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Les défis de l’exploitation minière extraterrestre

De l’hélium‑3 lunaire pour la fusion nucléaire ?

Florian Vidal, chercheur à l’Institut français des relations internationales
Le 17 mai 2022 |
5 min. de lecture
Florian Vidal
Florian Vidal
chercheur à l’Institut français des relations internationales
En bref
  • Dominé par la compétition grandissante entre les États-Unis et la Chine, le retour sur la Lune est, dorénavant, motivé par l’étude et l’exploitation de ses ressources.
  • L'une des principales ressources convoitées par les grandes puissances et se situant sur la Lune est l’hélium-3. Isotope dont nous connaissons les avantages pour la fusion nucléaire depuis 1988.
  • Mais les verrous technologiques et financiers freinent ostensiblement une quelconque exploitation des sols lunaires par les plus grandes puissances.
  • Cependant la conquête de telles ressources reste ouverte. Notamment avec des investissements massifs sur des projets comme Artemis ou TechTheMoon.

Depuis 1969, le retour d’une mis­sion humaine sur la Lune n’a jamais paru aus­si proche. Même si l’intérêt sci­en­tifique con­tin­u­ait à fleurir, les pro­grammes spa­ti­aux l’avaient délais­sé depuis de nom­breuses décen­nies au prof­it de la sta­tion spa­tiale inter­na­tionale et de mis­sions d’exploration du sys­tème solaire. Dom­iné par la com­péti­tion gran­dis­sante entre les États-Unis et la Chine, le retour sur la Lune est, doré­na­vant, motivé par l’étude et l’exploitation de ses ressources. Par­mi elles, l’hélium‑3 représente le poten­tiel le plus sig­ni­fi­catif dans le domaine énergé­tique. Cet iso­tope non radioac­t­if est un car­bu­rant idéal pour le fonc­tion­nement d’un réac­teur à fusion qui con­siste à le faire s’allier avec du deutéri­um, avec l’avantage de ne pas pro­duire de neutrons. 

Encore au stade expéri­men­tal, la capac­ité à con­tenir une telle énergie dans la cham­bre de con­fine­ment du réac­teur con­di­tionne sa réal­i­sa­tion. En sep­tem­bre 2021, l’entreprise états-uni­enne Com­mon­wealth Fusion Sys­tems, basée dans le Mass­a­chu­setts, annonce la créa­tion, à l’aide d’un élec­troaimant supra­con­duc­teur à haute tem­péra­ture, d’un champ mag­né­tique de 20 Tes­las. Cela con­stitue une avancée remar­quable, et dans cette per­spec­tive, l’extraction de l’hélium‑3 sur la Lune pour­rait faciliter le développe­ment de cette tech­nolo­gie de rupture.

Quel est le potentiel de l’hélium‑3 lunaire ?

Dès 1988, un rap­port de la NASA dédié à l’hélium‑3 évo­quait le poten­tiel de cet iso­tope pour l’avènement du réac­teur à fusion nucléaire1. En out­re, il présente théorique­ment plusieurs avan­tages : une énergie abon­dante, décar­bonée et sans déchets nucléaires. Sur le papi­er, ses atouts en font une ressource com­péti­tive, d’autant plus que cet iso­tope est utile pour d’autres appli­ca­tions telles que la cryo­génie, les ordi­na­teurs quan­tiques et l’imagerie pul­monaire par IRM. Et la Lune en est le prin­ci­pal réservoir.

Depuis des mil­liards d’années, l’action des vents solaires a libéré des par­tic­ules de haute énergie, dont l’hélium‑3 qui s’est accu­mulé sur la Lune par son absence d’atmosphère. Ressource renou­ve­lable par déf­i­ni­tion, cet iso­tope se dépose régulière­ment sur le sol sélène2 à tra­vers l’activité con­stante du Soleil. Pour­tant, comme le mon­tre Ian Craw­ford, la notion d’abondance de cette ressource est à pondér­er : la plus haute con­cen­tra­tion observée lors de mesures effec­tuées sur des échan­til­lons est de 10 par­ties par mil­liard (ppb), selon la masse, pour une con­cen­tra­tion moyenne de 4 ppb dans la couche régolithique3.

Le retour programmé sur la Lune

Préal­able incon­tourn­able à l’installation d’une base humaine, de nom­breux États (Inde, Russie, Chine, Émi­rats arabes unis, etc.) pré­par­ent de nou­velles mis­sions lunaires au cours de ces prochaines années. De loin, le pro­gramme Artemis, soutenu par la NASA, est celui qui s’avère le plus abouti à ce stade pour ce retour pro­gram­mé. Aux côtés des États-Unis, de nom­breux pays comme l’Australie, le Brésil, l’Italie, le Japon et le Lux­em­bourg se sont joints à cet ambitieux pro­jet. De son côté, la Chine, asso­ciée à la Russie, envis­age égale­ment l’établissement d’une base lunaire. Cepen­dant, le cahi­er des charges d’une telle entre­prise reste actuelle­ment incom­plet pour sa con­créti­sa­tion à l’horizon 2030, tant sur les moyens financiers que sur les dis­posi­tifs techniques.

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À l’évidence, une instal­la­tion per­ma­nente requiert la con­struc­tion et le main­tien d’infrastructures par le biais d’une util­i­sa­tion des ressources disponibles sur place et d’un usage inten­sif de robots. À cet égard, la société aus­trali­enne Luyten souhaite déploy­er la tech­nolo­gie d’impression 3D pour fournir des solu­tions de con­struc­tion sur place4. Autrement dit, il s’agit de met­tre en œuvre un écosys­tème arti­fi­ciel lunaire facil­i­tant les voy­ages avec la Terre. Pour men­er à bien cette ambi­tion, l’incubateur français TechThe­Moon, basé à Toulouse, est le pre­mier au monde dédié au développe­ment d’une implan­ta­tion per­ma­nente sur la Lune5. Mal­gré cette ému­la­tion, l’établissement d’une colonie humaine demeure une per­spec­tive loin­taine. Ain­si, un récent rap­port d’audit de la NASA pointe du doigt les retards cumulés du pro­gramme Artemis, en par­ti­c­uli­er le développe­ment et les tests du mod­ule lunaire, ajour­nant de fac­to cette mis­sion au-delà de 20246.

La Chine entame la course pour cette nouvelle frontière minière

Dans cette course sci­en­tifique et économique, la Chine a démon­tré une pro­gres­sion ful­gu­rante dans ses activ­ités spa­tiales en direc­tion de l’objet céleste. Étape fon­da­men­tale dans le développe­ment de son pro­gramme spa­tial, la Chine envoie, dès 2007, sa pre­mière sonde en orbite autour de la Lune. Depuis, les mis­sions Chang’e 4 (2018) et Chang’e 5 (2020) ont per­mis des avancées sig­ni­fica­tives dans la con­nais­sance et l’étude des don­nées sur la topogra­phie et la com­po­si­tion du sol lunaire. L’un des objec­tifs de ces voy­ages est de déter­min­er la quan­tité exacte d’hélium‑3 présente. À cette fin, l’Institut de recherche de géolo­gie de l’u­ra­ni­um de Pékin (BRIUG) mesure la teneur con­tenu d’hélium‑3 du sol, éval­ue ses paramètres d’extraction et en étudie sa fix­a­tion. Ces avancées reflè­tent aus­si la stratégie glob­ale de Pékin sur la maîtrise des minéraux et métaux ter­restres ain­si que de leur usage.

Dans l’ensemble, d’autres pays finan­cent des pro­grammes d’analyse du sol lunaire à l’image de la future mis­sion du pre­mier rover émi­rati pro­gram­mée pour l’année 20227. Avec l’aide de l’atterrisseur lunaire de l’entreprise japon­aise Ispace, le rover « Rashid » étudiera notam­ment sa com­po­si­tion géologique et ses pro­priétés. Sans nul doute, ces mis­sions con­tribuent à éval­uer son poten­tiel minier.

De nombreux obstacles

Imman­quable­ment, les mis­sions sci­en­tifiques sont amenées à se pour­suiv­re au cours de la prochaine décen­nie pour con­tin­uer les relevés de roches régolithiques vers de nou­veaux ter­ri­toires lunaires. Par sa valeur sci­en­tifique ines­timable, elle traduit un des fonde­ments de l’entreprise humaine de l’exploration spa­tiale qui repose sur l’éventualité d’exploiter les ressources extrater­restres appa­rais­sant, par déf­i­ni­tion, illim­itées. Quoi qu’il en soit, la mise en place d’une fil­ière minière extrater­restre com­porte des con­traintes d’investissements et d’infrastructures telles que le déploiement des ressources renou­ve­lables exis­tantes sur Terre demeur­era moins onéreux. En réal­ité, le coût énergé­tique de l’hélium‑3 lunaire – de son extrac­tion à son usage dans un réac­teur à fusion nucléaire – en ferait, tout au plus, une con­tri­bu­tion plutôt mar­ginale à nos besoins énergé­tiques à long terme.

Si les ver­rous tech­nologiques et financiers exis­tants freinent osten­si­ble­ment le lance­ment d’une telle entre­prise en dehors du sys­tème ter­restre8, les poli­tiques de recherche et de développe­ment soutenus dans plusieurs pays sont en ce sens un moyen de main­tenir cette pos­si­bil­ité ouverte. Somme toute, cette fais­abil­ité pour­rait se dénouer à l’occasion du fran­chisse­ment d’un seuil tech­nologique cor­rélé à sa rentabil­ité économique. Dernier point, les traités inter­na­tionaux actuels n’offrent pas un cadre poli­tique et juridique pour men­er des activ­ités minières sur la Lune. Dans l’intervalle, une réflex­ion doit donc être engagée sur le statut de l’objet céleste qui pour­rait être in fine sim­i­laire à celui de l’Antarctique, en devenant un espace neu­tre dédié à la science.

1https://​ntrs​.nasa​.gov/​c​i​t​a​t​i​o​n​s​/​1​9​8​9​0​0​05471
2Relatif à Séléné, déesse de la Lune dans la mytholo­gie grecque
3http://www.homepages.ucl.ac.uk/~ucfbiac/Lunar_resources_review_preprint_accepted_manuscript.pdf
4https://​www​.luyten3d​.com/​p​r​o​j​e​c​t​-​m​e​e​k​a​-​p​r​e​s​s​-​r​e​lease
5https://​techthe​moon​.com/
6https://oig.nasa.gov/docs/IG-22–003.pdf
7https://​www​.nation​al​geo​graph​ic​.com/​s​c​i​e​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​/​p​a​i​d​-​c​o​n​t​e​n​t​-​u​a​e​s​-​g​i​a​n​t​-​l​e​a​p​-​i​n​t​o​-​space; // https://www.nature.com/articles/d41586-020–03054‑1
8https://​the​con​ver​sa​tion​.com/​d​e​s​t​i​n​a​t​i​o​n​-​m​o​o​n​-​i​s​-​i​t​-​t​i​m​e​-​f​o​r​-​u​s​-​t​o​-​s​e​n​d​-​a​s​t​r​o​n​a​u​t​s​-​b​a​c​k​-​1​59486

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