsque l’athlète appuie sur la lame assez lente­ment, cela provoque une défor­ma­tion pro­gres­sive. Dans ce cas, l’information peut être analysée de manière assez sim­ple – par un pro­to­cole d’essai sta­tique en lab­o­ra­toire. La lame étant con­sti­tuée d’un matéri­au rigide mais de forme élancée, elle se déforme glob­ale­ment mais aus­si locale­ment au niveau de la semelle et au point de con­tact avec le mem­bre résidu­el via l’emboiture. Nous étu­dions donc les défor­ma­tions sta­tiques locales – qui per­me­t­tent de com­pren­dre la façon dont l’én­ergie se dis­sipe – et la nature des pres­sions sur le mem­bre amputé – qui peu­vent provo­quer d’éventuelles blessures. 

Deux­ième scé­nario : la vitesse de sol­lic­i­ta­tion aug­mente pro­gres­sive­ment afin de repro­duire les con­di­tions de la dernière impul­sion de l’athlète sur la lame. Grâce à nos obser­va­tions pen­dant la course de l’athlète et au moment de son saut, nous sommes dans la capac­ité de mesur­er la vitesse de défor­ma­tion de la lame et de la semelle. La trans­mis­sion des vibra­tions et des chocs depuis le sol vers la lame, puis vers le mem­bre du sportif, est ain­si car­ac­térisée par des mod­èles théoriques. Dans ce deux­ième scé­nario, il est aus­si intéres­sant de voir les effets dynamiques et les forces qui inter­agis­sent entre la piste, la lame et l’athlète. Ces forces vari­ent rapi­de­ment au moment de l’impulsion et sont représen­ta­tives des phénomènes de chocs occa­sion­nant sou­vent des blessures.

Dans le pre­mier scé­nario, les forces sta­tiques sont à l’œuvre ; dans le deux­ième, ce sont les forces dynamiques ou impul­sion­nelles. Ces con­cepts sont couram­ment util­isés pour étudi­er des matéri­aux struc­turés ou des méta­matéri­aux dans l’industrie. Nous les trans­posons au ser­vice de l’humain, afin de faire pro­gress­er le domaine de « l’homme aug­men­té » ou le futur ath­lète médaillé !

Isabelle Dumé

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