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Comment le quantique change la face du monde

La physique quantique a déjà changé la face du monde

Pierre Henriquet, docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
Le 20 septembre 2023 |
5 min. de lecture
Pierre Henriquet
Pierre Henriquet
docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • La physique quantique permet d’expliquer le comportement et les interactions entre particules, ainsi que les champs de forces qui les animent.
  • La quantification des échanges d’énergie entre les électrons de la matière a apporté plusieurs innovations fondamentales sans lesquelles notre technologie moderne n’existerait pas.
  • Nous utilisons la physique quantique au quotidien, par exemple avec les lasers, la fibre optique ou les LED.
  • Le formalisme quantique peut aussi nous permettre d’expliquer des phénomènes naturels comme la couleur du ciel ou même la photosynthèse.
  • Une deuxième révolution quantique est en cours depuis la fin du XXe siècle, pour faire évoluer nos technologies à un niveau encore jamais atteint.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur le quan­tique.
Décou­vrez-le ici.

La physique quan­tique per­met d’expliquer le com­porte­ment et les inter­ac­tions entre par­tic­ules, ain­si que les champs de forces qui les ani­ment. Née il y a plus d’un siè­cle, c’est prob­a­ble­ment aus­si la théorie la moins intu­itive de toutes celles à dis­po­si­tion des sci­en­tifiques pour décrire et com­pren­dre le monde.

Dans l’univers de l’infiniment petit, les con­cepts les plus évi­dents de notre expéri­ence du quo­ti­di­en sont bat­tus en brèche. Une par­tic­ule pos­sède, par exem­ple, des pro­priétés à la fois cor­pus­cu­laires et ondu­la­toires. Son emplace­ment n’est pas déter­miné par une posi­tion pré­cise, mais par un « nuage de prob­a­bil­ités » qui la fait exis­ter un peu partout à la fois, avec des chances plus ou moins grandes de la trou­ver si on cherche finale­ment à l’observer.

De plus, le con­cept même de mesure prend un sens totale­ment dif­férent. Dans le monde quan­tique, on ne peut pas mesur­er une pro­priété d’une par­tic­ule avec une pré­ci­sion infinie. Pire encore, selon le principe des vas­es com­mu­ni­cants, plus on aura de pré­ci­sions sur cer­taines pro­priétés (sa posi­tion, par exem­ple), moins on en aura sur d’autres (son énergie, par exem­ple). Et ces lim­i­ta­tions ne vien­nent pas de nos instru­ments de mesure : au con­traire, elles sont fon­da­men­tale­ment inscrites dans les règles qui régis­sent le monde de l’infiniment petit.

La mécanique quan­tique décrit aus­si les échanges d’énergie que les par­tic­ules ont entre elles.

Enfin, et c’est ce qui lui donne son nom, la mécanique quan­tique décrit aus­si les échanges d’énergie que les par­tic­ules ont entre elles. Et con­traire­ment à notre monde macro­scopique clas­sique, où l’énergie d’une balle de ten­nis ou d’une voiture peut pren­dre n’importe quelle valeur, un élec­tron dans un atome ne peut émet­tre ou absorber que des quan­tités d’énergie pré­cisé­ment déter­minées. Chaque « paquet » d’énergie que l’électron absorbe ou émet est appelé « quan­tum » d’énergie (d’où le nom de physique « quan­tique »). Ces échanges se font par bonds suc­ces­sifs, et non de manière con­tin­ue comme nous en avons l’habitude à notre échelle.

Toutes ces étranges règles aboutis­sent à des sit­u­a­tions qui peu­vent sem­bler para­doxales, comme le fait qu’un objet quan­tique peut exis­ter dans plusieurs états simul­tané­ment, ou que deux par­tic­ules dites « intriquées » sont si fon­da­men­tale­ment liées que si l’on effectue un change­ment sur l’une, l’autre en subi­ra instan­ta­né­ment les con­séquences, indépen­dam­ment de la dis­tance qui les sépare.

La physique quantique au quotidien

Ces sit­u­a­tions bizarres sont observées quo­ti­di­en­nement dans tous les lab­o­ra­toires de recherche du monde. Et, bien au-delà des portes des insti­tuts de recherche, ces phénomènes sont util­isés pour faire fonc­tion­ner quan­tité d’appareils que l’on utilise chaque jour.

