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Comment les nouveaux matériaux transforment l’industrie

Impression 4D : les matériaux intelligents du futur ?

Giancarlo Rizza, chercheur au CEA, spécialiste de fabrication additive 4D
Le 16 février 2022 |
5 min. de lecture
Giancarlo rizza
Giancarlo Rizza
chercheur au CEA, spécialiste de fabrication additive 4D
En bref
  • L’impression 4D est la forme fonctionnelle de l’impression 3D. Elle permet d’imprimer des objets dynamiques qui répondent activement aux stimuli externes.
  • C’est l’utilisation des matériaux intelligents proposée par Skylab Tibias lors d’un TedX pour produire des objets programmables qui donnera le nom de « l’impression 4D ».
  • L’impression 4D pourra repousser les limites de la conception en permettant « l’auto-assemblage » par les matériaux intelligents.
  • Les applications de l’impression 4D sont nombreuses, tant dans la médecine, avec les prothèses ou encore dans l’énergie pour maximiser les différentes structures photovoltaïques par exemple.
  • Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que l’impression 4D vient s’ajouter à ce processus de transformation profonde, de conception et de production d’objets industriels, initié par la fabrication additive.

La tech­nolo­gie d’im­pres­sion 3D, qui existe depuis près de 35 ans a large­ment par­ticipé à réin­ven­ter les mod­èles de fab­ri­ca­tion tra­di­tion­nels. Elle a per­mis la créa­tion d’un marché estimé aujour­d’hui à 30 mil­liards d’eu­ros avec une crois­sance de 20 % par an. Cepen­dant, lorsqu’un pro­duit arrive à matu­rité, une nou­velle tech­nolo­gie arrive qui, avec le temps, la rem­plac­era. L’im­pres­sion 4D, où la qua­trième dimen­sion est le temps, représente cette tech­nolo­gie de rupture. 

D’une cer­taine manière, l’im­pres­sion 4D est la forme fonc­tion­nelle de l’im­pres­sion 3D et per­met d’im­primer des objets dynamiques qui répon­dent active­ment aux stim­uli externes. La pos­si­bil­ité de « pro­gram­mer » la matière afin que des objets arti­fi­ciels puis­sent se com­porter comme des organ­ismes intel­li­gents ouvre de nou­velles per­spec­tives de recherche et un nom­bre infi­ni d’ap­pli­ca­tions potentielles.

Le temps, le 4e dimension

Para­doxale­ment, l’hy­pothèse fasci­nante de pou­voir pro­gram­mer la matière a été intro­duite dans un autre domaine sci­en­tifique. En 1991, Tof­foli et Mar­go­lus, deux infor­mati­ciens du MIT, ont intro­duit le terme de « matière pro­gram­ma­ble » pour désign­er un ensem­ble de nœuds de cal­cul dis­posés dans l’e­space et ne com­mu­ni­quant entre eux que par l’in­ter­mé­di­aire de pre­miers voisins1

Mutatis mutan­dis, cette idée, par con­t­a­m­i­na­tions croisées, a essaimé d’autres dis­ci­plines, jusqu’à ce qu’en 2005 la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) lance un pro­jet pluri­an­nuel au titre évo­ca­teur de « Real­iz­ing Pro­gram­ma­ble Mat­ter », por­tant essen­tielle­ment sur la robo­t­ique mod­u­laire, les ensem­bles de pro­gram­ma­tion et les nanomatéri­aux 2. A ce moment, cette his­toire va en crois­er une autre. Celle des matéri­aux intel­li­gents, c’est-à-dire des matéri­aux dont les pro­priétés peu­vent être activées ou mod­i­fiées par des stim­uli externes : physiques (champ élec­trique, champ mag­né­tique, lumière, tem­péra­ture, vibra­tions), chim­iques (PH, pho­tochimie) ou biologiques (glu­cose, enzymes, biomolécules). 

Enfin, en 2013, Sky­lar Tib­bits, fon­da­teur du Self assem­bly lab au MIT, lors de son allo­cu­tion à une con­férence TedX, pro­pose d’u­tilis­er des matéri­aux intel­li­gents dans les proces­sus d’im­pres­sion 3D pour pro­duire des objets pro­gram­ma­bles, et pro­pose le nom de 4D pour cette nou­velle tech­nolo­gie. La con­ver­gence de ces trois domaines de recherche (impres­sion 3D, matière pro­gram­ma­ble et matéri­aux intel­li­gents) a con­duit à la révo­lu­tion 4D3.

Plus compliqué qu’il n’y paraît

A l’év­i­dence, au cœur de cette nou­velle tech­nolo­gie se trou­vent les matéri­aux intel­li­gents. C’est à la fois le plus grand atout mais aus­si le plus gros obsta­cle à son développe­ment, car la recherche dans ce domaine en est encore à ses bal­bu­tiements et peu de matéri­aux intel­li­gents et imprimables sont actuelle­ment disponibles (essen­tielle­ment des polymères). C’est pourquoi une par­tie de la recherche se con­cen­tre sur la pos­si­bil­ité d’é­ten­dre la gamme des matéri­aux imprimables aux matéri­aux céramiques, métalliques, mais aus­si aux matéri­aux biologiques et composites. 

Cepen­dant, le matéri­au n’est pas le seul critère à con­sid­ér­er, il faut égale­ment être capa­ble de con­cevoir et de con­stru­ire un objet « à com­porte­ment ». Il y a dans cette opéra­tion un cou­plage qui doit se faire entre matéri­au, procédé et fonc­tion­nal­ité. Le développe­ment d’une méthodolo­gie qui se base sur la tri­ade con­cep­tion-mod­éli­sa­tion-sim­u­la­tion pour que l’objet imprimé réponde de manière appro­priée aux sol­lic­i­ta­tions externes est égale­ment nécessaire.

En faisant un par­al­lèle avec l’informatique, si le bit est l’unité de base de la pro­gram­ma­tion, le vox­el (mot-valise créé de la con­trac­tion des mots vol­ume et élé­ment) est le vol­ume élé­men­taire qui stocke l’information physique/chimique/biologique de la matière active. Pro­gram­mer un objet à com­porte­ment imprimé en 4D revient donc à mod­élis­er et à simuler la dis­tri­b­u­tion opti­male des vox­els afin que l’ap­pli­ca­tion d’un stim­u­lus cor­re­sponde à un effet déter­min­iste. Ce prob­lème com­plexe néces­site des solu­tions ad hoc où le com­porte­ment souhaité est traité comme une vari­able d’en­trée, tan­dis que l’ac­tion (la dis­tri­b­u­tion des vox­els) est traitée comme une vari­able de sortie.

Dernier point, mais pas le moin­dre, l’objet imprimé en 4D peut être hétérogène. C’est-à-dire com­posé d’un ou plusieurs matéri­aux act­ifs inter­posés entre des élé­ments pas­sifs. Cela néces­site le développe­ment d’imprimantes mul­ti-matéri­aux et des codes spé­ci­fiques pour les adapter aux matéri­aux util­isés et aux stim­uli introduits. 

Pour quelles applications ? 

La pos­si­bil­ité de com­bin­er géométries com­plex­es et com­porte­ments évo­lu­tifs per­met à l’impression 4D de repouss­er les lim­ites en matière de con­cep­tion d’objets et de révo­lu­tion­ner le monde de la fab­ri­ca­tion comme on l’entend aujourd’hui. Elle favoris­era le développe­ment de nou­velles tech­nolo­gies basées, par exem­ple, sur « l’auto-assemblage », si les élé­ments imprimés peu­vent s’assem­bler de manière autonome à un moment et un endroit pré­cis sans inter­ven­tion humaine. Sur « l’auto-adaptabilité », si les struc­tures imprimées peu­vent com­bin­er détec­tion et action­nement au sein d’un même matéri­au. Ou encore sur « l’auto-réparation », si les objets imprimés pos­sè­dent la capac­ité de détecter et de répar­er eux-mêmes les défauts (d’usure, de fab­ri­ca­tion), réduisant ain­si la néces­sité de procé­dures invasives. 

Fig­ure 1 : a) Auto-assem­blage d’un octaè­dre tron­qué imprimé en 4D évolu­ant en milieu liq­uide. Crédits Self-assem­bly Lab4. b) Tis­su syn­thé­tique bio-inspiré for­mé d’un ensem­ble de micro­gouttes imprimées en 4D. Crédits Sci­ence5. c) Tour Eif­fel ther­moac­tive imprimée en 4D avec des polymères à mémoire de forme. Crédits Sci­en­tif­ic Reports6.

Les pos­si­bil­ités d’u­til­i­sa­tion sont pléthore. L’impression 4D est déjà force motrice en robo­t­ique sou­ple pour la fab­ri­ca­tion de robots de plus en plus petits (mil­li-robots, micro-robots, nano-robots) capa­bles de tra­vailler dans des envi­ron­nements dan­gereux ou de se déplac­er en milieu con­finé, comme dans le corps humain, pour livr­er un médica­ment ou pour effectuer des opéra­tions micro-inva­sives. Dans le domaine des appli­ca­tions bio­médi­cales, des études sont en cours pour pou­voir bio-imprimer des endo­pro­thès­es, d’organes et de tis­sus intel­li­gents. L’impression 4D favoris­era le développe­ment de l’électronique flex­i­ble et embar­quée ain­si que de cap­teurs intel­li­gents adap­tés à la ville connectée. 

Dans le domaine de l’énergie, des recherch­es sont en cours pour max­imiser l’ef­fi­cac­ité des cel­lules solaires en inté­grant des microstruc­tures imprimées sur des sub­strats flex­i­bles. On peut imag­in­er des appli­ca­tions grand pub­lic dans le domaine de la mode et du style de vie comme des tex­tiles bio­mimé­tiques auto-adap­tat­ifs ou des chaus­sures intel­li­gentes auto-pli­antes. En archi­tec­ture, l’impression 4D per­me­t­tra le développe­ment d’une nou­velle approche axée sur le développe­ment durable comme le pro­jet Hygroskin, qui utilise les pro­priétés hygrométriques du bois pour refer­mer et ouvrir un pavil­lon en fonc­tion de l’humidité, sans aucune inter­ven­tion ou énergie extérieure. L’impression 4D trou­ve aus­si des appli­ca­tions dans les pra­tiques de recherche et de créa­tion en art et en sci­ence autour de la notion de matière à com­porte­ment pour ques­tion­ner les rela­tions entre monde vivant et monde artificiel.

Fig­ure 2. a) Sys­tèmes archi­tec­tur­al autonome qui s’adapte aux change­ments envi­ron­nemen­taux grâce aux pro­priétés hygro­scopiques des matéri­aux. Crédits Mate­r­i­al Research Soci­ety (MRS)7. b) Cotte de mailles spa­tiale imprimée en 4D pour pro­téger les astro­nautes des météorites volantes. Crédits NASA8. c) Util­i­sa­tion de la matière active dans les pra­tiques de recherche-créa­tion. Crédits Chaire Arts&Sciences Ecole poly­tech­nique-ENSAD-Fon­da­tion Caras­so9.

L’avenir de l’impression 4D

En citant Bernard de Chartres « nous sommes comme des nains sur les épaules de géants » nous pou­vons d’ores et déjà affirmer que l’impression 4D vient s’ajouter à ce proces­sus de trans­for­ma­tion pro­fonde, de con­cep­tion et de pro­duc­tion d’objets indus­triels, ini­tié par la fab­ri­ca­tion addi­tive. Bien que com­paré au marché mon­di­al de la tech­nolo­gie 3D (30 Mrd€/an), le marché de l’impression 4D soit encore mod­este (30–50 M€/an), son car­ac­tère dis­rup­tif est évi­dent. Mais, l’impression 4D n’en est encore qu’à ses débuts et c’est pour cette rai­son, et au-delà des développe­ments tech­ni­co-sci­en­tifiques, que l’impression 4D doit encore trou­ver son mod­èle économique et démon­tr­er la pos­si­bil­ité d’une pro­duc­tion indus­trielle à un coût raisonnable. Enfin, pour que l’impression 4D sorte des lab­o­ra­toires de recherche, cette tech­nolo­gie doit néces­saire­ment pass­er par la mise en place d’une feuille de route claire et ambitieuse et créer en par­al­lèle une « désir­abil­ité sociale ». Cela passera aus­si par la volon­té des investis­seurs et des indus­triels de soutenir l’impression 4D et de la pouss­er vers sa matu­rité économique.

1T. Tof­foli and N. Mar­go­lus, Pro­gram­ma­ble mat­ter: con­cepts end real­i­sa­tion, Phys­i­ca D 47 (1991) 263–272
2https://​cog​ni​tivemedi​um​.com/​a​s​s​e​t​s​/​m​a​t​t​e​r​/​D​A​R​P​A​2​0​0​6.pdf
3Active Mat­ter, Edit­ed by Sky­lar Tib­bits, The MIT Press (2017) 
4https://​self​assem​bly​lab​.mit​.edu/​4​d​-​p​r​i​nting
5G. Vil­lar et al, A Tis­sue-Like Print­ed Mate­r­i­al, Sci­ence, 5 Apr 2013, Vol 340, Issue 6128, pp. 48–52
6Q Ge et al, Mul­ti­ma­te­r­i­al 4D print­ing with tai­lorable shape mem­o­ry poly­mers, Sci­en­tif­ic reports, 2016, 6(1): 1–11.
7Cor­rea Zulu­a­ga et al, 3D Print­ed Hygro­scop­ic Pro­gram­ma­ble Mate­r­i­al Sys­tems, Mater. Res. Soc. Symp. Proc. Vol. 1800 © 2015 Mate­ri­als Research Soci­ety
8https://​www​.nasa​.gov/​f​e​a​t​u​r​e​/​j​p​l​/​s​p​a​c​e​-​f​a​b​r​i​c​-​l​i​n​k​s​-​f​a​s​h​i​o​n​-​a​n​d​-​e​n​g​i​n​e​ering
9Antoine Des­jardins and Gian­car­lo Riz­za, The use of active mat­ter in research-cre­ation prac­tices: Using an artis­tic vocab­u­lary for 4D print­ing of mag­ne­to-active poly­mers deployed in exper­i­men­tal and obser­va­tion devices. https://​robot​i​cart​.org/​i​c​r​a2021

Auteurs

Giancarlo rizza

Giancarlo Rizza

chercheur au CEA, spécialiste de fabrication additive 4D

Giancarlo Rizza est spécialiste de fabrication additive 4D, de microscopie électronique, et de nanostructuration. Il a créé et piloté pendant dix ans le centre interdisciplinaire de microscopie de l'École polytechnique (CimeX). Dans ce cadre, il a coordonné le projet Nan'eau (labélisé stratégique par l'Université Paris-Saclay) pour le développement d’une plateforme de microscopie multi corrélative (optique, électronique et rayons-X). Giancarlo Rizza a également collaboré avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Il est membre du comité de pilotage de la conférence internationale "Radiation Effects in Insulators" (REI), du Groupement National de Recherche (GdR) NACRE (Nanocristaux dans les diélectriques pour l'électronique et l'optique) et de la "Chaire Arts&Sciences" de l’Ecole polytechnique-ENSAD-Fondation Carasso. Dans ce cadre, il développe l’utilisation des matériaux intelligents dans les pratiques de recherche-création et s’intéresse à sa dissémination dans les conférences scientifiques comme moyen de communication avec la société.

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