π Science et technologies π Société
JO 2024 : la physique améliore les capacités des compétiteurs

Quand la réalité virtuelle muscle la performance des boxeurs

Franck Multon, professeur de l'Université Rennes2 à l'Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (IRISA)
Le 4 octobre 2022 |
4 min. de lecture
Franck MULTON
Franck Multon
professeur de l'Université Rennes2 à l'Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (IRISA)
En bref
  • Le projet REVEA a pour but de mettre la réalité virtuelle (VR) au service du sport.
  • Dans l’optique des Jeux olympiques de 2024, ce projet aidera les athlètes à améliorer certaines « sous-compétences » comme la vitesse et la coordination motrice.
  • Afin de surpasser les contraintes d’un entraînement réel, un simulateur en VR a été développé à partir des mesures en 3D des mouvements des sportifs.
  • Le projet s’insère dans un programme sportif plus général, où préparation physique, mentale et technique viennent compléter les séances de VR.
  • Le projet s’améliore graduellement, non seulement grâce aux retours des entraîneurs et des sportifs mais encore grâce aux nouvelles recherches sur l'IA.

Les Jeux Olympiques de 2024 arrivent à grands pas et il n’y a pas que la ville de Paris qui se pré­pare… la sci­ence s’y met aus­si ! Chez Inria Rennes, nous menons des recherch­es avec l’équipe olympique de boxe et son entraîneur : dans le cadre du pro­jet REVEA1, nous cher­chons à déter­min­er com­ment la réal­ité virtuelle peut aider l’équipe à tra­vailler sur cer­taines « sous-com­pé­tences » à amélior­er comme la vitesse, la coor­di­na­tion motrice et la mus­cu­la­tion, pour n’en citer que quelques-unes. Con­traire­ment à ce que l’on pour­rait atten­dre, notre sys­tème de réal­ité virtuelle ne vise pas à repro­duire un match ou une com­péti­tion réelle, mais plutôt à iden­ti­fi­er une sous-com­pé­tence spé­ci­fique et à l’améliorer dans une sit­u­a­tion de com­bat ciblée. Dans le cas de la boxe, la sous-com­pé­tence que nous cher­chons à entrain­er est la capac­ité à anticiper les attaques de l’adversaire.

Crédit : REVEA. 

Sans réal­ité virtuelle, deux boxeurs doivent com­bat­tre face à face, l’un d’en­tre eux étant invité à repro­duire des attaques-type, afin d’analyser le com­porte­ment de l’opposant.  Il est cepen­dant très dif­fi­cile de con­trôler et de repro­duire fidèle­ment les sit­u­a­tions d’un essai à l’autre. Cette approche lim­ite aus­si inévitable­ment le temps d’en­traîne­ment car un tel exer­ci­ce est physique­ment exigeant – de vrais coups de poing sont échangés et encais­sés. Dans la réal­ité virtuelle, ce type d’en­traîne­ment peut être réal­isé avec notre avatar et un adver­saire virtuel sans risque de se bless­er. Il offre aus­si une gamme de stim­uli qui va au-delà de la réal­ité : nous pou­vons jouer sur les per­cep­tions visuelles et audi­tives ou encore affron­ter un adver­saire aux capac­ités extra­or­di­naires afin de repouss­er les lim­ites de l’entrainement traditionnel. 

Une carte du comportement des sportifs

À cette fin, notre équipe a dévelop­pé un sim­u­la­teur en réal­ité virtuelle, qui utilise les mesures tridi­men­sion­nelles des mou­ve­ments de boxeurs pro­fes­sion­nels obtenues à l’aide de dis­posi­tifs de cap­ture de mou­ve­ments (via la plate­forme Immer­move instal­lée au lab­o­ra­toire M2S). Ces don­nées, qui com­pren­nent, par exem­ple, de légers mou­ve­ments antic­i­pa­toires de la frappe, comme un mou­ve­ment de hanche, sont ensuite trans­posées sur des humains virtuels dont les mor­pholo­gies peu­vent être dif­férentes. Le boxeur peut alors visu­alis­er son adver­saire représen­té par son avatar et affiché dans un casque de réal­ité virtuelle. En tant que chercheurs, nous obser­vons alors les réac­tions du boxeur à dif­férents types de frappes, et s’il est sen­si­ble à ces légers mou­ve­ments antic­i­pa­toires perçus sur l’adversaire. Ces obser­va­tions peu­vent être quan­tifiées, par exem­ple, par des taux de réus­site ou des temps de réac­tion, afin de créer une sorte de car­togra­phie de la per­for­mance antic­i­pa­toire du boxeur.

Le pro­gramme d’entrainement com­prend la pré­pa­ra­tion physique, la pré­pa­ra­tion men­tale, la pré­pa­ra­tion tech­nique… et des séances en réal­ité virtuelle !

