AdobeStock_943137577
Généré par l'IA / Generated using AI
π Géopolitique π Industrie
Les ressources naturelles au centre des tensions géopolitiques

Plan Grand Nord : la stratégie russe pour contrôler les ressources en Arctique

avec Florian Vidal, chercheur à l'Université arctique de Norvège et chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire des Énergies de Demain de l'Université Paris Cité
Le 1 octobre 2025 |
5 min. de lecture
Florian Vidal_VF
Florian Vidal
chercheur à l'Université arctique de Norvège et chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire des Énergies de Demain de l'Université Paris Cité
En bref
  • L’Arctique présente un fort potentiel stratégique pour la Russie, notamment en matière d’hydrocarbures, et 80 % du gaz produit sur le territoire russe provient de cette région.
  • Toutefois, avec les conditions géopolitiques actuelles, les entreprises russes rencontrent des difficultés à exporter et à avoir accès à des technologies occidentales.
  • Si la militarisation de l’Arctique n’est pas nouvelle, depuis 2005, les autorités russes ont indéniablement intensifié leur présence militaire dans la région.
  • Une part significative des contingents de l’armée russe présente en Arctique a été mobilisée par l'effort de guerre en Ukraine.
  • Il existe des arguments pour et contre l’idée que l’Arctique pourrait être le prochain front entre la Russie et les États-Unis.

Longtemps délais­sé après la chute de l’URSS, l’Arc­tique est rede­venu une pri­or­ité stratégique pour Moscou depuis l’ar­rivée au pou­voir de Vladimir Pou­tine. Riche en hydro­car­bu­res et tra­ver­sé par des routes mar­itimes cru­ciales, le Grand Nord cristallise aujour­d’hui les ten­sions entre grandes puis­sances. Mais l’in­va­sion de l’Ukraine et les sanc­tions occi­den­tales ont boulever­sé les ambi­tions russ­es dans la région. Flo­ri­an Vidal, chercheur à l’UiT The Arc­tic Uni­ver­si­ty of Nor­way, décrypte les enjeux économiques et mil­i­taires de cet espace stratégique qui pour­rait devenir un nou­veau front entre la Russie et les États-Unis.

#1 Le Grand Nord est une zone économique stratégique du point de vue du Kremlin 

VRAI 

Depuis l’ar­rivée au pou­voir de Vladimir Pou­tine en 2000, l’intérêt du Krem­lin pour l’Arc­tique n’a fait que croître. Après une péri­ode de relatif aban­don, con­séc­u­tive à la chute de l’Union sovié­tique, Moscou a repris la main sur cet espace, car son grand poten­tiel stratégique, notam­ment en matière d’hydrocarbures, a fait renaître ses ambi­tions polaires. 80 % du gaz et 60 % du pét­role pro­duits sur le ter­ri­toire russe provient en effet de la région arctique.

Sans nul doute, l’exploitation du gaz naturel liqué­fié (GNL) dans la pénin­sule de Yamal, en mer de Kara, con­stitue une réus­site emblé­ma­tique du pro­gramme de réin­vestisse­ment dans la région. Ce pro­jet phare reste néan­moins trib­u­taire du développe­ment d’in­fra­struc­tures de com­mu­ni­ca­tion dédiées au trans­port et à l’exportation des ressources. Le développe­ment de la route mar­itime du Nord, et de ses ports, a été envis­agé de façon sym­bi­o­tique avec l’exploitation du sous-sol arc­tique. Jusqu’à l’invasion de l’Ukraine, la stratégie a porté ses fruits : les hydro­car­bu­res généraient 50 % des revenus du bud­get fédéral, tan­dis que l’Arc­tique con­tribuait à hau­teur de 17 % au PIB national.

INCERTAIN 

Face aux pro­jec­tions géoé­conomiques du Krem­lin, deux bémols majeurs appa­rais­sent. Tout d’abord, le pou­voir ne peut nier les ten­dances struc­turelles de la société, lesquelles s’illustrent tout par­ti­c­ulière­ment dans les zones les plus septen­tri­onales du pays. Le déclin démo­graphique en est une illus­tra­tion frap­pante, affec­tant même les cen­tres urbains comme Mour­man­sk, dont la pop­u­la­tion ne cesse de dimin­uer depuis la fin des années 1980.

Ensuite, l’invasion à grande échelle de l’Ukraine et les salves de sanc­tions con­tre la Russie con­stituent sans sur­prise un frein aux investisse­ments et à l’avancement des pro­jets en cours. Les entre­pris­es russ­es ren­con­trent des dif­fi­cultés à exporter, mais aus­si à avoir accès aux tech­nolo­gies occi­den­tales, néces­saires à leur pro­duc­tion. Par exem­ple, Novatek qui exploite les pro­jets Yamal LNG et Arc­tic LNG 2 dépendait du groupe alle­mand Siemens pour la four­ni­ture de généra­teurs à tur­bine à gaz et de com­presseurs de gaz d’évaporation.

Avec la mise en œuvre de sanc­tions dans le secteur ban­caire, qui ciblait les pro­jets d’investissement dans le secteur énergé­tique dans la région depuis l’annexion de la Crimée en 2014, les pays occi­den­taux ont ralen­ti les capac­ités finan­cières de la Russie, qui, mal­gré un piv­ot vers les BRICS+, n’a récolté que des investisse­ments limités.

#2 Vladimir Poutine en a fait une région militarisée. 

FAUX

L’assertion est par­tielle­ment inex­acte : la mil­i­tari­sa­tion de l’Arctique n’est pas un phénomène nou­veau. Ses orig­ines remon­tent à près d’un siè­cle, avec l’établissement pré­coce d’une présence mil­i­taire dans la région. La flotte du Nord a été offi­cielle­ment établie sous Staline avant la Sec­onde Guerre mon­di­ale. Il con­vient de not­er que les ten­sions régionales étaient, à bien des égards, plus intens­es durant la guerre froide qu’elles ne le sont aujourd’hui.

VRAI 

Depuis 2005, les autorités russ­es ont indé­ni­able­ment inten­si­fié leur présence mil­i­taire dans l’espace arc­tique en rou­vrant d’anciennes bases navales et aéri­ennes datant de la péri­ode sovié­tique. À la mod­erni­sa­tion des bases exis­tantes s’est ajoutée la créa­tion de nou­velles infra­struc­tures. Portée par le min­istère de la Défense, cette dynamique a trans­for­mé la région en véri­ta­ble vit­rine tech­nologique, exposant des équipements mil­i­taires de pointe (mis­siles hyper­son­iques, dernière généra­tion d’avions de com­bat…). Par ailleurs, dans la pénin­sule de Kola, la flotte du Nord a elle aus­si fait l’objet d’une mod­erni­sa­tion. Ses capac­ités nucléaires ont été ren­for­cées par la con­struc­tion de nou­veaux sous-marins. Toutes ces évo­lu­tions ser­vent un objec­tif clair : celui d’affirmer une supéri­or­ité mil­i­taire et une dom­i­na­tion stratégique sur la zone. Aujourd’hui, les pays nordiques con­sta­tent cet état de fait établi.

INCERTAIN

Une part sig­ni­fica­tive des con­tin­gents de l’armée russe présente en Arc­tique a été mobil­isée par l’ef­fort de guerre en Ukraine. La capac­ité des forces con­ven­tion­nelles dans la région a été con­sid­érable­ment affaib­lie par la destruc­tion d’équipements mil­i­taires et les pertes impor­tantes au sein des unités com­bat­tantes. La ligne côtière de plus de 24 000 kilo­mètres, jalon­née d’îles et d’archipels, en fait un espace com­plexe à cou­vrir. Pour répon­dre à ces dif­fi­cultés, l’une des pistes envis­agées serait le déploiement d’une arma­da de drones le long des côtes. Dans le même temps, un recrute­ment mas­sif de 50 000 sol­dats a égale­ment été annon­cé pour par­venir à une unité de 80 000 sol­dats dans le dis­trict mil­i­taire de Leningrad, région com­prise entre Saint-Péters­bourg et Mourmansk.

#3 L’Arctique pourrait être le prochain front entre la Russie et les États-Unis. 

VRAI

Une prise de con­science de cette nou­velle réal­ité mil­i­taire a eu lieu dès le pre­mier man­dat de Don­ald Trump. Mike Pom­peo, alors secré­taire d’État, n’hésitait pas à qual­i­fi­er l’augmentation de la présence russe et chi­noise dans la zone comme une men­ace com­mune pour les États-Unis. Avec le besoin d’effectuer une remon­tée capac­i­taire, la prési­dence Biden a eu une poli­tique assumée de réen­gage­ment dans la région en bran­dis­sant la lib­erté de nav­i­ga­tion et en engageant une poli­tique de développe­ment d’une nou­velle flotte de brise-glaces polaires – les États-Unis n’en sont dotés que de deux.

La volatil­ité du prési­dent Trump et ses annonces con­tro­ver­sées, notam­ment sa démarche agres­sive à l’égard du Groen­land, pour­raient con­tribuer à créer un cli­mat d’insécurité au niveau région­al. Une vel­léité impéri­al­iste pour­rait en déclencher une autre. La Russie lorgne quant à elle sur le Sval­bard, archipel norvégien. Dès lors, le risque à venir est d’entrer dans une logique trans­ac­tion­nelle et bilatérale, basée sur les rap­ports de force, alors que la région s’était dis­tin­guée depuis la fin de la guerre froide par son tis­su insti­tu­tion­nel fondé sur un cadre multilatéral.

FAUX 

Dans cette région moins exposée aux con­flits, la coopéra­tion reste l’ap­proche priv­ilégiée. En effet, les États arc­tiques pour­raient être ten­tés de préserv­er les acquis de l’après-guerre froide, en par­ti­c­uli­er le Con­seil de l’Arctique qui pour­rait servir d’interface pour renouer le dia­logue à l’avenir. Le développe­ment économique, notam­ment dans l’exploitation con­jointe des ressources arc­tiques, pour­rait con­stituer un espace d’entente entre Wash­ing­ton et Moscou, offrant ain­si un levi­er pour prévenir toute escalade militaire.

Propos recueillis par Alicia Piveteau

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir notre newsletter