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Changement climatique : les perdants, les gagnants et l'adaptation

Les grands perdants du changement climatique

Alexandre Magnan, chercheur sénior "adaptation au changement climatique" à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI-Sciences Po)
Le 16 mai 2023 |
5 min. de lecture
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Alexandre Magnan
chercheur sénior "adaptation au changement climatique" à l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI-Sciences Po)
En bref
  • Les groupes de population les plus vulnérables au changement climatique sont ceux en situation précaire et/ou en situation d’isolement.
  • Mais les parties plus aisées des sociétés vont aussi en souffrir, moins rapidement et moins directement, car leur richesse repose sur toutes les autres strates de la société.
  • Le niveau de risque de certains territoires s’élève en raison de l’intensification des aléas naturels, comme les zones intertropicales et polaires.
  • La sécheresse peut accélérer la déstabilisation sociale et politique des zones où des conflits existent déjà, comme les zones semi-arides d’Afrique.
  • L’adaptation est la solution pour réduire les vulnérabilités, mais elle suppose entre autres des changements institutionnels et des politiques publiques pertinentes.

Qui sont les perdants du changement climatique en cours ?

Nous par­lons plus pré­cisé­ment de vul­néra­bil­ité, c’est-à-dire du risque pour un sys­tème socio-spa­tial d’être affec­té par les effets d’un aléa (inon­da­tion, sécher­esse, cyclone, etc.)1. Les groupes de pop­u­la­tion les plus vul­nérables sont ceux en sit­u­a­tion pré­caire, présen­tant de faibles niveaux de revenus et/ou en sit­u­a­tion d’isolement. Les iné­gal­ités préex­is­tantes au change­ment cli­ma­tique sont exac­er­bées par ce dernier : cela génère des effets en cas­cade. Moins de ressources, plus de pres­sion sur les écosys­tèmes, plus d’instabilité sociale et poli­tique… Les retombées du change­ment cli­ma­tique dépen­dent bien sûr des aléas naturels mais aus­si des con­di­tions de développe­ment des pays. Mais atten­tion, j’insiste sur un point : le change­ment cli­ma­tique touche toutes les strates de la société, plus ou moins directement.

Pourtant dans son dernier rapport2, le GIEC parle de « points chaud »’, où la vulnérabilité des populations est plus élevée. Ils se situent en Afrique de l’Est, centrale et de l’Ouest, en Asie du Sud et centrale, en Amérique du Sud, en Arctique et dans les petits états insulaires en développement. 

Je suis de plus en plus réservé sur cette notion. Tout le monde est vul­nérable, mais à des péri­odes et des degrés dif­férents. Le change­ment cli­ma­tique touche chaque ter­ri­toire. Les « plus grands per­dants » sont en pre­mière ligne, et le risque est exac­er­bé par leurs con­di­tions de vul­néra­bil­ité. Mais en sec­onde ligne, les par­ties plus aisées des sociétés vont aus­si souf­frir des effets du change­ment cli­ma­tique, car leur richesse repose sur toutes les autres strates de la société. Ils seront per­dants, mais les « moins per­dants » de tous, ou en tout cas moins rapi­de­ment ou directement.

De plus, si nous par­lons de points chauds régionaux, il est très impor­tant de pren­dre en compte l’interconnexion des États. Les risques cli­ma­tiques sont trans­mis à tra­vers les fron­tières par le partage des ressources naturelles, des liens com­mer­ci­aux, la finance et la mobil­ité humaine3. Par exem­ple, la baisse des ren­de­ments des cul­tures au Brésil va avoir des retombées sur l’élevage en France, et donc sur le prix pour les con­som­ma­teurs. Autre exem­ple : le thon, dont la répar­ti­tion géo­graphique des stocks est mod­i­fiée par le change­ment cli­ma­tique. Cela pour­rait per­turber les accords com­mer­ci­aux, notam­ment pour l’Europe, mais aus­si au niveau international !

Quels sont les facteurs qui aggravent les vulnérabilités ?

Les modal­ités de développe­ment des dernières décen­nies ont créé les con­di­tions de la vul­néra­bil­ité actuelle, par exem­ple au tra­vers des iné­gal­ités. Dans un monde sans iné­gal­ités, les retombées du change­ment cli­ma­tique seraient très dif­férentes et répar­ties autrement au sein des groupes sociaux. 

À cela s’ajoutent les effets du change­ment cli­ma­tique. Aujourd’hui, le niveau de risque de cer­tains ter­ri­toires s’élève en rai­son de l’intensification des aléas naturels, comme les zones intertrop­i­cales et polaires, par exem­ple, où les dynamiques cli­ma­tiques sont plus actives qu’ailleurs. Cela con­cerne par exem­ple les régions insu­laires, par­ti­c­ulière­ment les atolls comme les Mal­dives, les Kiri­bati, Tuvalu et la Polynésie française. L’élévation du niveau de la mer men­ace l’habitabilité future de ces espaces.

Quels sont les risques auxquels font face les « perdants » du changement climatique ?

Pour le dernier rap­port du GIEC, nous avons adressé une ques­tion nou­velle : par­mi la mul­ti­tude des impacts du change­ment cli­ma­tique à atten­dre à l’échelle glob­ale, quels sont les plus sévères pour l’humanité ? Cha­cun des auteurs du chapitre a répon­du à cette ques­tion sur sa zone d’étude. Nous avons ain­si rassem­blé les con­di­tions favor­ables à 120 risques clés sévères pour la fin du siè­cle. Par exem­ple, il est claire­ment établi que même dans le cas d’un faible réchauf­fe­ment, les risques seront sévères pour les espaces lit­toraux qui font déjà face à une vul­néra­bil­ité forte et une adap­ta­tion faible.

Aucun secteur d’activité n’est épargné et tous les pays sont concernés. 

Ces risques clés sévères pour l’humanité sont regroupés dans huit caté­gories : les sys­tèmes côtiers de basse alti­tude ; les écosys­tèmes ter­restres et marins ; les infra­struc­tures, réseaux et ser­vices ; le niveau de vie ; la san­té humaine ; la sécu­rité ali­men­taire ; l’accès à l’eau et la paix et la mobil­ité humaine. Une chose m’a frap­pé lors de cet exer­ci­ce : aucun secteur d’activité n’est épargné et tous les pays sont concernés.

Nexiste-t-il pas des risques spécifiques à ces populations très vulnérables ?

Le risque clé « paix et mobil­ité humaine » est prob­a­ble­ment assez spé­ci­fique aux pays déjà mar­qués par des insta­bil­ités socio-poli­tiques. Il est peu prob­a­ble que le change­ment cli­ma­tique génère des con­flits armés au cours des prochaines décen­nies dans les pays en paix. En revanche, dans des zones semi-arides en Afrique où des con­flits exis­tent déjà, une sécher­esse intense peut accélér­er la désta­bil­i­sa­tion. C’est un effet qui a déjà été observé, et le même phénomène est sug­géré pour les migra­tions (par exem­ple pour le cas de la Syrie en 2015).

À lavenir, les vulnérabilités vont-elles évoluer ? Qui sont les futurs « grands perdants » du changement climatique ?

Cela dépend en par­tie du niveau de réchauf­fe­ment que nous allons attein­dre. Dès +1,5 °C (soit très bien­tôt), nous allons bas­culer d’une sit­u­a­tion où le risque est détectable mais pas encore sys­té­ma­tique, à un monde où les « points chauds » vont s’étendre géo­graphique­ment et sociale­ment comme le craig­nent les sci­en­tifiques. À +2–3 °C, les risques vont être très éten­dus et par­tielle­ment irréversibles. À +3–4 °C, ils devi­en­nent très éten­dus et irréversibles.

À mesure que le réchauf­fe­ment aug­mente, les vul­néra­bil­ités sont exac­er­bées. Les « grands per­dants » devi­en­nent encore plus vul­nérables. Et ce groupe va s’accroître : de nou­velles per­son­nes vont bas­culer par­mi les « grands perdants ».

Comment limiter les retombées du changement climatique, comment réduire les vulnérabilités ?

En un mot : l’adaptation. Les out­ils de l’adaptation sont désor­mais bien con­nus. La tech­nolo­gie, les moyens financiers globaux, la con­nais­sance sci­en­tifique ne sont pas les pre­miers prob­lèmes. Le frein aujourd’hui réside d’abord dans l’engagement. L’adaptation demande un courage poli­tique, des change­ments insti­tu­tion­nels, des poli­tiques publiques per­ti­nentes à long terme, et des pop­u­la­tions qui acceptent ces change­ments. Mais l’adaptation est d’abord une ques­tion de volon­té col­lec­tive, et ensuite une ques­tion tech­nique : quelles options, où et quand ?

L’adaptation est d’abord une ques­tion de volon­té col­lec­tive, et ensuite une ques­tion technique. 

En revanche, atten­dre va com­pli­quer le prob­lème. À mesure que le réchauf­fe­ment va opér­er, les évène­ments cli­ma­tiques vont être plus intens­es, plus fréquents, se suc­céder… Cela rend com­plexe la ges­tion des risques. Les sys­tèmes d’alerte doivent être opéra­tionnels face à ces aléas : cela repose sur des moyens financiers, humains et sur la cul­ture du risque des pop­u­la­tions. Or les com­mu­nautés les plus vul­nérables sont juste­ment celles qui man­quent de ces moyens… À nou­veau, les « grands per­dants » du change­ment cli­ma­tique par­tent défavorisés.

Propos recueillis par Anaïs Marechal
1Site inter­net con­sulté le 25/04/2023 : http://​geo​con​flu​ences​.ens​-lyon​.fr/​g​l​o​s​s​a​i​r​e​/​v​u​l​n​e​r​a​b​ilite
2IPCC, 2023, Syn­the­sis report of the IPCC sixth assess­ment report, Longer report.
3Anisi­mov A., Mag­nan A.K. (eds.) (2023). The glob­al trans­bound­ary cli­mate risk report. The Insti­tute for Sus­tain­able Devel­op­ment and Inter­na­tion­al Rela­tions & Adap­ta­tion With­out Bor­ders. 114 pages.

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