Man Wearing Brainwave Scanning Headset Sits in a Chair while Scientist with Tablet Computer Supervises Process. In the Modern Brain Study Laboratory Monitors Show EEG Reading and Brain Model.
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JO 2024 : la physique améliore les capacités des compétiteurs

« Le sport apporte autant à la science que la science lui apporte »

Vincent Nougier, professeur à l’Université Grenoble Alpes et ancien responsable du GDR CNRS Sport & Activité Physique
Le 30 avril 2024 |
5 min. de lecture
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Vincent Nougier
professeur à l’Université Grenoble Alpes et ancien responsable du GDR CNRS Sport & Activité Physique
En bref
  • Paradoxalement, alors que les performances sportives ne font qu’augmenter, l’activité physique mondiale connaît une diminution constante.
  • Les études scientifiques sur le sport ont différents intérêts : optimiser les performances, identifier les bienfaits du sport sur la santé et comprendre les caractéristiques physiques du monde terrestre.
  • Augmenter la pratique physique mondiale est un enjeu actuel majeur, puisque l’activité physique est essentielle à la bonne santé.
  • Dans certains sports, l’optimisation peut avoir un impact tel, que le règlement se doit d’évoluer.
  • L’optimisation des performances s’opère à plusieurs niveaux : l’amélioration des entraînements, des équipements et de la préparation mentale.
  • Les connaissances obtenues par les études du sport profitent ensuite à d’autres secteurs, comme l’exploration spatiale ou la rééducation.

Les per­for­mances sportives sem­blent s’amélior­er d’année en année, à l’image de ces records qui ne cessent d’être bat­tus. A con­trario, l’activité physique mon­di­ale, elle, ne fait que dimin­uer. Cette diminu­tion serait générale­ment liée aux inno­va­tions et serait présente sur presque tous les plans de la société. Par exem­ple, l’agriculture demande de moins en moins d’efforts physiques ou le sim­ple fait de se déplac­er à pied ou à vélo se raré­fie. Dans les études sci­en­tifiques menées sur le sport, il est donc impor­tant de dis­tinguer l’activité physique de l’activité sportive. « Dans sport, il y a activ­ité physique et sportive, explique Vin­cent Nougi­er, pro­fesseur à l’Université Greno­ble Alpes. Ce n’est donc pas seule­ment le sport de haut niveau, mais bien le sim­ple mou­ve­ment. La marche, dans sa plus sim­ple appli­ca­tion, est déjà une forme d’activité physique. »

Les deux sont peut-être intime­ment liées, et les étudi­er n’expose pas les mêmes intérêts sci­en­tifiques. « Le pre­mier intérêt, qui est très triv­ial, est bien enten­du dans l’amélioration des per­for­mances du sportif, pour­suit le pro­fesseur. Un sec­ond intérêt se trou­ve dans le domaine du sport-san­té, où les ques­tions tour­nent plus autour de l’activité physique. Le dernier intérêt, un peu mis à l’écart, est que le sport reste un mod­èle com­plexe, met­tant en jeu bon nom­bre de car­ac­téris­tiques physiques de notre monde. L’étudier nous per­met aus­si de mieux les com­pren­dre. » La recherche dans le milieu du sport étant peu présente au CNRS, le Groupe­ment de recherche Sport & Activ­ité s’est for­mé pour répon­dre à ces trois axes.