En plus de son appli­ca­tion à la boxe, nous avons util­isé notre approche pour accom­pa­g­n­er l’entrainement des gar­di­ens de but du Stade Ren­nais Foot­ball Club. Notre sys­tème de réal­ité virtuelle les a entraînés à ne pas se focalis­er sur le joueur qui a le bal­lon, mais à mieux gér­er l’information disponible en vision périphérique. En effet, si l’attaquant fait une passe à la dernière sec­onde à quelqu’un de l’autre côté du but, les gar­di­ens ne décou­vriront la sit­u­a­tion que trop tard et n’au­ront peut-être pas le temps de réagir. 

Une recherche appliquée

Notre recherche est très appliquée : notre objec­tif est de servir les équipes olympiques afin qu’elles soient prêtes pour « Paris 2024 ». En effet, réfléchir à la manière d’inclure ces tech­nolo­gies dans le quo­ti­di­en des ath­lètes est une des exi­gences du monde sportif. Nous nous sommes ain­si posé les ques­tions suiv­antes : quelle longueur d’en­traîne­ment doit-on effectuer avec ce type de tech­nolo­gie ? À quel moment de la journée et  à quel moment dans le pro­gramme d’entrainement ? Quelle devrait être la durée d’une séance-type ? Avec qui devri­ons-nous nous entraîn­er – les espoirs olympiques ou tous les ath­lètes – et à quelle fréquence ? Notre démarche s’inscrit dans un pro­gramme d’entrainement plus vaste, décidé par l’entraîneur, qui com­prend de la pré­pa­ra­tion physique, de la pré­pa­ra­tion men­tale, de la pré­pa­ra­tion tech­nique… en plus de ces séances en réal­ité virtuelle.

Nous avons mis notre sys­tème à la dis­po­si­tion du cen­tre d’en­traîne­ment de l’équipe olympique et des sci­en­tifiques de l’INSEP tra­vail­lant avec la Fédéra­tion Française de Boxe. De ce fait, nous con­tin­uons de le dévelop­per et de le ren­dre plus effi­cace grâce aux retours que nous font ath­lètes et entraîneurs. Par exem­ple, dans notre pre­mière ver­sion, l’ad­ver­saire fai­sait trop de mou­ve­ments répéti­tifs, ce qui nui­sait au réal­isme de la sit­u­a­tion. Il y a aus­si la ques­tion de l’amélio­ra­tion de l’équipement util­isé pour l’entrainement en réal­ité virtuelle. Les casques immer­sifs doivent-ils être grand angle ou non ? Des cap­teurs sur les mains sont-ils suff­isants ou faut-il prévoir des cap­teurs sur l’ensem­ble du corps ? 

Traduire les données

Nous dis­posons d’une plate­forme logi­cielle qui se fonde sur un out­il com­mer­cial appelé Uni­ty, tra­di­tion­nelle­ment employé pour l’élab­o­ra­tion des jeux vidéo. Elle charge un envi­ron­nement tridi­men­sion­nel – dans notre cas, un ring de boxe – ain­si que des humains virtuels et leurs mou­ve­ments. Nous écrivons un scé­nario dans lequel les mou­ve­ments des humains virtuels sont stock­és dans des « librairies de mou­ve­ments » que nous rejouons. Il y a ensuite des algo­rithmes qui sont liés au con­trôle de mou­ve­ment des avatars. Tous ces élé­ments nous four­nissent l’ensem­ble des métriques nous per­me­t­tant de mesur­er les temps de réac­tion et les capac­ités d’an­tic­i­pa­tion des boxeurs. 

Nous avons égale­ment com­mencé à tra­vailler sur l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle, les réseaux neu­ronaux et l’ap­pren­tis­sage pro­fond par ren­force­ment pour amélior­er le com­porte­ment des opposants virtuels. Cette par­tie de la tech­nolo­gie n’est pas encore mûre, mais les pre­miers résul­tats mon­trent qu’il est pos­si­ble de repro­duire des com­porte­ments d’interactions com­plex­es entre deux boxeurs, avec très peu d’observations de com­bats réels. En pous­sant cette approche à ses lim­ites, nous pour­rions envis­ager de simuler la gestuelle et la stratégie d’un boxeur en par­ti­c­uli­er à par­tir de quelques séquences vidéo de ses com­bats précédents.

Propos recueillis par Isabelle Dumé 

Pour aller plus loin :

1Le pro­jet REVEA est financé par le pro­gramme pri­or­i­taire de recherche (PPR) « Sport de très haute per­for­mance », du Pro­gramme d’In­vestisse­ment d’Avenir, mis en place dans la per­spec­tive des Jeux olympiques et par­a­lympiques de Paris 2024. Le pro­gramme est co-porté par le min­istère de l’En­seigne­ment supérieur, de la Recherche et de l’In­no­va­tion, et le min­istère de l’É­d­u­ca­tion nationale, de la Jeunesse et des Sports. (https://​www​.enseigne​mentsup​-recherche​.gouv​.fr/​s​i​t​e​s​/​d​e​f​a​u​l​t​/​f​i​l​e​s​/​c​o​n​t​e​n​t​_​m​i​g​r​a​t​i​o​n​/​d​o​c​u​m​e​n​t​/​p​i​a​3​l​i​v​r​e​t​_​8​5​3​1​2​7.pdf)

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter