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Pourquoi ce n’est pas si simple de calculer les émissions mondiales de gaz à effet de serre

VINCENT_Julien
Julien Vincent
responsable du département Atténuation et adaptation du Citepa
MATHIAS_Etienne
Étienne Mathias
responsable du département AFOLU au Citepa
En bref
  • Selon les inventaires nationaux territoriaux encadrés par le GIEC, les plus gros émetteurs de GES sont, dans l’ordre, la Chine, les États-Unis et l’UE.
  • Toutefois, les niveaux de précision peuvent varier d’un secteur à l’autre, car les rejets de GES ne sont pas toujours calculés sur la même base de paramètres.
  • Le choix de l’indicateur des émissions de GES modifie sensiblement les résultats, voire le classement des pays émetteurs.
  • L’empreinte carbone, qui prend en compte les émissions liées à la consommation des citoyens – dont les importations, est notamment à considérer.
  • En 2019, la moitié de la population était responsable de 12 % des émissions mondiales – contre les plus riches qui étaient responsables de près de 50 %.

Qui est respon­s­able des émis­sions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde ? Quel pays est exem­plaire, quels citoyens sont des con­tribu­teurs majeurs ? La réponse est loin d’être sim­ple. Et pour cause : il n’existe aucune mesure directe des émis­sions de GES à l’échelle des États. La mesure des rejets de GES liés aux activ­ités humaines repose sur des esti­ma­tions indi­rectes. Par exem­ple, il est pos­si­ble de crois­er les don­nées de vente de car­bu­rant à leur fac­teur d’émission (c’est-à-dire la quan­tité de GES émis par unité d’énergie) pour estimer les émis­sions liées au trans­port. Ce bilan peut être réal­isé pour cha­cun des secteurs émet­tant ou cap­tant des GES : l’énergie, les procédés indus­triels, l’agriculture, l’utilisation des ter­res et les déchets.

Les lacunes de l’indicateur

La Chine s’établit en tête avec 11,2 Gt de CO2e émis en 2014, suiv­ie par les États-Unis (5,7 Gt CO2e en 2019), l’Union Européenne (3,3 Gt CO2e en 2019) et l’Inde (2,5 Gt CO2e en 2016). Ces chiffres sont ceux des inven­taires nationaux ter­ri­to­ri­aux, encadrés par le pro­to­cole de Kyoto depuis 2005. Ils compt­abilisent sept GES (CO2, CH4, N2O, HFC, PFC, SF6 et NF3) selon une méth­ode définie par le Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur le cli­mat (GIEC). Chaque pays de l’Annexe I de la Con­ven­tion-cadre des Nations unies sur les change­ments cli­ma­tiques (soit 43 États, dont l’Union européenne1) a l’obligation de présen­ter son inven­taire nation­al de GES chaque année. Cette oblig­a­tion va être éten­due à l’ensemble des pays mem­bres à par­tir de 2024.

Les niveaux util­isés vari­ent d’un secteur à l’autre, d’un pays à l’autre. 

Faut-il s’arrêter à cette méth­ode de cal­cul ? « Cet indi­ca­teur a une visée poli­tique, il est très utile pour définir les out­ils per­me­t­tant de met­tre en œuvre les straté­gies nationales de réduc­tion des émis­sions de GES. », com­mente Éti­enne Math­ias, expert secteur des ter­res au Citepa, l’organisme en charge du cal­cul de l’inventaire en France. Il présente cepen­dant plusieurs lacunes pour une com­para­i­son inter­na­tionale. « Le GIEC définit des lignes direc­tri­ces avec dif­férents niveaux de pré­ci­sion, détaille Julien Vin­cent, respon­s­able méthodolo­gie des inven­taires au Citepa. Les rejets peu­vent être cal­culés sur la base de paramètres par défaut (niveau 1), représen­tat­ifs du niveau nation­al (niveau 2), voire même raf­finés à l’échelle d’un site d’émission de GES (niveau 3). »

Les niveaux util­isés vari­ent d’un secteur à l’autre, d’un pays à l’autre. Si cela n’influence que peu le cal­cul des émis­sions de CO2 liées à l’énergie, d’autres secteurs peu­vent présen­ter une grande vari­abil­ité entre les États. « Les émis­sions fugi­tives liées à l’extraction de pét­role et de gaz (par exem­ple les fuites de méthane) présen­tent des incer­ti­tudes très élevées, même pour les pays dévelop­pés. », affirme Julien Vin­cent. Éti­enne Math­ias com­plète : « Les rejets liés à l’agriculture et surtout au secteur des ter­res présen­tent de plus grandes incer­ti­tudes, qui peu­vent aller jusqu’à plusieurs mil­lions de tonnes de GES, notam­ment car beau­coup de pays non dévelop­pés dis­posent de peu de don­nées d’activités et de fac­teurs d’émissions. » Autre lim­ite : seuls 48 États ont déjà trans­mis au moins un inven­taire à ce jour.

Nouvel indicateur, nouveaux résultats

Pour combler ces lacunes, intéres­sons-nous à l’un des pro­jets four­nissant des cartes de rejets de GES har­mon­isées sur toute la planète : l’indicateur Cli­mate­Watch2 du World Resources Insti­tute. Il com­pile plusieurs bases de don­nées inter­na­tionales. Si le classe­ment reste inchangé, on y observe cette fois que l’ensemble des 10 pays les plus émet­teurs rejet­tent plus de GES que le reste du monde. Le bilan s’établit, pour l’année 2019, à 12 Gt CO2e pour la Chine (en forte hausse depuis le début des années 2000), con­tre 19,7 Gt CO2e pour le reste du monde.

Attention à l’indicateur observé

Le choix de l’indicateur peut faire vari­er forte­ment le classe­ment. Par exem­ple, inclure ou non le secteur des ter­res dans le bilan (sou­vent indiqué sous l’abréviation UTCF). Ce secteur prend en compte l’usage des sols, le change­ment d’usage et les forêts : sources et puits de car­bone y sont donc compt­abil­isés. « Si l’objectif est de regarder l’évolution des émis­sions, il est logique d’exclure les puits de car­bone », appuie Éti­enne Math­ias. Si la Chine et les États-Unis restent en tête du classe­ment, l’Inde et l’UE se retrou­vent désor­mais au coude à coude lorsque le secteur des ter­res est exclu du bilan. À l’inverse, l’Indonésie passe de la 8ème à la 5ème place du classe­ment en inclu­ant l’UTCF, en pas­sant de 1 Gt CO2e à 1,96 Gt CO2e : cela témoigne de la déforesta­tion impor­tante dans le pays.

Autre point d’attention : les émis­sions con­sid­érées. Cer­tains indi­ca­teurs inclu­ent l’ensemble des GES (exprimés en CO2e), d’autres unique­ment le CO2. Cela dimin­ue le poids de cer­tains secteurs dans le bilan, comme l’agriculture qui émet prin­ci­pale­ment du méthane (CH4) et du pro­toxyde d’azote (N2O).

Alors com­ment s’expliquent des émis­sions si élevées pour des pays comme la Chine ? En par­tie par leur nom­bre d’habitants. Sur la base de l’indicateur Cli­mate­Watch pour 2019, les citoyens émet­tant le plus de GES sont ceux des Iles Salomon (69,2 t CO2e/habitant/an), du Qatar (40,5 t CO2e/hab/an) et du Bahreïn (33,1 t CO2e/hab/an). Chaque citoyen chi­nois con­tribue à rejeter 8,41 t CO2e chaque année. En Inde, le 4ème pays le plus émet­teur de GES au monde, les émis­sions ne s’élèvent qu’à 2,4 tonnes de CO2e/hab/an.