De l’activité sportive…

Avec l’arrivée des Jeux olympiques et par­a­lympiques à Paris, l’intérêt des recherch­es se focalise logique­ment sur l’optimisation des per­for­mances de nos sportifs. Les recherch­es peu­vent impacter les per­for­mances de bien des manières. « La plus évi­dente est au tra­vers des inno­va­tions tech­nologiques, ajoute Vin­cent Nougi­er. Comme amélior­er les matéri­aux util­isés dans les équipements pour jouer sur leur poids, leur aéro­dy­namisme, et autres. » Par la com­préhen­sion des élé­ments physiques entrant en jeu durant la per­for­mance, il est pos­si­ble d’opti­miser les équipements des sportifs. Des chaus­sures pour les coureurs qui se per­fec­tion­nent chaque année, aux raque­ttes de ping-pong et leur mousse à l’utilité par­ti­c­ulière. Ces opti­mi­sa­tions peu­vent même être poussées à l’échelle de l’individu. « J’utilise sou­vent l’exemple du foil de la planche à voile, développe-t-il. Bien qu’ils soient stan­dard­is­és dans leur fab­ri­ca­tion, ils ne sont pas exacte­ment les mêmes dans leurs car­ac­téris­tiques physiques. L’intérêt est de faire con­verg­er les sen­sa­tions de l’athlète, ayant son foil de préférence, avec les indi­ca­teurs objec­tifs du foil qui lui don­nent ses car­ac­téris­tiques physiques. »

Dans cer­tains sports, l’optimisation peut avoir un impact tel, que le règle­ment se doit d’évoluer. Aujourd’hui, des avo­cats se spé­cialisent dans les règle­ments de sports pour déter­min­er les lim­ites à ne pas dépass­er, amenant inéluctable­ment les com­péti­teurs à vouloir s’en rap­procher le plus pos­si­ble. « L’exemple récent du voili­er de François Gabart le mon­tre, note Vin­cent Nougi­er. Les archi­tectes du bateau con­sid­éraient qu’il respec­tait le règle­ment, la classe Ultim n’était pas du même avis. Cette his­toire est allée jusqu’au tri­bunal, et a fini par la mod­i­fi­ca­tion du bateau en ques­tion. » Cette opti­mi­sa­tion poussée aux lim­ites ne se can­tonne pas à l’équipement util­isé, elle peut aus­si se retrou­ver dans les entraîne­ments. « Cer­taines méth­odes d’entraînement sem­blent plus effi­caces sur cer­tains aspects. L’entraînement en alti­tude per­met au corps de s’adapter à une activ­ité physique dans un envi­ron­nement où l’oxygène est moin­dre. Même si le sujet n’est pas encore très maîtrisé, la recherche mon­tre que cela peut avoir de nom­breux impacts posi­tifs sur la per­for­mance [ndlr : pour tout sport néces­si­tant de tra­vailler l’endurance]. »

Voilà un autre levi­er que la sci­ence a pour opti­miser les per­for­mances : l’entraînement. « Il y a ensuite tout ce qui con­cerne l’homme, l’athlète, con­state le pro­fesseur. Mieux com­pren­dre les mécan­ismes phys­i­ologiques pour la pré­pa­ra­tion physique, mais aus­si mieux com­pren­dre la pré­pa­ra­tion men­tale. » Car, bien que le sport se joue en apparence sur le physique, et que la sci­ence apporte aus­si un meilleur con­trôle sur les poten­tielles blessures du sportif, la par­tie cachée de l’iceberg reste le men­tal. La psy­cholo­gie devient donc un domaine clé. « De là, de nom­breuses dimen­sions appa­rais­sent dans les études, rap­porte-t-il. Com­ment gér­er le stress, la pres­sion et même l’échec ? Com­ment notre cerveau coor­donne nos mou­ve­ments ? Com­ment faire pour qu’il soit plus effi­cace, pour qu’il apprenne plus vite et mieux ? » Tous ces élé­ments sont encore peu con­nus aujourd’hui. Alors que jouer dessus offre une meilleure pré­pa­ra­tion physique (en évi­tant les blessures et en tirant le meilleur de l’athlète), une meilleure pré­pa­ra­tion men­tale lui per­met d’exercer au meilleur niveau. « Aujourd’hui, au plus haut niveau sportif, la dif­férence se fait au men­tal », insiste le pro­fesseur.  

