Représentation abstraite d’ordinateur quantique. Futuriste, composants quantique.
π Science et technologies π Industrie
Comment le quantique change la face du monde

L’ordinateur quantique : tout comprendre en 15 minutes

Loïc Henriet, CTO de Pasqal et Landry Bretheau, professeur en physique quantique à l'École polytechnique au sein du Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (PMC*)
Le 13 septembre 2023 |
6 min. de lecture
Loic Henriet
Loïc Henriet
CTO de Pasqal
Landry Bretheau
Landry Bretheau
professeur en physique quantique à l'École polytechnique au sein du Laboratoire de Physique de la Matière Condensée (PMC*)
En bref
  • Les qubits peuvent représenter à la fois 0 et 1, contrairement aux ordinateurs classiques. Ils effectuent plusieurs calculs en même temps grâce à leur état superposé, accélérant la résolution de problèmes complexes.
  • À l’heure actuelle, un processeur quantique est encore au stade exploratoire : il prend beaucoup de place et l’optique sophistiquée nécessaire pour contrôler les qubits se compose de lasers, de lentilles et de miroirs.
  • Pour qu’un ordinateur quantique fonctionne, il doit être capable de corriger les erreurs dues à la nature imparfaite du matériel actuel et qui empêchent d’arriver au résultat final du calcul.
  • L’ordinateur quantique ne remplacera pas l’ordinateur personnel ou le smartphone, les premiers clients seront certainement les gouvernements et les grandes entreprises plutôt que le grand public.

Les ordi­na­teurs quan­tiques fonc­tion­nent avec des bits quan­tiques, ou qubits, qui, con­traire­ment aux bits infor­ma­tiques stan­dard ayant une valeur de soit 0 soit 1, peu­vent être à la fois 0 et 1. Cette car­ac­téris­tique sig­ni­fie que les ordi­na­teurs quan­tiques pour­raient être beau­coup plus rapi­des que les ordi­na­teurs clas­siques pour de nom­breuses tâch­es. Ils pour­raient égale­ment être util­isés pour résoudre cer­tains prob­lèmes qu’un ordi­na­teur clas­sique ne peut pas résoudre. 

« Un ordi­na­teur quan­tique manip­ulera de nom­breux qubits dans un état mas­sive­ment super­posé : 0000 plus 1111, par exem­ple, explique Landry Bretheau. Dans cet état “intriqué”, plusieurs cal­culs peu­vent être effec­tués en par­al­lèle. Un exem­ple con­cret : imag­inez que le cal­cul, le prob­lème, soit de sor­tir d’un labyrinthe. Com­ment s’y pren­dre ? Un être humain ou un pro­gramme infor­ma­tique va tester dif­férents chemins. À chaque fois, il arrivera à une impasse, puis reven­dra sur ses pas. Il testera ain­si tous les chemins jusqu’à ce qu’il sorte du labyrinthe. Mais un sys­tème quan­tique peut être dans une super­po­si­tion d’états, c’est-à-dire qu’il peut se trou­ver à plusieurs endroits en même temps. Il peut donc essay­er d’explorer les dif­férents chemins en par­al­lèle et sor­tir du labyrinthe plus rapi­de­ment. »

Les qubits peu­vent être fab­riqués à par­tir de dif­férentes plate­formes ou briques de base matérielles, telles que les qubits supra­con­duc­teurs, les par­tic­ules élé­men­taires ou les ions piégés. D’autres méth­odes en devenir sont les processeurs quan­tiques pho­toniques qui utilisent la lumière. « Nous util­isons le terme d’ordinateur quan­tique, mais il serait préférable de par­ler de processeur quan­tique, car l’intégralité d’un cal­cul ne peut pas être implé­men­tée sur un ordi­na­teur quan­tique, seule­ment une petite par­tie, explique Loïc Hen­ri­et. Nous aurons tou­jours besoin d’un processeur clas­sique pour orchestr­er l’ensemble des tach­es de cal­cul. »

À l’heure actuelle, un processeur quan­tique est encore au stade exploratoire : il prend beau­coup de place — par exem­ple, celui sur lequel tra­vaille l’équipe de Loïc Hen­ri­et occupe une grosse boîte de 3 mètres sur 2 mètres sur 2 mètres. Un vide très poussé, de 10-11 mbar, est égale­ment néces­saire pour plac­er les qubits dans des posi­tions bien définies dans l’espace. Cela cor­re­spond à peu près à la pres­sion à la sur­face de la lune.

L’optique sophis­tiquée néces­saire pour con­trôler les qubits se com­pose de lasers, de lentilles et de miroirs. Pour coor­don­ner le fonc­tion­nement de cha­cun de ces dif­férents équipements (qui con­stituent le matériel ou hard­ware) et de les syn­chro­nis­er, un logi­ciel embar­qué est néces­saire. Ce logi­ciel cor­re­spond au sys­tème d’exploitation du processeur quantique.

Applications potentielles

Il existe de nom­breux domaines dans lesquels un ordi­na­teur quan­tique pour­rait s’avérer plus utile qu’un ordi­na­teur con­ven­tion­nel, que ce soit en ter­mes de temps de cal­cul ou de qual­ité des résul­tats obtenus. L’exemple le plus con­nu est l’algorithme de Shor, qui per­met de fac­toris­er effi­cace­ment un grand nom­bre en fac­teurs pre­miers, pour des appli­ca­tions en cryp­togra­phie et en sécu­rité infor­ma­tique, par exem­ple. Les ordi­na­teurs quan­tiques seront égale­ment très per­for­mants dans l’utilisation d’algorithmes spé­ci­aux pour résoudre des prob­lèmes d’optimisation com­plex­es, tels que ceux liés à l’ordonnancement, au routage et à la logis­tique. Ces prob­lèmes con­sis­tent à trou­ver la solu­tion opti­male par­mi un grand nom­bre de pos­si­bil­ités — le plus célèbre étant le prob­lème du « voyageur de com­merce », qui doit trou­ver l’itinéraire le plus court pos­si­ble entre plusieurs villes. Les entre­pris­es de livrai­son et de logis­tique voudront cer­taine­ment de ce fait adopter la tech­nolo­gie quantique.

Les prob­lèmes liés à la réac­tiv­ité des molécules en béné­ficieront égale­ment. « Il y a beau­coup de recherch­es dans ce domaine, explique Loïc Hen­ri­et. Avec un processeur quan­tique, nous pour­rons effectuer des cal­culs beau­coup plus effi­caces pour déter­min­er la réac­tiv­ité de cer­taines pro­téines, par exem­ple, ce qui aura d’énormes appli­ca­tions pour l’industrie phar­ma­ceu­tique et la syn­thèse de nou­veaux médica­ments. Nous pour­rons égale­ment cal­culer les pro­priétés de nou­veaux matéri­aux qui présen­tent un intérêt dans de nom­breux domaines tech­nologiques. »

L’apprentissage automa­tique et l’intelligence arti­fi­cielle sont égale­ment des domaines d’application impor­tants, car les ordi­na­teurs quan­tiques devraient être en mesure d’améliorer les algo­rithmes d’apprentissage automa­tique — poten­tielle­ment de manière spec­tac­u­laire — en four­nissant des rou­tines d’optimisation plus rapi­des et plus effi­caces ou en explo­rant de nou­veaux mod­èles et de nou­velles archi­tec­tures. Il pour­rait s’agir d’un nou­veau marché mas­sif, mais il dépen­dra de la con­struc­tion d’ordinateurs quan­tiques pra­tiques à grande échelle et du développe­ment d’algorithmes et d’applications capa­bles de tir­er par­ti de leurs capac­ités uniques.

Vers l’universalité

Pour qu’un ordi­na­teur quan­tique fonc­tionne, il doit être « uni­versel », c’est-à-dire qu’il doit être capa­ble de cor­riger les erreurs dues à la nature impar­faite du matériel actuel et qui empêchent d’arriver au résul­tat final du cal­cul. La cause prin­ci­pale de ces erreurs est la déco­hérence des qubits eux-mêmes, qui détru­it le car­ac­tère quan­tique des qubits et les ramène à l’état de bits clas­siques. La déco­hérence est provo­quée par l’interaction des qubits avec leur environnement. 