L’empreinte carbone bouleverse les classements

Autre per­spec­tive intéres­sante : l’empreinte car­bone. Jusqu’à présent, les indi­ca­teurs évo­qués ne reflé­taient que les émis­sions des citoyens sur leur pro­pre ter­ri­toire. Or cer­tains pays comme la Chine sont d’importants expor­ta­teurs de biens et de ser­vices. L’empreinte car­bone con­sid­ère, elle, les émis­sions liées à la con­som­ma­tion des citoyens. Elle addi­tionne ain­si les émis­sions des ménages, de la pro­duc­tion intérieure et des impor­ta­tions aux­quelles sont sous­traites les émis­sions asso­ciées aux expor­ta­tions. Par exem­ple, pour le cas de la France, alors que les émis­sions ter­ri­to­ri­ales s’élèvent à 5,4 t CO2e/hab/an, l’empreinte car­bone grimpe à 8,9 t CO2e/hab/an en 2021 selon le Ser­vice des don­nées et études sta­tis­tiques3. En effet, plus de la moitié de l’empreinte car­bone des Français provient des biens et ser­vices importés ain­si que des matières pre­mières ou pro­duits semi-finis importés.

Il n’existe pas de méth­ode har­mon­isée de cal­cul de l’empreinte car­bone au niveau mon­di­al. Selon la base de don­nées Exiobase4, une part impor­tante des émis­sions de la Chine est due à la pro­duc­tion de biens et ser­vices pour l’Europe ou les États-Unis. Si la Chine représente 24,1 % des émis­sions mon­di­ales de GES, ce chiffre tombe à 19,2 % lorsqu’on con­sid­ère son empreinte car­bone, der­rière l’Europe (20,2 % de l’empreinte car­bone mon­di­ale) et les États-Unis (19,8 % de l’empreinte car­bone mondiale).

Il n’existe pas de méth­ode har­mon­isée de cal­cul de l’empreinte car­bone au niveau mondial. 

« Il faut bien garder en tête ce qu’illustre cha­cun des indi­ca­teurs, ils ont tous un objec­tif dif­férent, appuie Julien Vin­cent. Par exem­ple, les émis­sions par habi­tant sont des moyennes et elles ne représen­tent pas les niveaux de revenus et autres iné­gal­ités sociales. » Dans un arti­cle pub­lié dans Nature Sus­tain­abil­i­ty en 20225, Lucas Chan­cel estime qu’en 2019, la moitié de la pop­u­la­tion était respon­s­able de 12 % des émis­sions mon­di­ales de GES. Les 10 % les plus rich­es étaient quant à eux respon­s­ables de 48 % des émis­sions mon­di­ales de GES la même année.

Anaïs Marechal
1https://​unfc​cc​.int/​p​r​o​c​e​s​s​/​p​a​r​t​i​e​s​-​n​o​n​-​p​a​r​t​y​-​s​t​a​k​e​h​o​l​d​e​r​s​/​p​a​r​t​i​e​s​-​c​o​n​v​e​n​t​i​o​n​-​a​n​d​-​o​b​s​e​r​v​e​r​-​s​tates
2Don­nées (sous l’appellation CAIT) disponibles sur : https://​www​.cli​mate​watch​da​ta​.org/​g​h​g​-​e​m​i​s​s​i​o​n​s​?​s​o​u​r​c​e​=CAIT
3https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lempreinte-carbone-de-la-france-de-1995–2021
4Tukker, A., Bulavskaya, T., Giljum, S., de Kon­ing, A., Lut­ter, S., Simas, M., Stadler, K., Wood, R. 2014. The Glob­al Resource Foot­print of Nations. Car­bon, water, land and mate­ri­als embod­ied in trade and final con­sump­tion cal­cu­lat­ed with EXIOBASE 2.1. Leiden/Delft/Vienna/Trondheim.
5Chan­cel, L. Glob­al car­bon inequal­i­ty over 1990–2019. Nat Sus­tain 5, 931–938 (2022). https://doi.org/10.1038/s41893-022–00955‑z

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