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Les bioplastiques sont-ils si fantastiques ?

Les bioplastiques ne remplaceront pas le recyclage

Richard Robert, journaliste et auteur
Le 2 février 2021 |
6 min. de lecture
Olivier Jan
Olivier Jan
Central Europe Sustainability Lead partner chez Deloitte
Erwan Harscoët
Erwan Harscoët
directeur au sein du cabinet Sustainability de Deloitte
En bref
  • Les entreprises sont désormais soumises à une forte pression des consommateurs et des parties prenantes (ONG, gouvernements) pour ne pas dégrader la planète ni émettre de gaz à effet de serre.
  • Cela nécessite une approche globale et une analyse de début et de fin de vie du cycle des produits pour maîtriser leur empreinte environnementale.
  • Les bioplastiques biosourcés peuvent résoudre certains problèmes, mais la phase critique demeure la fin de vie des produits. La biodégradabilité reste donc un critère majeur.
  • Une gestion optimale des bioplastiques nécessite une vision multisectorielle et une bonne compréhension des enjeux en termes de filière industrielle, de recyclage et de biodégradabilité.

Dans le domaine des biens de con­som­ma­tion, la mon­tée en puis­sance de la régle­men­ta­tion envi­ron­nemen­tale va de pair avec une demande socié­tale de plus en plus pres­sante. Mis en cause dans la pol­lu­tion des océans et pour leurs émis­sions de CO2, incar­nant le règne du jetable, les plas­tiques sont au cœur de la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale. Pour autant, leur pro­duc­tion mon­di­ale con­tin­uera à croître de 3,2% par an jusqu’en 2027. 

Dans les pays dévelop­pés, les fil­ières de recy­clage ont pris leur essor depuis longtemps et elles gag­nent en per­for­mance. L’arrivée des bio­plas­tiques – qui ne représen­tent encore que 2% du marché mon­di­al en valeur mais béné­fi­cient d’une forte crois­sance – offre d’autres pos­si­bil­ités mais apporte égale­ment de nou­veaux défis. 

Les entre­pris­es s’interrogent : recy­clage, bio-sourc­ing, biodégrad­abil­ité, par quel bout pren­dre ce sujet ? Com­ment s’orienter ? Pour faire leurs choix et déter­min­er leurs straté­gies, les indus­triels raison­nent en trois dimen­sions, en con­sid­érant les effets de bord et de seuil de rentabil­ité de cha­cune des solu­tions en ten­tant de coor­don­ner leurs efforts. Olivi­er Jan et Erwan Harscoët, ingénieurs et con­sul­tants chez Deloitte, les aident à s’orienter.

Il y a quelques années, les préoc­cu­pa­tions envi­ron­nemen­tales étaient du domaine de la RSE et les obser­va­teurs dénonçaient la ten­ta­tion du green­wash­ing. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Oliv­er Jan. Nous avons changé de monde. Dans le domaine des embal­lages, la régle­men­ta­tion se ren­force, mais pour de nom­breuses entre­pris­es c’est tout sim­ple­ment leur licence to oper­ate qui est en jeu. Le busi­ness peut « tomber » pour des raisons sociales ou envi­ron­nemen­tales aujourd’hui si les con­som­ma­teurs et par­ties prenantes esti­ment que l’activité de l’entreprise entraîne des con­séquences néfastes pour la planète ou ceux qui l’habitent. L’ensemble du secteur des biens de con­som­ma­tion est notam­ment touché par cette évo­lu­tion. Les grands don­neurs d’ordre sont sen­si­bles aux nou­velles attentes des con­som­ma­teurs et s’efforcent non seule­ment d’y répon­dre mais égale­ment de pren­dre de l’avance.

Cela sus­cite un engage­ment plus struc­turant et plus cen­tral dans les entre­pris­es et une mon­tée en com­pé­tence générale avec des dis­cus­sions très pointues. Et, avec l’urgence de faire des choix, on voit aus­si mon­ter la con­science de la com­plex­ité de ces déci­sions, qui requièrent une vision en mul­ti­ples dimensions.

Pour tous les acteurs avec lesquels nous avons dis­cuté dans ce dossier, cette com­plex­ité sem­ble un défi stratégique et intel­lectuel. Pou­vez-vous nous en pré­cis­er les termes ?

Erwan Harscoët. La ques­tion écologique se pose prin­ci­pale­ment dans les entre­pris­es sous la forme de leur « empreinte envi­ron­nemen­tale ». Or cela engage dif­férents prob­lèmes : dépen­dance au pét­role et émis­sions de CO2, bien sûr, mais aus­si impact sur la bio­di­ver­sité, con­som­ma­tion de ressources naturelles, pol­lu­tions divers­es. Toutes ces dimen­sions jouent entre elles et il arrive qu’elles entrent en con­tra­dic­tion. Par exem­ple, utilis­er des matéri­aux biosour­cés peut con­duire à la déforesta­tion ou lim­iter la disponi­bil­ité de ressources pour l’alimentation.

La prob­lé­ma­tique la plus impor­tante, pour les plas­tiques, c’est la fin de vie. Pre­mier élé­ment de com­plex­ité, la var­iété des polymères rend plus dif­fi­cile leur traite­ment en fin de vie.

Deux­ième élé­ment, il y a plusieurs grandes familles de solu­tions, et le « bio », au sens biosour­cé, n’est pas la plus impor­tante aujourd’hui. Notons d’emblée que pour la plu­part des appli­ca­tions, ce n’est pas le car­ac­tère biosour­cé qui va avoir une influ­ence sur la ges­tion en fin de vie. La biodégrad­abil­ité en revanche a son intérêt : c’est une réponse per­ti­nente dans cer­tains cas, par exem­ple pour des petits embal­lages flex­i­bles dif­fi­ciles à récupér­er et qui s’envolent facile­ment de par leur légèreté : le mieux est qu’en cas de mau­vaise ges­tion en fin de vie ils dis­parais­sent d’eux-mêmes.

La biodégrad­abil­ité appa­raît comme une solu­tion idéale si des élé­ments ont une forte chance de se retrou­ver en milieu marin, notam­ment quand on con­sid­ère les nom­breux pays où, sans même par­ler de recy­clage, la col­lecte des ordures est inex­is­tante ou informelle (le pick­ing de cer­tains détri­tus à la main dans des décharges sauvages). Les résines PHA (poly­hy­drox­yal­canoates), par exem­ples, se dégradent vite et bien dans l’eau de mer. Mais si l’on veut obtenir cette biodégrad­abil­ité, on perd for­cé­ment des qual­ités, notam­ment l’effet pro­tecteur du plas­tique. Cet arbi­trage entre dif­férents types de per­for­mances cou­plé aux aspects économiques est un troisième élé­ment de complexité.

Faut-il for­cé­ment arbi­tr­er, ne peut-on penser « out­side the box » ?

EH. On peut ten­ter de raison­ner dif­férem­ment en changeant de per­spec­tive. Ne met­tre sur le marché, par exem­ple, que des plas­tiques ayant suff­isam­ment de valeur pour que quelqu’un s’intéresse naturelle­ment à leur col­lecte et recy­clage – comme par exem­ple les bouteilles en PET transparent.

En s’appuyant sur l’exemple alle­mand, cer­tains acteurs pro­posent le retour de la con­signe, qui était après tout une forme anci­enne d’économie cir­cu­laire. Mais cer­taines par­ties prenantes de la fil­ière n’y sont pas favor­ables : en main­tenant les bouteilles plas­tiques dans les fil­ières de tri sélec­tif, on y incor­pore assez de valeur pour que la récupéra­tion de l’ensemble des embal­lages plas­tiques soit moins coûteuse.

OJ. Pour raison­ner juste, ici, il faut penser chaîne de valeur com­plète et pren­dre en compte l’ensemble des coûts ain­si que les effets d’échelle. La même logique s’applique dans la pro­duc­tion de bio­plas­tiques. Nous avons besoin de tech­nolo­gies pour dévelop­per de nou­veaux types de matéri­aux, mais nous devons aus­si nous inter­roger sur l’ensemble de la chaîne de valeur, des modes de pro­duc­tion des bio-ressources qui seront mobil­isées, qui devront obéir à des critères envi­ron­nemen­taux et soci­aux, jusqu’à la fin de vie de ces nou­veaux matéri­aux et la façon dont nous pour­rons les col­lecter et les val­oris­er. Cer­tains seg­ments de marché qui dis­posent de plus de moyens, ou qui subis­sent plus de pres­sion régle­men­taire, comme les embal­lages ali­men­taires, peu­vent entraîn­er d’autres secteurs.

Par exem­ple sur le recy­clage, les indus­triels de la bois­son ont un rôle par­ti­c­ulière­ment impor­tant. Cette indus­trie très vis­i­ble a été la pre­mière mise en cause sur le sujet de la pol­lu­tion marine et elle a en con­séquence investi en pre­mier dans le développe­ment de nou­velles tech­nolo­gies de recy­clage qui béné­ficieront à d’autres seg­ments d’emballages ou d’autres pro­duits. Ain­si, les prochaines tech­nolo­gies basées sur la dépolyméri­sa­tion per­me­t­tront égale­ment de recy­cler les bar­quettes en plas­tique util­isées par d’autres indus­triels ou les tex­tiles syn­thé­tiques, non recy­clables aujourd’hui.

Les acteurs ont-ils inté­gré ces logiques économiques par­fois complexes ?

OJ. C’est très iné­gal d’un secteur à l’autre. On note une vraie dif­férence de matu­rité entre les indus­triels, avec par­fois des formes de naïveté chez les nou­veaux arrivants. L’industrie tex­tile par exem­ple se mon­tre depuis peu beau­coup plus engagée ; les déc­la­ra­tions se sont mul­ti­pliées, soit sur le thème de la nat­u­ral­ité (des matières biosour­cées), soit sur celui de l’économie cir­cu­laire (des matières recy­clées). Mais ces entre­pris­es ne se ren­dent pas for­cé­ment compte que les indus­triels qui utilisent des embal­lages et notam­ment les bouteilles plas­tiques qui his­torique­ment étaient effec­tive­ment sou­vent recy­clées en pro­duits tex­tiles, vont désor­mais tout faire pour les récupér­er et utilis­er pour leurs pro­pres pro­duits la matière recy­clée. Le tex­tile va donc man­quer de matière recy­clée s’il veut chang­er d’échelle et devra dévelop­per ses pro­pres filières.

Ce qu’il faut égale­ment com­pren­dre, c’est que les dif­férentes logiques peu­vent se per­cuter. Celles des dif­férents secteurs indus­triels, comme on vient de le voir. Celles des dif­férentes logiques (recy­clage, biodégrad­abil­ité) aus­si. En tout état de cause elles ne se croisent pas tou­jours. Mais la ren­con­tre peut se faire, entre acteurs qui se con­nais­sent et se com­pren­nent. On ver­ra alors, par exem­ple, des matéri­aux bio-sour­cés dont la ges­tion en fin de vie a égale­ment été anticipée. Ou des indus­triels d’un même secteur qui font con­verg­er leurs pro­duits, en priv­ilé­giant la sim­plic­ité des com­posants, l’utilisation exclu­sive de matéri­aux recy­clables, etc. Cela a été observé dans le secteur des biens de con­som­ma­tion et devrait se pour­suiv­re dans d’autres indus­tries comme celle de l’automobile.

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