π Espace π Science et technologies
Satellites, trous noirs, exoplanètes : quand la science voyage au-delà de la Terre

Le plasma, carburant du futur pour les satellites 

Pascal Chabert, directeur de recherche CNRS au Laboratoire physique des plasmas (LPP*) et professeur chargé de cours à l’École polytechnique (IP Paris)
Le 6 décembre 2022 |
4 min. de lecture
CHABERT Pascal
Pascal Chabert
directeur de recherche CNRS au Laboratoire physique des plasmas (LPP*) et professeur chargé de cours à l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Les plasmas froids, à faible degré d’ionisation, peuvent être utilisés pour la propulsion de satellites.
  • Pour ce faire, il faut ioniser un gaz pour obtenir des ions positifs et les accélérer : on consomme ainsi moins de carburant.
  • Cependant, il faut neutraliser le flux positif qui sort du satellite, afin de pas avoir un excès de charge positive.
  • Le projet PEGASES propose donc un plasma contenant à la fois des ions positifs et négatifs, accélérés alternativement dans l’espace.
  • Le projet a permis d’identifier l’iode comme le gaz idéal à partir duquel créer le plasma de propulsion, au lieu du xénon habituellement utilisé.

L’une des appli­ca­tions prin­ci­pales des plas­mas – qui sont des gaz ion­isés – est la gravure des semi-con­duc­teurs en microélec­tron­ique. Grâce à leurs travaux expéri­men­taux, théoriques et de sim­u­la­tions, Pas­cal Chabert et son équipe ont décou­vert que cet état de la matière, et en par­ti­c­uli­er les plas­mas froids (qui ont un faible degré d’ionisation), peu­vent être util­isés pour la propul­sion de satellites. 

Plus de vitesse, moins de carburant

« Nous avons réal­isé qu’il y avait de fortes simil­i­tudes entre ce que nous cher­chons à faire pour propulser un satel­lite – c’est-à-dire créer des ions et les accélér­er – et la gravure des semi-con­duc­teurs en microélec­tron­ique. », explique Pas­cal Chabert. « Au lieu d’accélérer les ions con­tre une sur­face, comme c’est le cas pour la gravure, nous pou­vons les accélér­er dans l’espace pour la propul­sion spa­tiale. »

Plus on accélère les ions à grande vitesse, mieux c’est, puisqu’on con­somme moins de carburant.

« Plus on accélère les ions à grande vitesse, mieux c’est, puisqu’on con­somme moins de car­bu­rant. », ajoute-t-il. Pour les appli­ca­tions de propul­sion, il faut d’abord ionis­er un gaz pour obtenir des ions posi­tifs, puis accélér­er ces ions. Cepen­dant, il faut égale­ment une cath­ode d’élec­trons pour neu­tralis­er le flux posi­tif qui sort du satel­lite, afin de ne pas avoir un excès de charge pos­i­tive. « En micro-élec­tron­ique, nous sommes con­fron­tés au même prob­lème : une charge à neu­tralis­er. », explique Pas­cal Chabert. « Ce sont les élec­trons qui char­gent la sur­face lors de l’accélération des ions, ce qui génère des défauts dans la déf­i­ni­tion des motifs car la tra­jec­toire des ions est per­tur­bée. »

Le projet PEGASES 

Pour sur­mon­ter ce prob­lème de neu­tral­i­sa­tion dans les propulseurs, les chercheurs du LPP, inspirés par les tech­niques util­isées en gravure, ont pro­posé d’essayer de créer un plas­ma qui con­tiendrait à la fois des ions posi­tifs et des ions négat­ifs, et d’accélérer ces deux types d’ions alter­na­tive­ment dans l’espace. Ain­si, il ne serait plus néces­saire d’avoir une cath­ode émet­trice d’élec­trons pour neu­tralis­er le flux d’ions positifs.

