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Les jeux vidéo font-ils progresser la science ?

« Metaverse » : l’énorme potentiel d’audience des mondes virtuels

Jean Zeid, Journaliste
Le 6 octobre 2021 |
5 min. de lecture
Julien Pillot
Julien Pillot
enseignant-chercheur à l'Inseec et chercheur associé au CNRS
En bref
  • Connecté à la gamification, il y a un univers social qui persiste, avec plus de 350 millions de comptes enregistrés en 2020.
  • Dans cet univers 100% numérique, les entreprises ou les marques tierces peuvent créer leurs propres modules complémentaires de conception ancrés dans le monde réel – un concert d'Ariana Grande a rassemblé 78 millions de téléspectateurs.
  • Néanmoins, le metaverse est aujourd'hui plus une vision qu'une réalité car le "vrai" metaverse nécessiterait un casque de réalité virtuelle avec des capacités de sensorialité et d'immersion.
  • En tant que tel, il aurait une économie parallèle ainsi qu'une forme d'organisation sociétale et d'autres institutions.
  • D'où sa popularité croissante, soutenue par la puissance médiatique et économique de ses plus grands ambassadeurs, Facebook, Microsoft et Tencent en tête.

Quelle est votre déf­i­ni­tion du con­cept de metaverse ?

Julien Pil­lot. Celle qui est com­muné­ment admise désigne une fusion entre des mon­des virtuels dans lesquels on intè­gre des espaces qui, eux, sont ancrés dans le réel. On pour­rait même par­ler des meta­vers­es, car il n’y a pas qu’un – il en existe déjà plusieurs comme Roblox par exem­ple ou Fort­nite, qui est un exem­ple de meta­verse 1.0. Fort­nite est avant tout un jeu de type Bat­tle Royale. Ce genre très pop­u­laire mêle jeu de tir et jeu de survie sur le principe du « il ne peut en rester qu’un ». En solo ou en équipe, une cen­taine de joueurs s’affrontent jusqu’au dernier en réseau. Et à côté des arènes de com­bats coex­iste un univers social per­sis­tant avec plus de 350 mil­lions de comptes enreg­istrés en 2020.

Dans cet univers per­sis­tant 100 % dig­i­tal, les développeurs peu­vent laiss­er la place à d’autres développeurs – entre­pris­es ou mar­ques tierces – afin qu’ils puis­sent con­cevoir les mod­ules à ancr­er dans le réel. L’éditeur de Fort­nite, Epic Games, organ­ise régulière­ment à côté de son jeu des événe­ments soci­aux, à l’instar des con­certs don­nés par des stars plané­taires comme Travis Scott avec 27 mil­lions de joueurs unique présents ou d’Ariana Grande avec 78 mil­lions de view­ers. On a bien une adjonc­tion avec la réal­ité parce que ces con­certs virtuels, avant d’être numérisés par les développeurs de Fort­nite, ont été imag­inés et choré­graphiés par des vrais artistes, que l’on pour­rait d’ailleurs éventuelle­ment aller voir sur une scène physique. Mais l’événement a bien lieu dans un univers virtuel et ce sont nos avatars virtuels qui par­ticipent au con­cert. Le meta­verse, c’est ça.

Pour­ra-t-on voy­ager aisé­ment entre les dif­férents mod­ules dun meta­verse ?

On peut tout imag­in­er, en fait, parce qu’au­jour­d’hui, le meta­verse est plus une vue de l’esprit qu’un pro­jet réal­isé. Le vrai meta­verse, ce fan­tasme qui habite beau­coup de gamers et de développeurs de jeux vidéo depuis des décen­nies, est lié à la réal­ité virtuelle. Pour entr­er dans ce meta­verse rêvé, il faut se coif­fer d’un casque de réal­ité virtuelle avec des pos­si­bil­ités sen­sorielles et d’immersion qui sont évidem­ment démul­ti­pliées. Et dans cet univers virtuel, vous pour­riez vivre dif­férentes expéri­ences sociales, dont cer­taines auraient un ancrage dans le réel.

Pourquoi ne pas vis­iter un musée qui aurait été com­plète­ment numérisé ? Pourquoi ne pas aller dans une bou­tique où votre avatar pour­rait essay­er des t‑shirts, des robes, des jeans qui exis­tent bel et bien dans la sphère réelle et que vous pour­riez éventuelle­ment com­man­der pour les recevoir chez vous ? Ou inverse­ment, pourquoi ne pas imag­in­er que le t‑shirt que vous venez d’acheter dans une bou­tique physique puisse être numérisé pour équiper égale­ment votre avatar numérique ? Une économie par­al­lèle pour­rait se met­tre en place, de même qu’une cer­taine forme d’organisation socié­tale et d’autres institutions.

Quelle dif­férence avec une expéri­ence passée qui a été à la fois une réus­site et un échec, c’est-à-dire Sec­ond Life ?