L’une des décou­vertes les plus éton­nantes de la physique quan­tique est la fameuse « dual­ité onde-par­tic­ule ». Au XIXe siè­cle, quan­tité d’expériences avaient mon­tré le car­ac­tère ondu­la­toire de la lumière, mais c’est en 1905 qu’Albert Ein­stein démon­tre un effet appelé « pho­toélec­trique » qui prou­ve que la lumière peut frap­per des élec­trons et les éjecter comme des boules de pétanque. Il fau­dra atten­dre 20 ans pour que le physi­cien français Louis de Broglie com­prenne que, loin d’être un prob­lème, la lumière (et toute par­tic­ule matérielle) se com­porte à la fois comme une onde et comme une par­tic­ule. Cette décou­verte est à l’origine de plusieurs appli­ca­tions quo­ti­di­ennes comme les pan­neaux pho­to­voltaïques ou les cap­teurs CCD de nos appareils photo.

De même, la quan­tifi­ca­tion des échanges d’énergie entre les élec­trons de la matière a apporté plusieurs inno­va­tions fon­da­men­tales sans lesquelles notre tech­nolo­gie mod­erne n’existerait pas.

Com­mençons par le laser que l’on utilise dans les lecteurs CD, en indus­trie pour la découpe de matéri­aux, en astronomie pour mesur­er la dis­tance Terre-Lune, en médecine pour découper ou cautéris­er les tis­sus, dans les super­marchés pour lire les codes-bar­res, dans les imp­ri­mantes laser ou dans les fibres optiques pour com­mu­ni­quer d’un con­ti­nent à l’autre.
Cette lumière très spé­ciale, com­posée de pho­tons (c’est le nom qu’on a don­né aux par­tic­ules de lumière) tous iden­tiques, est pro­duite en forçant les atom­es à émet­tre tous ensem­ble les mêmes quan­ta d’énergie. On obtient alors cette lumière par­ti­c­ulière dont il serait dif­fi­cile de se pass­er aujourd’hui.

Une autre appli­ca­tion de la théorie des quan­ta n’est ni plus ni moins que… toute l’électronique mod­erne ! Cette tech­nolo­gie présente dans nos télé­phones porta­bles, nos mon­tres, nos véhicules, nos ordi­na­teurs, nos dis­posi­tifs médi­caux (pace­mak­er, pèse-per­son­ne, ten­siomètre, défib­ril­la­teur car­diaque) et une infinité d’autres appli­ca­tions courantes, fonc­tionne grâce à la com­préhen­sion du com­porte­ment des élec­trons dans une caté­gorie de matéri­aux appelés « semi-con­duc­teurs » – c’est-à-dire naturelle­ment isolants, mais qui peu­vent facile­ment devenir con­duc­teurs si une petite ten­sion élec­trique leur est appliquée. Cette pro­priété, qui per­met de con­trôler à volon­té le pas­sage (ou non) d’un courant élec­trique, sert à con­stru­ire les diodes et les tran­sis­tors qui sont les élé­ments de base de toute l’électronique.

Et lorsque vous mélangez émis­sion con­trôlée de lumière et semi-con­duc­teurs, vous con­stru­isez des LED (diodes élec­tro­lu­mi­nes­centes), actuelle­ment en train de rem­plac­er une grosse par­tie des anci­ennes ampoules élec­triques, beau­coup plus énergivores.

Physique quantique et phénomènes naturels

La mécanique quan­tique est partout autour de nous : dans les appli­ca­tions tech­nologiques que nous avons dévelop­pées, mais aus­si dans tous les phénomènes naturels qui nous entourent et qu’on ne peut com­pren­dre sans utilis­er le for­mal­isme quantique.

Si le Soleil brille, c’est à cause des proces­sus de fusion nucléaire en son cœur, eux-mêmes per­mis grâce à une autre bizarrerie quan­tique : l’effet tun­nel, qui per­met à des par­tic­ules de « sauter » des bar­rières de poten­tiel autrement infran­chiss­ables dans le monde clas­sique. Quant au bleu du ciel, il est dû à la manière dont la lumière du Soleil inter­ag­it avec les molécules de l’atmosphère ter­restre.
Même la pho­to­syn­thèse (ce proces­sus par lequel les plantes trans­for­ment l’énergie reçue du Soleil en matière organique, elle-même absorbée par les her­bi­vores, con­som­més à leur tour par les car­ni­vores) est soupçon­née, dans les recherch­es les plus récentes, de devoir son exis­tence à des phénomènes quan­tiques dont la biolo­gie doit encore lever le mystère.

La physique quan­tique a révo­lu­tion­né la manière dont les humains com­pren­nent et façon­nent le monde. Mais depuis la fin du XXe siè­cle, une « deux­ième révo­lu­tion quan­tique » est en cours, dans laque­lle les proces­sus les plus fon­da­men­taux de la mécanique quan­tique sont exploités pour faire évoluer nos tech­nolo­gies à un niveau encore jamais atteint.

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