La véri­ta­ble dif­fi­culté con­siste donc à isol­er effi­cace­ment le sys­tème. Pour ce faire, les qubits doivent générale­ment fonc­tion­ner à une tem­péra­ture proche de 0 K, tout en étant pro­tégés les uns des autres et de l’environnement. En plus de cela, des tech­niques de cor­rec­tion d’erreurs quan­tiques (QEC) peu­vent être util­isées dans le but d’atteindre une « infor­ma­tique quan­tique tolérante aux pannes ». Ces tech­niques con­sis­tent à utilis­er un grand nom­bre de qubits pour créer un « qubit logique » beau­coup moins sujet aux erreurs. Selon les experts, un véri­ta­ble « avan­tage », ou « supré­matie » quan­tique ne pour­ra être atteint que lorsque les ordi­na­teurs quan­tiques fonc­tion­neront avec un mil­lion de qubits. Et comme le record actuel est encore inférieur à 100 qubits, il reste encore beau­coup de chemin à parcourir.

Les défis importants

Si, en théorie, rien n’empêche la créa­tion d’ordinateurs quan­tiques à grande échelle, il faut d’abord résoudre cer­tains prob­lèmes d’ingénierie d’envergure. « Les entre­pris­es con­sid­èrent l’informatique quan­tique comme un investisse­ment stratégique et ne veu­lent pas rater le virage, explique Loïc Hen­ri­et. Ce n’est plus main­tenant une ques­tion de si, mais plutôt une ques­tion de quand le processeur quan­tique fera par­tie inté­grante des solu­tions infor­ma­tiques. »

Nous sommes actuelle­ment à l’aube d’une trans­for­ma­tion tech­nologique et, en France, nous avons les moyens d’être au cœur de cette révo­lu­tion, tant au niveau académique qu’au niveau des entre­pris­es et des start-ups. Bien sûr, les clients en bout de chemin et les entre­pris­es doivent aus­si être de la partie.

Depuis env­i­ron cinq ans, nous assis­tons à une véri­ta­ble mon­tée en puissance 

« Cela dit, un ordi­na­teur quan­tique, uni­versel ou non, ne rem­plac­era pas votre ordi­na­teur per­son­nel ou votre smart­phone de sitôt et les pre­miers clients seront cer­taine­ment les gou­verne­ments et les grandes entre­pris­es plutôt que le grand pub­lic, ajoute Landry Bretheau. Les sci­en­tifiques eux-mêmes seront égale­ment les pre­miers util­isa­teurs et c’est pourquoi le monde de l’informatique quan­tique intéresse autant de dis­ci­plines : la chimie, la sci­ence des matéri­aux, la biolo­gie et la physique. Cha­cune de ces dis­ci­plines va pro­pos­er un algo­rithme qui per­me­t­trait de résoudre une ques­tion bien pré­cise. »

« Depuis env­i­ron cinq ans, nous assis­tons à une véri­ta­ble mon­tée en puis­sance », explique-t-il. Cer­tains par­lent de « boum quan­tique » avec la créa­tion de nom­breuses start-ups et des lev­ées de fonds importantes.

Psi­Quan­tum et IonQ, qui ont levé respec­tive­ment 600 et 400 mil­lions d’euros, en sont deux exem­ples mar­quants. « En France, nous avons le Plan Quan­tum, annon­cé par le prési­dent Macron début 2021, et la start-up qui a le plus de vent en poupe d’un point de vue financier en France à l’heure actuelle est Pasqal, qui vient de lever 100 mil­lions d’euros. »

Bien que nous ne parvien­drons prob­a­ble­ment pas à fab­ri­quer un ordi­na­teur entière­ment opéra­tionnel et tolérant aux pannes dans les dix prochaines années, nous pou­vons être sûrs que nous fer­ons en cours de route des décou­vertes insoupçon­nées qui seront poten­tielle­ment utiles et chang­eront peut-être même le vis­age de la société, tout comme l’informatique clas­sique l’a fait au cours des 50 dernières années et, plus récem­ment, l’Internet.

« C’est une très belle péri­ode pour tra­vailler dans ce domaine, déclare Landry Bretheau. Il y a beau­coup d’excitation et le secteur évolue très vite. »

Isabelle Dumé

Décou­vrez égale­ment notre mag­a­zine Le 3,14 sur le quan­tique.
À télécharg­er ici.

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter