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5 percées réalisées grâce aux technologies quantiques

En bref
  • Les recherches en physique quantique permettent des avancées dans de nombreux domaines de recherche et développement.
  • Par exemple, les ordinateurs quantiques représentent une piste très prometteuse avec beaucoup d’applications potentielles.
  • Il existe des obstacles techniques et théoriques à surmonter qui entravent la commercialisation et l’utilisation concrète de ces avancées, comme l’intrication.
  • A moyen terme, la recherche en physique quantique pourrait servir à l’imagerie astronomique, la santé et les semi-conducteurs.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur le quan­tique.
Décou­vrez-le ici.

#1 Vers des ordinateurs quantiques à grande échelle grâce à des améliorations dans la correction quantique des erreurs

Les ordi­na­teurs quan­tiques utilisent des bits quan­tiques (qubits). Ces bits sont dif­férents des bits infor­ma­tiques stan­dards, qui peu­vent être soit 0 soit 1, car ils peu­vent être à la fois 0 et 1. Ces machines pour­raient être beau­coup plus rapi­des que les ordi­na­teurs les plus rapi­des qui exis­tent aujourd’hui, car elles seraient capa­bles de cal­culer avec de nom­breux qubits, ce qui entraîn­erait une aug­men­ta­tion expo­nen­tielle de la puis­sance de cal­cul. Les qubits peu­vent être fab­riqués à par­tir de dif­férents matéri­aux, tels que les supra­con­duc­teurs ou les ions. Par­mi les autres méth­odes à venir fig­urent les processeurs quan­tiques pho­toniques, qui utilisent la lumière.

Un véri­ta­ble ordi­na­teur quan­tique néces­sit­era l’in­té­gra­tion de nom­breux qubits dans un seul dis­posi­tif, ce qui ne sera pas tâche facile, car ils sont très déli­cats et l’in­for­ma­tion quan­tique qu’ils con­ti­en­nent peut facile­ment être détru­ite, ce qui entraîne des erreurs dans les cal­culs quantiques.

Pour cor­riger ces erreurs, un sys­tème de cor­rec­tion des erreurs quan­tiques (QEC) sera indis­pens­able. Il s’ag­it générale­ment d’en­coder un bit d’in­for­ma­tion quan­tique sur un ensem­ble de qubits qui agis­sent ensem­ble comme un seul « qubit logique ». L’une de ces tech­niques est le code de sur­face, dans lequel un bit d’in­for­ma­tion quan­tique est codé sur un réseau de qubits. Cette approche pose toute­fois un prob­lème, car l’a­jout de qubits sup­plé­men­taires au sys­tème ajoute à son tour des sources d’er­reur supplémentaires.

Une vraie infor­ma­tique quan­tique à grande échelle requer­ra un taux d’er­reur d’en­v­i­ron un sur un mil­lion selon les physi­ciens, mais les meilleures tech­nolo­gies de cor­rec­tion d’er­reur actuelles ne peu­vent attein­dre que des taux d’en­v­i­ron un sur mille. Il reste donc un long chemin à parcourir.

Des chercheurs de Google Quan­tum AI ont récem­ment créé un sché­ma de code de sur­face qui devrait s’adapter au taux d’er­reur req­uis dans un processeur quan­tique com­posé de qubits supra­con­duc­teurs con­sti­tu­ants, soit des qubits de don­nées (pour l’ex­ploita­tion), soit des qubits de mesure. Ces derniers sont adja­cents aux qubits de don­nées et peu­vent mesur­er un retourne­ment de bits ou de phas­es. Ce sont deux types d’er­reurs qui affectent les qubits.

Le suc­cès de ce procédé est une étape impor­tante pour les infra­struc­tures de la tech­nolo­gie quantique 

Les chercheurs ont con­staté qu’un « réseau de qubits de distance‑5 » com­prenant un total de 49 qubits physiques avait un taux d’er­reur de 2,914 %, con­tre 3,028 % pour un « réseau de distance‑3 » com­prenant 17 qubits. Cette réduc­tion mon­tre que l’aug­men­ta­tion du nom­bre de qubits est une voie viable vers « l’in­for­ma­tique quan­tique tolérante aux pannes » et qu’un taux d’er­reur supérieur à un sur un mil­lion pour­rait être pos­si­ble dans un réseau de qubits de dis­tance-17 com­prenant 577 qubits.

#2 Un convertisseur pour les dispositifs quantiques divers

Les plate­formes actuelle­ment dévelop­pées pour les ordi­na­teurs quan­tiques sont basées sur dif­férents sys­tèmes quan­tiques tels que les pho­tons (les par­tic­ules de lumière), les atom­es, les ions, les supra­con­duc­teurs et les semi-con­duc­teurs. Dans les futurs réseaux quan­tiques, ces sys­tèmes devront com­mu­ni­quer entre eux mais, comme ils reposent sur dif­férents types de codage, cela pour­rait s’avér­er difficile.

Des chercheurs du Lab­o­ra­toire Kastler Brossel (LKB), en France, ont créé un con­ver­tis­seur qui per­met à des dis­posi­tifs quan­tiques basés sur dif­férents sys­tèmes de com­mu­ni­quer. « Nous avons conçu une sorte de boîte noire qui per­met de pass­er d’un encodage d’in­for­ma­tion quan­tique à un autre grâce au phénomène d’intrication », explique le physi­cien Julian Lau­rat, l’un des mem­bres de l’équipe du LKB. L’in­tri­ca­tion, qui a fait l’ob­jet du prix Nobel de physique 2022, est un phénomène pure­ment quan­tique, par lequel deux ou plusieurs par­tic­ules peu­vent avoir une rela­tion plus étroite que celle per­mise par la physique clas­sique. Cela sig­ni­fie que si nous déter­mi­nons l’é­tat quan­tique de l’une des par­tic­ules, nous pou­vons instan­ta­né­ment déter­min­er l’é­tat quan­tique de l’autre, quelle que soit la dis­tance qui les sépare. Autre­fois con­sid­érée comme une bizarrerie du monde quan­tique, cette « action étrange à dis­tance », comme l’ap­pelait Albert Ein­stein, est aujour­d’hui exploitée dans les sys­tèmes de cryp­togra­phie et de com­mu­ni­ca­tion quan­tiques, ain­si que dans les cap­teurs util­isés pour détecter les ondes grav­i­ta­tion­nelles (une défor­ma­tion du tis­su de l’espace-temps qui se propage à la vitesse de la lumière).

Grâce à l’in­tri­ca­tion, les chercheurs du LKB ont pu préserv­er le sig­nal d’in­for­ma­tion des codes quan­tiques, qui est frag­ile, tout en changeant la base sur laque­lle il est écrit.

« Le suc­cès de ce procédé est une étape impor­tante pour les infra­struc­tures de la tech­nolo­gie quan­tique », souligne Beate Asen­beck, doc­tor­ante au LKB. « Une fois que nous pour­rons inter­con­necter des dis­posi­tifs quan­tiques, des réseaux plus com­plex­es et plus effi­caces pour­ront être construits. »

Les chercheurs ont déposé un brevet pour pro­téger leur tech­nolo­gie qui est désor­mais exploitée par Welinq, une start-up fondée par Julien Lau­rat et son col­lègue Tom Darras.

#3 La correction quantique des erreurs pourrait améliorer l’imagerie astronomique

Les inter­féromètres optiques à haute réso­lu­tion et à « longue base » révo­lu­tion­neraient l’im­agerie astronomique : la lumière provenant de deux ou plusieurs téle­scopes, placés à une cer­taine dis­tance les uns des autres, est com­binée pour créer une image d’un objet céleste, telle qu’une étoile. Les images ain­si obtenues sont beau­coup plus fines que celles obtenues avec chaque téle­scope indi­vidu­el. De cette manière, les téle­scopes mul­ti­ples agis­sent comme un gigan­tesque téle­scope « virtuel » dont le diamètre est beau­coup plus grand que celui de n’im­porte quel téle­scope réel.

En théorie, plus les téle­scopes sont éloignés les uns des autres, plus la réso­lu­tion de l’im­age est élevée. Dans la pra­tique, cepen­dant, le bruit envi­ron­nant et les pertes de lumière entre les deux instru­ments dégradent la qual­ité des sig­naux lumineux, ce qui lim­ite la dis­tance pos­si­ble entre eux.

Les tech­nolo­gies quan­tiques peu­vent aider à con­tourn­er ces « pertes de trans­mis­sion de la lumière » en util­isant les mémoires quan­tiques et l’in­tri­ca­tion pour rem­plac­er les liaisons optiques directes entre les téle­scopes, ce qui per­met d’aug­menter les dis­tances entre eux. Dans l’ap­proche la plus directe, le sig­nal pour­rait être stocké dans des états atom­iques ou qubits. Un prob­lème demeure cepen­dant : ces états sont frag­iles et peu­vent être facile­ment détruits.

Des chercheurs de l’u­ni­ver­sité Mac­quar­ie en Aus­tralie et de l’u­ni­ver­sité nationale de Sin­gapour (NUS) ont main­tenant trou­vé un moyen de pro­téger l’in­for­ma­tion quan­tique con­tenue dans la lumière venant d’un objet céleste.

Dans leur nou­velle tech­nique, les chercheurs manip­u­lent l’é­tat de la lumière d’une étoile provenant des deux téle­scopes de manière à ce qu’elle soit sous une forme qui est pro­tégée des bruits de l’en­vi­ron­nement. En effec­tu­ant ensuite des mesures spé­ci­fiques, toute erreur dans les qubits peut être détec­tée et cor­rigée par les codes QEC avant de récupér­er l’information con­tenue dans la lumière de l’é­toile. Cette infor­ma­tion est ensuite util­isée pour con­stru­ire l’im­age de l’étoile.

#4 Les fluctuations du vide quantique pour fabriquer un générateur de nombres aléatoires

La cryp­togra­phie mod­erne repose sur la pro­duc­tion de nom­bres aléa­toires qui sont ensuite util­isés comme clés pour crypter les énormes quan­tités de don­nées pro­duites par les gou­verne­ments et les grandes entre­pris­es, par exem­ple. Bien que des algo­rithmes soient couram­ment util­isés pour génér­er des nom­bres apparem­ment aléa­toires, un pirate infor­ma­tique pour­rait, en principe, décou­vrir les étapes prédéter­minées d’un algo­rithme et ain­si prédire son résultat.

Un meilleur sys­tème serait plutôt basé sur un proces­sus véri­ta­ble­ment aléa­toire, comme la nature prob­a­biliste des phénomènes qui se pro­duisent au niveau quantique.

Le vide de l’e­space n’est pas vrai­ment un vide, mais regorge de fluc­tu­a­tions quan­tiques aléa­toires dues à des paires de par­tic­ules et d’an­tipar­tic­ules qui sont spon­tané­ment créées puis anni­hilées lorsqu’elles entrent en col­li­sion les unes avec les autres. Ces proces­sus se pro­duisent sur des échelles de temps extrême­ment cour­tes et peu­vent être util­isés pour pro­duire des nom­bres aléa­toires. Le prob­lème est que ces sys­tèmes sont soumis à des bruits par­a­sites provenant de leurs pro­pres com­posants, ce qui ralen­tit le processus.

Pour résoudre ce prob­lème, des chercheurs de l’u­ni­ver­sité de Gand, en Bel­gique, ont fab­riqué une puce infor­ma­tique (mesurant à peine 5 mm de long) et ont ensuite car­tographié toutes les imper­fec­tions dans cette puce ain­si que les sources de bruit qui s’y trou­vent. Cela leur a per­mis de mesur­er les fluc­tu­a­tions quan­tiques avec beau­coup plus de sen­si­bil­ité. Le résul­tat : une puce capa­ble de génér­er des nom­bres aléa­toires 200 fois plus vite que les dis­posi­tifs com­mer­ci­aux existants.

#5 L’avantage quantique sans correction d’erreur

Des chercheurs d’IBM ont mon­tré qu’il était pos­si­ble d’obtenir un avan­tage (ou « supré­matie » ) quan­tique sans avoir recours à la cor­rec­tion d’er­reurs. Pour ce faire, ils ont util­isé un processeur quan­tique de 127 qubits pour cal­culer l’aiman­ta­tion d’un matéri­au avec un mod­èle Ising 2D. Ce mod­èle représente les pro­priétés mag­né­tiques d’un matéri­au 2D en util­isant un réseau de spins (ou moments mag­né­tiques) quan­tiques qui inter­agis­sent avec leurs voisins les plus proches. Bien qu’ap­parem­ment sim­ple, ce mod­èle est con­nu pour être extrême­ment dif­fi­cile à résoudre.

Les chercheurs ont util­isé une tech­nique appelée « cal­cul quan­tique d’échelle inter­mé­di­aire bruité » (NISQ com­pu­ta­tion en anglais), dans laque­lle le cal­cul est effec­tué rapi­de­ment pour éviter l’ac­cu­mu­la­tion d’er­reurs. Ce type de cal­cul per­me­t­tra d’éla­bor­er des algo­rithmes quan­tiques plus généraux à court terme, avant que des ordi­na­teurs quan­tiques véri­ta­ble­ment tolérants aux pannes ne soient disponibles.

Le cal­cul a été effec­tué à l’aide d’une puce quan­tique supra­con­duc­trice com­prenant 127 qubits exé­cu­tant des cir­cuits quan­tiques d’une pro­fondeur de 60 couch­es avec un total d’en­v­i­ron 2 800 portes à deux qubits. Ces portes sont des ana­logues quan­tiques des portes logiques conventionnelles.

Le cir­cuit quan­tique génère des états quan­tiques haute­ment intriqués que les chercheurs ont ensuite util­isés pour pro­gram­mer le mod­èle Ising 2D en effec­tu­ant une séquence d’opéra­tions sur les qubits et les paires de qubits. Bien que cette méth­ode soit effi­cace, des erreurs sub­sis­taient. Les chercheurs ont donc appliqué un proces­sus d’at­ténu­a­tion des erreurs quan­tiques à l’aide d’un logi­ciel infor­ma­tique conventionnel.

La tech­nique fonc­tionne grâce à la capac­ité du processeur de 127 qubits à encoder un grand nom­bre de con­fig­u­ra­tions du mod­èle d’Is­ing. Les ordi­na­teurs con­ven­tion­nels ne dis­poseraient pas d’une mémoire suff­isante pour réalis­er un tel exploit.

Isabelle Dumé

Références :

Sup­press­ing quan­tum errors by scal­ing a sur­face code log­i­cal qubit. Nature 614, 676–681

 A quan­tum-bit encod­ing con­vert­er. Nature Pho­ton­ics 17 165–170

Archive ouverte arX­iv

Imag­ing Stars with Quan­tum Error Cor­rec­tion. Phys. Rev. Lett. 129, 210502

100-Gbit/s Inte­grat­ed Quan­tum Ran­dom Num­ber Gen­er­a­tor Based on Vac­u­um Fluc­tu­a­tions. PRX Quan­tum 4, 010330

Evi­dence for the util­i­ty of quan­tum com­put­ing before fault tol­er­ance Nature 618 500–505

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