Sec­ond Life, une sim­u­la­tion de vie apparue en 2003, est vrai­ment la pre­mière ten­ta­tive de meta­verse. L’am­bi­tion ini­tiale des développeurs était de créer, jusqu’au nom même du jeu, une expéri­ence virtuelle alter­na­tive à la vie réelle dans laque­lle une lib­erté totale serait lais­sée aux joueurs pour con­stru­ire l’univers. Mais le jeu est resté au stade du bal­bu­tiement car les tech­nolo­gies de l’époque, très peu sen­sorielles, très peu expéri­en­tielles, étaient trop lim­itées et le jeu a mal vieilli.

L’idée des très grands acteurs du numérique aujour­d’hui, notam­ment Face­book, est de con­cevoir – à terme – une sorte de Sec­ond Life, mais avec toute la puis­sance tech­nologique actuelle, prob­a­ble­ment avec un con­trôle accru sur le degré de lib­erté con­féré aux joueurs, et une rela­tion com­mer­ciale BtoB claire­ment établie avec les développeurs de mod­ules. Der­rière, on imag­ine bien des sys­tèmes de paiement en mon­naie numérique, et finale­ment, la créa­tion d’une véri­ta­ble économie par­al­lèle à l’in­térieur de ce meta­verse, ce que n’a pas pu com­plète­ment réalis­er Sec­ond Life.

En quelque sorte, avec Sec­ond Life, on a eu l’odeur du meta­verse, mais on n’avait pas encore la saveur. Les visions actuelles autour des meta­vers­es nous font saliv­er. Mais ce sont des visions qui ne pour­ront pas arriv­er à matu­rité avant de nom­breuses années. Le saut tech­nologique et les investisse­ments néces­saires sont colos­saux. Il faut s’attendre à ce que les pre­miers gros démon­stra­teurs tech­niques, for­cé­ment lim­ités à un type d’expérience en par­ti­c­uli­er, arrivent rapi­de­ment. Notam­ment, Hori­zon Work­rooms de Facebook.

Depuis la révo­lu­tion infor­ma­tique, le jeu vidéo joue sou­vent le rôle de médi­a­teur des nou­velles tech­nolo­gies auprès du grand public. 

C’est nor­mal parce que le jeu vidéo est devenu un diver­tisse­ment main­stream et un média à part entière. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, il a rem­placé dans le cœur de beau­coup de vision­naires le ciné­ma comme vecteur d’in­no­va­tions. Les investisse­ments dans le jeu vidéo au sens large sont désor­mais colos­saux. Ils per­me­t­tent de financer l’in­no­va­tion, de créer des pro­to­types qu’il s’a­gi­ra de tester auprès du grand public.

C’est la pre­mière indus­trie cul­turelle en valeur. Certes, il y aura tou­jours plus de per­son­nes pour écouter de la musique que de joueuses et joueurs de jeu vidéo. Mais ce n’est pas pour autant que les enjeux en matière d’in­no­va­tion, de tech­nolo­gie, d’in­dus­trie, d’emploi, si on va jusqu’au bout de la logique, ne se focalisent pas sur le secteur du jeu vidéo. D’autant que le jeu vidéo dis­pose aus­si de joueurs technophiles qui sont autant de poten­tiels ear­ly-adopters en puis­sance. Pour les entre­pris­es inno­va­tri­ces, cette soci­olo­gie de gamers est une véri­ta­ble aubaine pour tester leurs nou­velles propo­si­tions de valeur avant de les faire con­naître auprès du grand public.

Pourquoi le meta­verse est-il dans lair du temps ? 

Com­mençons par dire que c’est un buzz­word parce que les mar­ke­teux s’en sont emparés. Sou­vent, en économie de l’in­no­va­tion, on retrou­ve ce cir­cuit. Le terme s’impose tant que les gens du mar­ket­ing s’y intéressent, et ils s’y intéressent parce qu’ils pressen­tent que, pre­mière­ment, il y a du bud­get com­mu­ni­ca­tion à dépenser et que, deux­ième­ment, il y a un marché der­rière. S’il n’y a pas de marché immé­di­at, il arrive que le buzz­word tombe en désué­tude, chas­sé par la nou­velle mode. Mais ce n’est pas pour autant que le con­cept ini­tial a dis­paru et que les entre­pris­es impliquées dans le développe­ment des con­cepts et tech­nolo­gies ne con­tin­u­ent pas à tra­vailler. Der­rière le meta­verse, il y a surtout une vision tech­nologique, un fan­tasme ali­men­té par les vision­naires du jeu vidéo, et du numérique au sens large. D’où sa pop­u­lar­ité gran­dis­sante, bien portée par la puis­sance médi­a­tique et économique de ses plus grands ambas­sadeurs, Face­book, Microsoft ou Ten­cent en tête.

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