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La fusion nucléaire dans tous ses états

Ressources essentielles pour l’énergie de fusion : disponibilité et mise à l’échelle

avec Jacques Treiner, chercheur-associé à l'Université Paris Cité et président du Groupe des experts du Shift Project et Gérard Bonhomme, professeur émérite de l’Université de Lorraine et président de la Commission Énergie & Environnement de la Société Française de Physique
Le 2 décembre 2025 |
5 min. de lecture
Jacques Treiner_VF
Jacques Treiner
chercheur-associé à l'Université Paris Cité et président du Groupe des experts du Shift Project
Gérard Bonhomme_VF
Gérard Bonhomme
professeur émérite de l’Université de Lorraine et président de la Commission Énergie & Environnement de la Société Française de Physique
En bref
  • En 2024, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) recensait plus d’une vingtaine de concepts de centrale à fusion en cours de développement.
  • Cependant, les experts n'envisagent pas un déploiement à grande échelle avant plusieurs décennies de ces centrales.
  • La fusion nucléaire provient de la fusion de deux isotopes de l'hydrogène : le deutérium (stable) et le tritium (instable, radioactif).
  • L’abondance des ressources questionne, notamment pour le tritium qui doit être produit au sein même du réacteur à partir du lithium contenu dans les parois.
  • L'avenir de la fusion dépend, entre autres, de la capacité de la recherche à limiter, voire à supprimer, les quantités de ressources rares mises en œuvre.

Pro­pre, sûre… et « presque illim­itée » : sur le papi­er, la fusion sem­ble être la source d’élec­tric­ité idéale. Et de fait, sur le ter­rain, les expéri­men­ta­tions se mul­ti­plient. En 2024, l’Agence inter­na­tionale de l’énergie atom­ique (AIEA) recen­sait plus d’une ving­taine de con­cepts de cen­trale à fusion en cours de développe­ment, du Cana­da à la Chine, en pas­sant par les États-Unis, l’Eu­rope, Israël ou la Corée du Sud. Pour­tant, les obsta­cles tech­nologiques sont ver­tig­ineux, car chaque dimen­sion de ce futur sys­tème de pro­duc­tion d’énergie pose à la recherche des dif­fi­cultés con­sid­érables, si bien que les experts n’en­vis­agent pas un déploiement à grande échelle avant au moins plusieurs décen­nies. Cet hori­zon loin­tain et incer­tain n’empêche pas les promess­es de cir­culer, tou­jours appuyées par un mot-clé qui sonne comme un mantra : « illimitée ».

Cepen­dant, il s’ag­it en fait d’un rac­cour­ci, qui souligne la den­sité énergé­tique très élevée de la fusion – de faibles quan­tités de com­bustibles étant sus­cep­ti­bles de pro­duire de très grandes quan­tités d’én­ergie élec­trique – et surfe sur la répu­ta­tion de qua­si-inépuis­abil­ité de son com­bustible. Dans les faits, c’est la fusion de deux iso­topes de l’hy­drogène, le deutéri­um (sta­ble) et le tri­tium (insta­ble, radioac­t­if), qui pro­duira de la chaleur, ensuite con­ver­tie en élec­tric­ité. Si le deutéri­um existe à l’é­tat naturel, ce n’est pas le cas du tri­tium. « Il doit donc être pro­duit au sein même du réac­teur à par­tir du lithi­um con­tenu dans les parois, selon une réac­tion induite par les neu­trons générés par la fusion », explique Jacques Trein­er. La manière la plus effi­cace d’y par­venir fait inter­venir du lithi­um enrichi à 50% en Li‑6 (un iso­tope présent à seule­ment 7,5% dans le lithi­um naturel). En fin de compte, une cen­trale four­nissant 1GW élec­trique con­som­mera ain­si annuelle­ment 167 kg de deutéri­um et 7 tonnes de lithi­um naturel.

