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Déchets nucléaires : comment surveille-t-on les sites ?

Marc Ammerich
Marc Ammerich
expert, auditeur et conseiller en radioprotection
En bref
  • En France, toute installation contenant des déchets nucléaires doit avoir un pôle de compétence avec un personnel qualifié et formé.
  • L’inspection des centres de traitement des déchets radioactifs consiste à assurer le bon respect de la réglementation ainsi que la mise en place de bonnes pratiques. Elle permet également de suggérer des améliorations dites mineures.
  • La France est l’un des états membres de l’Union européenne les plus stricts en matière de gestion des déchets radioactifs.
  • Les autres types de déchets sont ceux des petits producteurs (5 % des déchets radioactifs). Des réglementations ont été mises en place, de façon à ce que l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (l’Andra) puisse les traiter.

Pour tout type d’inspection des cen­tres de traite­ment des déchets radioac­t­ifs, il y a un cer­tain nom­bre de points à véri­fi­er — par exem­ple, la façon dont est gérée l’exposition du per­son­nel et des tiers de pas­sage sur le site pour livr­er les col­is de déchets. Les inspecteurs regar­dent égale­ment com­ment est réal­isé le zon­age et com­ment est assuré le respect des élé­ments de sûreté. 

Par le passé, les grandes instal­la­tions de ce type néces­si­taient ce que l’on appelle des ser­vices de radio­pro­tec­tion com­pé­tents. Aujourd’hui, avec les nou­velles régle­men­ta­tions, le voca­ble a légère­ment évolué, mais la philoso­phie reste la même : toutes les instal­la­tions, dans lesquelles il y a des déchets nucléaires (appelées instal­la­tions nucléaires de base), doivent avoir un pôle de com­pé­tence avec un per­son­nel qual­i­fié et formé.

Les inspecteurs nucléaires obser­vent com­ment ce pôle est organ­isé, c’est-à-dire la mis­sion qu’il doit rem­plir et les aspects de cette organ­i­sa­tion qui peu­vent être améliorés. Un inspecteur doit rester factuel lors de l’inspection d’un site : si nous remar­quons quelque chose de mau­vais dans la ges­tion de déchets, nous devons le dire. Pareille­ment, si nous avons con­staté une bonne pra­tique sur un site, c’est intéres­sant de la sig­naler afin que d’autres sites puis­sent en profiter.

Trois niveaux d’actions

Il existe trois niveaux d’actions que nous pou­vons entre­pren­dre à la suite d’une vis­ite. Le pre­mier est une action cor­rec­tive, c’est celle que nous deman­dons au site en cas de non-respect de la régle­men­ta­tion — d’un arti­cle de décret ou d’un arrêté par­ti­c­uli­er. Si un décret n’est pas assez pré­cis, nous prenons un texte sup­plé­men­taire, qui est un arrêté ou d’une déci­sion prise par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Si jamais il y a un écart con­staté par rap­port à ces textes, alors nous deman­dons qu’une action cor­rec­tive soit menée.

Le sec­ond est une demande de com­plé­ment d’information, lorsque nous faisons le con­stat que le site n’adhère pas à de bonnes pra­tiques réal­isées ailleurs, par des exploitants d’autres sites. Dans ce cas, nous leur deman­dons de chang­er leur manière de travailler.

Le dernier niveau con­cerne les sug­ges­tions d’améliorations mineures, des obser­va­tions, liées à de légers écarts par rap­port à la régle­men­ta­tion ou aux bonnes pratiques.

Le débriefing est important

Après une vis­ite, il y a un débrief­ing, que les inspecteurs doivent tou­jours réalis­er. C’est le moment de jouer « cartes sur table » en quelque sorte et d’annoncer ce qui sera dans la let­tre de suite. Le rap­port de suivi doit être con­forme au débrief­ing oral.

Il se trou­ve que la France est l’un des États mem­bres de l’Union européenne les plus stricts en matière de ges­tion des déchets radioac­t­ifs. Pour vous don­ner une idée de la philoso­phie adop­tée, nous ne tolérons pas qu’un objet ayant pénétré dans une instal­la­tion nucléaire, dans laque­lle il existe un risque de dis­per­sion ou de con­t­a­m­i­na­tion, soit rejeté dans les fil­ières clas­siques de déchets.

Il se trou­ve que la France est l’un des États mem­bres de l’Union européenne les plus stricts en matière de ges­tion des déchets radioactifs. 

Con­traire­ment à d’autres états mem­bres de l’Union, il n’existe pas de « seuils de libéra­tion ». L’Allemagne, la Bel­gique et l’Espagne, par exem­ple, appliquent la direc­tive européenne — les valeurs en bec­querels totaux, ou en bec­querels par gramme (activ­ité mas­sique), en dessous desquelles les déchets peu­vent être rejetés dans le cycle nor­mal. Ce qui s’explique par le fait que l’activité des radionu­cléides présents dans les déchets est con­sid­érée comme si faible qu’elle n’a aucun impact sur la san­té humaine ou l’environnement. Cela vient de chang­er, ce 14 févri­er 2022, après la pub­li­ca­tion de deux décrets qui con­cer­nent des matières métalliques val­oris­ables, mais légère­ment contaminées.

À la suite d’un rap­port écrit, nous envoyons la let­tre de suite et le des­ti­nataire dis­pose de deux mois pour répon­dre et met­tre en œuvre nos deman­des. S’il choisit de ne pas le faire, nous lui adres­sons alors une mise en demeure. Si celle-ci est ignorée, nous pou­vons sus­pendre l’activité du site (ce qui n’arrive pas très sou­vent, heureusement).

La let­tre de suivi est ren­due publique et pub­liée sur le site inter­net de l’ASN. Le dernier gros événe­ment en France s’est passé à l’hôpital d’Épinal dans les années 2005 – 2006, où il y a eu plusieurs cohort­es de patients sur­ex­posées à la radioac­tiv­ité. Cer­tains patients sont décédés. Cette sit­u­a­tion a effec­tive­ment mérité inspec­tion, plainte, action en jus­tice, procès, et condamnation.

D’autres déchets

Dans cet arti­cle, nous avons prin­ci­pale­ment par­lé de déchets liés aux exploitants nucléaires, parce que cette caté­gorie représente aujourd’hui, 95 % des déchets en France. Mais, il reste 5 % de déchets dits de petits pro­duc­teurs, qui quant à eux vien­nent d’autres hori­zons. Nous avons en par­ti­c­uli­er tous les insti­tuts de recherche qui utilisent des sources non scel­lées et des sources en général liq­uides. Ces organ­ismes sont tenus de restituer tout déchet à base de tri­tium et de car­bone-14 — ayant subi des péri­odes de radioac­tiv­ité supérieures à 100 jours — à l’Agence nationale de ges­tion des déchets radioac­t­ifs (l’Andra). Cette caté­gorie de déchet représente un faible vol­ume, mais elle existe tout de même.

Il faut savoir aus­si qu’un cer­tain nom­bre d’entités en France est autorisé à utilis­er ce genre de sources radioac­tives. C’est le cas par exem­ple chez Sanofi Pas­teur, l’Inra, l’Inserm, le lab­o­ra­toire de la police sci­en­tifique. Dans cer­tains cas, ces entités sont tenues de faire repren­dre leurs déchets par l’Andra, même s’ils pren­nent un petit vol­ume pas très irradiant.

Enfin, il y a une dernière caté­gorie plus grand pub­lic : tous les objets anciens qui con­te­naient du radi­um doivent être récupérés. Vous avez effec­tive­ment toute l’industrie hor­logère, d’autres petits objets qui con­ti­en­nent de la radioac­tiv­ité, soit arti­fi­cielle, soit naturelle. Nous avons tous vu ce genre d’objets dans des bro­cantes et nous en avons peut-être chez nous.

Propos recueillis par Isabelle Dumé

Auteurs

Marc Ammerich

Marc Ammerich

expert, auditeur et conseiller en radioprotection

Titulaire d’un BTS radioprotection, Marc Ammerich a intégré le SPR Saclay en 1981. Suivant une formation au CNAM, il a obtenu son diplôme d’ingénieur en physique nucléaire en novembre 1988, grâce à la réalisation du banc d’étalonnage ICARE, au sein de l’IPSN (qui deviendra l’IRSN). Après son contrat en mars 2006, il réintègre le CEA en tant qu’ingénieur chargé d’affaires radioprotection au DPSN/SSR puis passe en novembre 2008 à l’inspection générale et nucléaire, en réalisant audits et inspections internes. Durant ces nombreuses années, il a participé à de nombreux congrès et fait de nombreuses publications. Il continue aujourd’hui de partager son savoir, notamment en tant que formateur pour de nombreuses entités et en tant qu’expert, auditeur et conseiller.

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