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Satellites, trous noirs, exoplanètes : quand la science voyage au-delà de la Terre

Comment étudie-t-on le climat des autres planètes ?

Isabelle Dumé, journaliste scientifique
Le 1 juin 2022 |
5 min. de lecture
François Forget
François Forget
directeur de recherche au CNRS en astrophysique
En bref
  • Au Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD), la plupart des chercheurs étudient le climat terrestre à l’aide d’observations par satellite et de modèles numériques qui simulent son atmosphère.
  • Leur objectif : prévoir ce qui se passera dans le futur, sur notre planète comme sur d’autres.
  • Par exemple ils ont développé Dynamico pour calculer la circulation atmosphérique de la Terre — les dépressions, les anticyclones et les vents – qu’ils ont pu appliquer à Mars et Venus.
  • Ils tentent également de modéliser le climat sur Mars d’il y a quelques milliers ou même milliards d’années jusqu’à des périodes glaciaires (récemment) voire des lacs et des rivières (il y a très longtemps) à sa surface.

L’exploration spa­tiale se veut de plus en plus ambitieuse avec de nou­velles mis­sions vers les dif­férentes planètes de notre sys­tème solaire et au-delà. Mon équipe au LMD con­tribue à cet effort glob­al en analysant les obser­va­tions faites par ces mis­sions et en dévelop­pant des mod­èles cli­ma­tiques globaux. Dans le but de simuler le com­porte­ment des atmo­sphères extrater­restres à l’aide d’équations de physique universelle.

Au LMD, la plu­part de mes col­lègues étu­di­ent le cli­mat de la Terre à l’aide d’observations par satel­lite et de mod­èles numériques qui simu­lent son atmo­sphère. L’objectif est de mod­élis­er les change­ments cli­ma­tiques et de prévoir ce qui se passera dans le futur — dis­ons dans 50 ans. Nous avons adap­té ces tech­niques et les avons appliquées aux atmo­sphères des autres planètes de notre sys­tème solaire, ain­si que de Titan (une lune de Sat­urne) et de Tri­ton (une lune de Nep­tune), et bien sûr de Plu­ton, anci­en­nement notre neu­vième planète.

Les modèles numériques du climat

Qu’ils soient ter­restres ou non, les mod­èles ressem­blent un peu à un jeu vidéo, mais ils sont basés sur des équa­tions physiques qui nous per­me­t­tent de cal­culer tous les phénomènes présents autour d’une planète — ses nuages, ses vents, sa cir­cu­la­tion atmo­sphérique, ses tem­pêtes de pous­sière, son gel, sa neige. Nous essayons ensuite de voir si, sim­ple­ment sur la base d’équations théoriques bien con­nues, nous pou­vons représen­ter tous ces phénomènes.

Cet objec­tif est très ambitieux. Par­fois, nous n’y par­venons pas, mais sou­vent les mod­èles fonc­tion­nent éton­nam­ment bien. Les résul­tats nous per­me­t­tent égale­ment de mieux com­pren­dre l’atmosphère de notre planète en y réap­pli­quant les leçons appris­es ailleurs. C’est un peu comme en médecine, où les mod­èles ani­maux sont util­isés pour mieux com­pren­dre le corps humain.

Nous con­sacrons actuelle­ment une grande par­tie de notre temps à la planète Mars et sommes impliqués dans de nom­breuses mis­sions spa­tiales dont le Mars Cli­mate Orbiter de l’ESA et Insight, une mis­sion améri­caine pour laque­lle des col­lègues français ont fourni le sis­momètre. Cette sta­tion géo­physique est aus­si une sta­tion météorologique. Là encore, nous essayons d’interpréter les obser­va­tions que nous faisons avec nos mod­èles numériques.

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Nous dévelop­pons égale­ment un ambitieux pro­jet soutenu par l’UE, inti­t­ulé Mars Through Time (Mars à tra­vers le temps), qui con­siste à utilis­er nos mod­èles cli­ma­tiques extrater­restres pour ten­ter de mod­élis­er le cli­mat sur Mars il y a quelques mil­liers, mil­lions et même mil­liards d’années, lorsque son orbite, son axe de rota­tion et son atmo­sphère étaient quelque peu dif­férents et qu’il y avait des péri­odes glaciaires (récem­ment) voire des lacs et des riv­ières (il y a très longtemps) à sa surface.

Des surprises à profusion

Pour ce pro­jet et d’autres, nous avons récem­ment appliqué aux autres atmo­sphères un nou­veau pro­gramme infor­ma­tique appelé Dynam­i­co, dévelop­pé à l’origine pour étudi­er le cli­mat de la Terre, afin de résoudre les équa­tions de la mécanique des flu­ides pour cal­culer la cir­cu­la­tion atmo­sphérique — c’est-à-dire la façon dont les dépres­sions, les anti­cy­clones et les vents évolu­ent. Lorsque nous avons appliqué le pro­gramme à Mars et à Vénus, nous avons con­staté qu’il ne sim­u­lait pas très bien la sit­u­a­tion sur Vénus. En effet, des effets sub­tils que le mod­èle nég­lige sur Terre peu­vent être beau­coup plus forts sur d’autres planètes, ce qui sig­ni­fie que nous devons par­fois amélior­er le mod­èle en ajoutant cer­tains ter­mes aux équa­tions qu’il contient.

Il y a quelques années, nous avons ren­con­tré une sit­u­a­tion sim­i­laire en appli­quant nos mod­èles à Mars. Le terme sup­plé­men­taire que nous avons dû ajouter à nos équa­tions dans ce cas ne nous a pas seule­ment per­mis d’améliorer notre mod­èle pour qu’il décrive mieux l’atmosphère mar­ti­enne, il nous a égale­ment aidés à mieux simuler la mous­son en Inde lorsqu’il a été réap­pliqué à l’atmosphère ter­restre. Cela peut sem­bler être un petit détail, mais il s’agit ici d’un résul­tat impor­tant si nous voulons essay­er de com­pren­dre s’il y aura à l’avenir une grande sécher­esse ou des pluies tor­ren­tielles dans cette région du monde à cause du change­ment cli­ma­tique. L’étude du cli­mat de Mars nous a ain­si per­mis de mieux com­pren­dre celui de la Terre.

Les résul­tats de ces mod­èles, qui sont util­isés par des cen­taines d’équipes de recherche dans le monde, sont égale­ment déter­mi­nants pour la pré­pa­ra­tion des mis­sions spa­tiales, notam­ment celles qui sont conçues pour se pos­er à la sur­face d’une planète ou qui utilisent l’atmosphère pour ralen­tir leur vais­seau spa­tial. Nous sommes financés par les agences spa­tiales et les indus­triels pour ces projets.

On peut générale­ment se fier aux mod­èles, ce qui, soit dit en pas­sant, est très utile pour con­va­in­cre cer­tains cli­matoscep­tiques. En effet, il est éton­nant de con­stater à quel point nos mod­èles représen­tent sou­vent bien ce que nous obser­vons. Il est fasci­nant de voir qu’un mod­èle aura par­faite­ment prédit com­ment, par exem­ple, les vents se com­por­tent sur une planète et que ces pré­dic­tions sont con­fir­mées par les don­nées ren­voyées par une vraie sonde.

La sit­u­a­tion est encore plus intéres­sante lorsque le mod­èle ne fonc­tionne pas. Par­fois, c’est parce que la sit­u­a­tion est très com­pliquée ou « non linéaire », ce qui sig­ni­fie que le cli­mat est extrême­ment sen­si­ble à tel ou tel paramètre. Le mod­èle doit être fine­ment testé et ajusté pour tenir compte de cette sen­si­bil­ité. Le plus sou­vent, cela implique qu’il existe un phénomène physique auquel nous n’avons pas pen­sé et qui est, en réal­ité, bien présent. Ce phénomène physique peut ne pas être un proces­sus qui agit directe­ment sur l’environnement en le chauf­fant ou le refroidis­sant, par exem­ple. Il peut s’agir d’une « rétroac­tion » qui con­duit le sys­tème cli­ma­tique dans un cer­tain « régime de fonc­tion­nement », c’est-à-dire, un cli­mat par­ti­c­uli­er. Nous devons com­pren­dre ces sys­tèmes physiques, qui pos­sè­dent des mil­lions de degrés de lib­erté et qui com­bi­nent de nom­breuses échelles de longueur et de temps, et appréhen­der ce qui les fait entr­er dans cer­tains états et fonc­tion­ner comme ils le font. Un véri­ta­ble défi et un beau prob­lème de physique du 21e siè­cle que nous devons résoudre.

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