Des ressources abondantes

Le deutéri­um s’avère effec­tive­ment extrême­ment abon­dant dans la nature : on en trou­ve 33 g par mètre cube d’eau de mer, et il est extractible par des procédés bien maîtrisés. Et le lithi­um ? L’US Geo­log­i­cal Sur­vey estime les ressources à 115 mil­lions de tonnes, dont 30 mil­lions de réserves exploita­bles à ce jour. Bien assez, selon les défenseurs de la fusion, pour con­sid­ér­er ce com­bustible comme « nég­lige­able ». De fait, si la fusion était la seule con­som­ma­trice du métal léger, les réserves per­me­t­traient de pro­duire 30000 TWh par an (c’est-à-dire l’équiv­a­lent de la pro­duc­tion élec­trique mon­di­ale en 2024, toutes sources con­fon­dues) pen­dant plus d’un mil­lé­naire. La même puis­sance pro­duite via des cen­trales à char­bon, à gaz naturel ou à fis­sion épuis­erait les réserves de leurs com­bustibles en moins d’un siè­cle – voire beau­coup moins.

Mais la fusion est loin d’être la seule à avoir besoin de lithi­um. Cet élé­ment est même déjà une des ressources les plus con­som­mées par la tran­si­tion énergé­tique, pour ali­menter notam­ment le très floris­sant marché des bat­ter­ies pour véhicules élec­triques. De 95 kt en 2021, la demande mon­di­ale de lithi­um est ain­si passée à 205 kt en 2024, et pour­rait attein­dre 928 kt en 2040, selon l’A­gence Inter­na­tionale de l’Énergie (AIE). Des études ont alerté sur de pos­si­bles pénuries d’ap­pro­vi­sion­nement d’i­ci la fin du siè­cle en rai­son de l’ex­plo­sion de la demande, de la con­cen­tra­tion géo­graphique des ressources, de la volatil­ité des prix et des lim­ites du recy­clage et de l’ex­ploita­tion minière. Certes, les incer­ti­tudes sur les pro­jec­tions de ce type sont tou­jours impor­tantes. Mais la con­cur­rence sur le lithi­um reste bien réelle, et a toutes les chances de s’avér­er durable. À l’échéance où la fusion sera prête, rien n’as­sure donc que l’ap­pro­vi­sion­nement sera aisé.

« Pour point­er la néces­sité de straté­gies de ges­tion des ressources sur les temps longs, on pour­rait avancer la propo­si­tion évidem­ment assez naïve de décider de réserv­er des stocks pour la fusion, avance Gérard Bon­homme. Les besoins de la fusion en lithi­um sont ridicule­ment faibles par rap­port à ceux des véhicules élec­triques : on pour­rait con­sid­ér­er que les con­sid­érables béné­fices qu’elle apportera à l’avenir méri­tent de garder de petites réserves disponibles pour son usage ». Le degré de matu­rité de la fusion, les ten­sions prévis­i­bles sur le marché du lithi­um et l’ab­sence de gou­ver­nance mon­di­ale sur le métal léger con­stituent toute­fois pour l’heure de sérieux obsta­cles à cette option.

Les ressources rares : un goulet d’étranglement ?

Les besoins en matéri­aux d’une instal­la­tion élec­trogène ne se lim­i­tent d’ailleurs pas à ses com­bustibles : ils englobent aus­si toutes les ressources mobil­isées dans les instal­la­tions de pro­duc­tion et dans les infra­struc­tures de dis­tri­b­u­tion et de stock­age. L’avenir de la fusion dépen­dra donc aus­si de la capac­ité de la recherche à lim­iter, voire à sup­primer, les quan­tités de ressources rares mis­es en œuvre. Cet impératif pour­rait s’avér­er dif­fi­cile à tenir, notam­ment pour les tech­nolo­gies assur­ant le con­fine­ment du plas­ma. Si ITER1 s’ap­puie sur un champ mag­né­tique généré par des bobines en nio­bi­um-étain, ces dernières ressources risquent d’être insuff­isantes pour con­stru­ire un parc de mil­liers de réac­teurs. À ce jour, les meilleurs can­di­dats pour les rem­plac­er et garan­tir la maîtrise et le déploiement indus­triel à grande échelle de l’én­ergie de fusion restent les supra­con­duc­teurs à haute tem­péra­ture. Cepen­dant, les con­cepts les plus promet­teurs, les REBCO2 reposent sur l’usage de ter­res rares, qui fig­urent sur les listes de matéri­aux cri­tiques (c’est-à-dire essen­tiels à l’économie et sus­cep­ti­bles de con­naître des rup­tures d’approvisionnement) de l’U­nion européenne et de l’US Geo­log­i­cal Sur­vey. D’autres can­di­dats moins sen­si­bles pour­raient-ils émerg­er ? L’avenir seul le dira.