… à l’activité physique

« Out­re la per­for­mance, mieux com­pren­dre les enjeux de l’activité physique à des fins de san­té est impor­tant aujourd’hui, com­plète Vin­cent Nougi­er. D’autant plus dans une société où la con­di­tion physique de la pop­u­la­tion baisse dras­tique­ment chaque année. » La sci­ence a déjà démon­tré les bien­faits du sport sur la san­té. Entre autres, des études soulig­nent que la pra­tique régulière d’une activ­ité physique réduirait les risques de dévelop­per une mal­adie chronique1. En plus des bien­faits physiques con­nus — amélio­ra­tion de la con­di­tion physique, du som­meil, etc. – cette pra­tique ren­forcerait égale­ment le sys­tème immu­ni­taire et amélior­erait la san­té mentale. 

« En par­al­lèle, il y a une hausse du nom­bre de mal­adies chroniques, ajoute le pro­fesseur. Que ce soit pour le dia­bète, l’obésité, des prob­lèmes car­dio­vas­cu­laires ou res­pi­ra­toires, la pra­tique du sport est impor­tante et il faut la répan­dre. » Seule­ment, la répan­dre demande de nom­breux coûts socié­taux. « Il faut donc mieux com­pren­dre com­ment ce « médica­ment » [ndlr : l’activité physique] peut être admin­istré et aus­si mieux com­pren­dre les aspects d’éducation, ou encore de développe­ment durable du ter­ri­toire. »

En cela, l’étude du sport s’éloigne de l’intérêt des inno­va­tions tech­nologiques pour se con­cen­tr­er sur les leviers qui aug­menteront la pra­tique. « Com­pren­dre les mécan­ismes indi­vidu­els qui poussent à la pra­tique d’activités physiques, comme la moti­va­tion, et opti­miser l’aménagement des ter­ri­toires (en créant de nou­velles infra­struc­tures sportives) sont deux angles d’attaques pour favoris­er cette pra­tique », déclare Vin­cent Nougier.

Un échange donnant-donnant

Autre intérêt, plus rarement souligné, des études sci­en­tifiques sur le sport : la com­préhen­sion des car­ac­téris­tiques physiques ter­restres. Vin­cent Nougi­er détaille quelques exem­ples : « Cer­tains prob­lèmes sont posés par la pra­tique sportive, en par­ti­c­uli­er de haut niveau. Rien que con­sid­ér­er la tra­jec­toire d’une balle ou d’un javelot rend le sport sci­en­tifique com­pliqué à gér­er, à expli­quer. » L’intérêt, démon­tré plus haut, d’optimiser la per­for­mance demande de com­pren­dre et de gér­er au mieux pos­si­ble ces prob­lé­ma­tiques. Et, générale­ment, une fois les con­nais­sances obtenues, elles prof­iteront à d’autres secteurs.

« Dans la ques­tion de “ com­ment irons-nous sur Mars ? ”, il y a celle de l’activité physique réduite des astro­nautes pen­dant une péri­ode pro­longée, argu­mente-t-il. L’Homme ne pou­vant pas rester sans mou­ve­ment, les con­nais­sances que nous avons dévelop­pées sur la pré­pa­ra­tion physique d’athlètes peu­vent nous être utiles. » Sem­blable­ment, les tech­niques de récupéra­tion mus­cu­laire ont été adap­tées aux patients en réé­d­u­ca­tion après blessure ou opéra­tion. Les pro­thès­es ou les équipements de tra­vail ergonomiques trou­vent aus­si leur opti­mi­sa­tion au tra­vers de la pra­tique sportive.

Et que dire, dans ce cas, des inno­va­tions tech­nologiques induites par la com­péti­tion telles que les matéri­aux légers d’une for­mule 1, leur aéro­dy­namisme ou les inno­va­tions dans la sécu­rité du pilote, le mon­trent. Nom­breuses sont celles qui se répan­dent à d’autres secteurs. Pour Vin­cent Nougi­er, c’est une évi­dence : « Le sport apporte autant à la sci­ence que la sci­ence lui apporte. »         

Pablo Andres
1Ander­son E, Durs­tine JL. Phys­i­cal activ­i­ty, exer­cise, and chron­ic dis­eases: A brief review. Sports Med Health Sci. 2019 Sep 10;1(1):3–10. doi: 10.1016/j.smhs.2019.08.006. PMID: 35782456; PMCID: PMC9219321.

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