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Prix Nobel : quelles applications pour les travaux des derniers lauréats 

Prix Nobel de chimie 2023 : quel intérêt pour les industries ?

Thierry Gacoin, professeur en Science des matériaux aux départements de Physique et de Chimie de l'École polytechnique (IP Paris)
Le 30 avril 2024 |
5 min. de lecture
Thierry Gacoin
Thierry Gacoin
professeur en Science des matériaux aux départements de Physique et de Chimie de l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • En 2023 Aleksey Yekimov, Louis Brus et Moungi Bawendi ont été nobélisés pour leur découverte des boîtes quantiques colloïdales.
  • La particularité de ces nanoparticules de matériau semi-conducteur, c’est que leurs propriétés sont déterminées par leur taille.
  • Avant leur découverte, la seule façon de faire varier les propriétés d’un matériau était d’en modifier la composition.
  • Les applications sont variées : téléviseurs QLED, détection infrarouge ou étude de la transmission d'informations au niveau des synapses.
  • Toutefois, la fabrication industrielle des boîtes quantiques reste un défi.
  • Dans le futur, cette découverte ouvre la voie à des applications innovantes, notamment pour les ordinateurs quantiques et les nanotechnologies.

En 2023, le Prix Nobel de chimie récom­pense la décou­verte et la syn­thèse des boîtes quan­tiques col­loï­dales. Trois sci­en­tifiques sont nobélisés : Alek­sey Yeki­mov, Louis Brus et Moun­gi Bawendi.

Quelle est la particularité des boîtes quantiques ?

Ce sont des nanopar­tic­ules – c’est-à-dire des par­tic­ules d’une taille de l’ordre de 10-9 mètres, soit un mil­lion­ième de mil­limètre – de matéri­au semi-con­duc­teur. Leur par­tic­u­lar­ité ? Leurs pro­priétés sont déter­minées par leur taille. C’est com­plète­ment inhab­ituel : les pro­priétés des matéri­aux sont clas­sique­ment indépen­dantes de leur taille. Mais il s’avère que lorsqu’on dimin­ue la taille à l’échelle du nanomètre, il est pos­si­ble d’obtenir d’importantes vari­a­tions des pro­priétés élec­tron­iques. Cela s’appelle le phénomène de con­fine­ment quan­tique. Il faut com­pren­dre que cette pro­priété est absol­u­ment fan­tas­tique. Avant leur décou­verte, la seule façon de faire vari­er les pro­priétés d’un matéri­au était d’en mod­i­fi­er la composition.

Comment cette propriété est-elle exploitée aujourd’hui ?

Elles sont essen­tielle­ment util­isées en tant que sources de lumière. Lorsqu’elles sont exposées à la lumière, les boîtes quan­tiques passent dans un état excité. Elles revi­en­nent ensuite à l’état fon­da­men­tal en émet­tant un pho­ton, une par­tic­ule élé­men­taire de la lumière. La couleur de ce pho­ton dépend forte­ment de la taille de la boîte. Un procédé mis au point par Philippe Guy­ot-Sionnest, ancien poly­tech­ni­cien, qui per­met de ren­dre ce proces­sus de pho­to­lu­mi­nes­cence extrême­ment effi­cace, avec un ren­de­ment proche de 100 %.

Des applications concrètes existent-elles ?

Oui, on les trou­ve dans les téléviseurs QLED. Des diodes bleues exci­tent les boîtes quan­tiques de l’écran pour génér­er l’affichage du téléviseur. Par rap­port aux tech­nolo­gies clas­siques, la pureté des couleurs est sig­ni­fica­tive­ment améliorée. C’est la prin­ci­pale appli­ca­tion indus­trielle des boîtes quantiques.

D’autres pro­jets con­cer­nent des dis­posi­tifs anti-con­tre­façon. En inté­grant une mar­que à l’aide d’une boîte quan­tique sur l’objet à cer­ti­fi­er, il est ensuite pos­si­ble de véri­fi­er facile­ment sa présence à l’aide d’une source lumineuse. L’avantage : ce dis­posi­tif est dif­fi­cile à fab­ri­quer et facile­ment manip­u­la­ble. Enfin, de nou­velles appli­ca­tions émer­gent dans le domaine de la détec­tion infrarouge. En déposant des boîtes quan­tiques (absorbant la lumière infrarouge) sur un cir­cuit de lec­ture de caméra clas­sique, on obtient une caméra infrarouge. Cette tech­nolo­gie aug­mente con­sid­érable­ment la sen­si­bil­ité. Cette appli­ca­tion est encore à un stade de recherche, et plusieurs indus­triels, dont l’entreprise française ST Micro­elec­tron­ics, dévelop­pent ce genre de caméras.

Les scientifiques se sont-ils également emparés de ces objets ?

Les biol­o­gistes se sont assez rapi­de­ment penchés sur le sujet. Les boîtes quan­tiques sont util­isées pour étudi­er des phénomènes biologiques. Le principe ? On fixe une espèce biologique (comme une tox­ine) sur une boîte quan­tique. Celle-ci est placée dans un milieu de cul­ture con­tenant des cel­lules. En éclairant l’échantillon, il est pos­si­ble de suiv­re la tra­jec­toire de la tox­ine grâce à la lumi­nes­cence de la boîte quan­tique. L’observation peut être effec­tuée pen­dant une longue durée, con­traire­ment aux sys­tèmes d’observation précédem­ment util­isés. Maxime Dahan, un bio­physi­cien français, a ain­si observé in vit­ro le phénomène de trans­mis­sion d’informations au niveau des synapses. 

Quels avantages poussent industriels et scientifiques à se tourner vers ces matériaux ?

Les boîtes quan­tiques se démar­quent d’autres matéri­aux par deux aspects. D’une part, il est pos­si­ble de mod­uler très pré­cisé­ment leurs pro­priétés d’absorption et d’émission en mod­i­fi­ant leur taille et leur com­po­si­tion chim­ique. C’est une pro­priété très intéres­sante pour les appli­ca­tions de lumi­nes­cence comme les téléviseurs : il suf­fit de chang­er la taille des boîtes quan­tiques pour con­trôler leur couleur d’émission. Elles peu­vent cou­vrir une très large gamme de longueurs d’onde, de 400 nanomètres à quelques microns (lumière vis­i­ble et infrarouge).

D’autre part, ce sont des matéri­aux inor­ganiques : cela con­fère une sta­bil­ité au sig­nal. Le seul défaut con­staté est l’effet de « blink­ing », un phénomène de clig­note­ment des boîtes quan­tiques. Mais il est désor­mais pos­si­ble de s’en affranchir à l’aide de tech­niques de syn­thèse plus complexes.

Est-il facile de fabriquer des boîtes quantiques ?

La com­mer­cial­i­sa­tion des téléviseurs QLED est la preuve qu’il est pos­si­ble d’industrialiser leur fab­ri­ca­tion. Leur syn­thèse n’est pas triv­iale. La dif­fi­culté : maîtris­er le cal­i­bre des par­tic­ules. Leur taille – à l’échelle nanométrique – est prin­ci­pale­ment con­trôlée par la tem­péra­ture lors de leur for­ma­tion. À l’échelle indus­trielle, il est donc néces­saire de main­tenir une tem­péra­ture par­faite­ment homogène dans des réac­teurs de grand volume.

Si nous en sommes à un stade indus­triel aujourd’hui, c’est grâce aux travaux d’Aleksey Yeki­mov et Moun­gi Bawen­di, deux des trois récip­i­endaires du prix Nobel. La méth­ode qu’ils ont mise au point a révo­lu­tion­né la chimie des nanocristaux, elle est aujourd’hui util­isée pour la syn­thèse de nom­breux autres matéri­aux comme l’oxyde de fer, le tungstène ou le titane.

Pouvez-vous revenir sur l’histoire de cette découverte récompensée par le prix Nobel ?

Ces recherch­es ont com­mencé au début des années 1980 par de pre­mières obser­va­tions expéri­men­tales. Alek­sey Yeki­mov obser­vait la vari­a­tion des pro­priétés spec­trométriques de ver­res col­orés en fonc­tion du traite­ment ther­mique du matéri­au. Il est le pre­mier à avoir fait le lien entre la taille de petits pré­cip­ités de semi-con­duc­teurs qu’il obser­vait dans le verre, et ses pro­priétés. C’est un phénomène mar­qué dans le verre, car il est vis­i­ble à l’œil nu : en réal­isant un recuit ther­mique entre 250 °C et 400 °C, on observe un gra­di­ent de couleur du jaune (petits cristaux de semi-con­duc­teurs dans la matrice de verre), au rouge (gros cristaux de semi-con­duc­teurs). Louis Brus a été le pre­mier à expliciter les bases physiques expli­quant le phénomène observé dit de con­fine­ment quan­tique, par Alek­sey Yekimov.

Moun­gi Bawen­di, un étu­di­ant de Louis Brus a, lui, mis au point une méth­ode de syn­thèse avancée. Il était, en effet, dif­fi­cile de con­trôler fine­ment la dis­tri­b­u­tion en taille des par­tic­ules de verre, et donc les pro­priétés du matéri­au. Moun­gi Bawen­di a eu l’idée de fab­ri­quer des cristaux en sus­pen­sion col­loï­dale, c’est-à-dire dans un solvant. Il mélange pour cela dans un solvant des précurseurs (cad­mi­um et séléni­um) qui con­duisent à la for­ma­tion de cristaux de séléni­ure de cad­mi­um. En réal­isant cette syn­thèse à haute tem­péra­ture (250 à 300 °C), la nucléa­tion et la crois­sance des cristaux sont très bien con­trôlées. C’est la clé pour con­trôler la taille et la dis­tri­b­u­tion des par­tic­ules, et donc leurs pro­priétés. Ses travaux ont révo­lu­tion­né le domaine de la fab­ri­ca­tion des cristaux grâce à la chimie des colloïdes.

D’autres domaines d’applications pourraient-ils voir le jour à l’avenir ?

Le domaine reste très act­if. Les chimistes con­tin­u­ent d’améliorer les matéri­aux et à pro­pos­er de nou­velles straté­gies pour l’émergence de pro­priétés intéres­santes : appli­ca­tions en catal­yse, en pho­to­catal­yse pour la pho­to­syn­thèse arti­fi­cielle, assem­blage de nanocristaux pour for­mer des supra-cristaux aux pro­priétés col­lec­tives nou­velles, etc. Des équipes de recherche tra­vail­lent égale­ment sur la forme des boîtes quan­tiques, en fab­ri­cant des bâton­nets plutôt que des sphères. Cela pour­rait ouvrir la voie à de nou­velles appli­ca­tions en biolo­gie pour mieux car­ac­téris­er les écoule­ments des flu­ides comme le sang. Les physi­ciens, eux, s’emparent de ces objets pour leurs pro­priétés d’émission de lumière ultra-pure : des recherch­es se penchent sur l’utilisation des boîtes quan­tiques dans l’ordinateur quan­tique ou pour la cryp­togra­phie quan­tique. De plus, grâce à leur grande flex­i­bil­ité et leur robustesse, ces boîtes quan­tiques pour­raient devenir des briques de base pour la nanotechnologie. 

Propos recueillis par Anaïs Marechal

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