Les matéri­aux asso­ciés aux tech­nolo­gies assur­ant le con­fine­ment sont par ailleurs loin d’être les seuls à pos­er question.

Les matéri­aux asso­ciés aux tech­nolo­gies assur­ant le con­fine­ment sont par ailleurs loin d’être les seuls à pos­er ques­tion. « Quels seront ceux retenus pour les parois, qui doivent résis­ter à des flux intens­es de neu­trons de très haute énergie ? À quelle fréquence devra-t-on les rem­plac­er ? Il s’agit de prob­lèmes aujourd’hui non réso­lus. Une machine d’es­sai dédiée, l’International Fusion Mate­ri­als Irra­di­a­tion Facil­i­ty (IFMIF), doit d’ailleurs être con­stru­ite pour les étudi­er », ajoute Jacques Treiner.

En com­para­i­son, quels sont les besoins en matéri­aux des autres instal­la­tions élec­trogènes opéra­tionnelles ? « Les cen­trales à fis­sion ou à fos­siles con­som­ment à peu près les mêmes quan­tités de matéri­aux de base (béton, aci­er, alu­mini­um ou cuiv­re) que la fusion. Mais les renou­ve­lables en utilisent 10 à 20 fois plus », pré­cise Jacques Trein­er. Les renou­ve­lables utilisent aus­si des matéri­aux cri­tiques, par­fois en quan­tités impor­tantes, comme le néodyme dans le cas de l’éolien. « La fusion ne sera pas la panacée. Mais elle sera une source d’én­ergie à haute inten­sité, aux impacts rel­a­tive­ment faibles sur les ressources. Ni les fos­siles, ni les renou­ve­lables, ni même le nucléaire à fis­sion de 2e ou 3e généra­tion ne peu­vent pré­ten­dre à ce dou­ble avan­tage », résume Gérard Bonhomme.

Redécouvrir les limites, un levier pour l’action ?

La fusion est donc « promet­teuse », « extrême­ment ambitieuse », mais pas « pra­tique­ment illim­itée ». Et c’est tant mieux, car « une énergie illim­itée con­duirait non à une abon­dance matérielle et une crois­sance infinie, mais à un épuise­ment tou­jours plus rapi­de des ressources, pointe Jacques Trein­er. Rel­a­tivis­er, voire occul­ter le car­ac­tère fini du sys­tème Terre relève d’un désir forcené d’ig­no­rance, qui a quelque chose de dés­espéré. Regarder en face ses lim­ites per­met au con­traire de pré­cis­er les échelles de temps en jeu vis-à-vis du cli­mat, les ressources en énergie, en eau, en intrants pour l’a­gri­cul­ture, de l’é­tat de la bio­di­ver­sité, etc. C’est la con­di­tion pour redonner place et sens à l’ac­tion poli­tique ».

Pour Gérard Bon­homme, cette dernière doit toute­fois se fonder sur une vision à long terme : « Recon­naître les lim­ites des ressources plané­taires doit nous inciter à penser et à con­stru­ire des straté­gies opti­misant des com­bi­naisons de solu­tions ayant des tem­po­ral­ités de développe­ment dif­férentes, aptes à garan­tir un appro­vi­sion­nement en énergie suff­isant pour une human­ité de dix mil­liards d’in­di­vidus ».

Anne Orliac
1le réac­teur ther­monu­cléaire expéri­men­tal inter­na­tion­al situé à Saint-Paul-Ièz-Durance, en France
2Rare earth bar­i­um cop­per oxide, en anglais

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