Ce pro­jet a été bap­tisé PEGASES (Plas­ma Propul­sion with Elec­troneg­a­tive GASES), dont le pre­mier pro­to­type a vu le jour fin 2007 au LPP. « Ce con­cept nous a amenés à réfléchir aux meilleurs car­bu­rants pos­si­bles pour PEGASES. », explique Pas­cal Chabert. « Il nous fal­lait un car­bu­rant capa­ble de fab­ri­quer des ions posi­tifs et des ions négat­ifs et il s’avère que l’iode (I2) est le meilleur can­di­dat. Nous pou­vons dis­soci­er la molécule, et ce faisant, génér­er des ions plus (+) et des ions moins (-). »

Un pionnier dans l’étude des plasmas 

« Le con­cept PEGASES n’a pas sus­cité une grande atten­tion de la part de la com­mu­nauté sci­en­tifique à l’époque, mais le pro­jet n’a pas été vain puisqu’il a per­mis, entre autres, d’identifier l’iode comme le gaz idéal à par­tir duquel créer le plas­ma de propul­sion (au lieu du xénon habituelle­ment util­isé) », ajoute le pro­fesseur. « Une post-doc­tor­ante, Ane Aanes­land, qui est venue tra­vailler dans notre lab­o­ra­toire a par ailleurs fondé en 2017 la start-up ThrustMe, qui com­mer­cialise des sys­tèmes de propul­sions à iode pour ali­menter de petits satel­lites. »

Le lab­o­ra­toire de Pas­cal Chabert est devenu un pio­nnier dans l’étude des plas­mas d’iode pour la propul­sion, à tra­vers le con­cept d’accélération alter­na­tive des ions. La répu­ta­tion de l’équipe a été ren­for­cée par les recherch­es menées dans le cadre d’une chaire ANR indus­trielle portée par Anne Bour­don avec Safran Énergie sur les out­ils de sim­u­la­tion et les propulseurs plas­ma « à effet Hall » que la société développe.

La propul­sion élec­trique con­siste à ionis­er un gaz et l’accélérer au sein d’un champ élec­trique, dans une machine qui a la taille d’une théière.

« L’idée de base de la propul­sion élec­trique con­siste à ionis­er un gaz et l’accélérer au sein d’un champ élec­trique, dans une machine qui a la taille d’une théière. », explique Pas­cal Chabert. « Les puis­sances élec­triques vari­ent de 1 à 10 kW afin de pro­duire des poussées qui sont très faibles – de l’ordre de mN, c’est-à-dire moins que lorsque je souf­fle sur une bougie. C’est très faible, mais pour un satel­lite en orbite sans fric­tion, c’est suff­isant pour lui faire cor­riger son orbite ou la chang­er. »

Le prin­ci­pal avan­tage de la propul­sion ion­ique par rap­port à la propul­sion chim­ique (qui est util­isée pour propulser les fusées et, jusqu’à récem­ment, était égale­ment util­isée à bord des satel­lites) est que la vitesse d’éjection du car­bu­rant est beau­coup plus grande. La con­som­ma­tion de car­bu­rant est donc beau­coup plus faible. 

La propul­sion chim­ique vs. la propul­sion électrique

La propul­sion de tout engin spa­tial repose sur l’obtention d’une force (« la poussée ») en accélérant et en éjec­tant une masse. Dans le cas des fusées chim­iques, cette poussée est obtenue en éjec­tant rapi­de­ment de grandes mass­es de matière, ce qui leur per­met d’échapper à l’attraction grav­i­ta­tion­nelle de la Terre et d’atteindre l’espace. Cepen­dant, les fusées chim­iques sont très coû­teuses en rai­son de l’én­ergie lit­térale­ment astronomique qu’elles con­som­ment. Elles ne sont donc pas idéales pour les longues mis­sions inter­plané­taires ou pour main­tenir un satel­lite en orbite.

La vitesse d’éjection de la propul­sion élec­trique est d’environ 30–50 km/s avec une charge de car­bu­rant embar­qué 10 fois inférieure à la charge de la méth­ode chim­ique. En revanche, la poussée est rel­a­tive­ment faible et ne peut donc pas être util­isée pour quit­ter la Terre. L’accélération fournie est néan­moins suff­isante pour les mis­sions interplanétaires.

Isabelle Dumé

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter