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Comment initier des partenariats commerciaux pour les start-ups de drones ?

KNUDSEN Mette
Mette Præst Knudsen
professeure de Gestion de l'Innovation au sein de la chaire "Technology for Change" (IP Paris) et directrice de recherche du Centre de gestion intégrative de l'innovation à l'Université du Danemark du Sud
HARBO FREDERIKSEN Marianne
Marianne Harbo Frederiksen
professeure associée en Gestion de l'Innovation et de la Technologie au Centre for Integrative Innovation Management de l'Université du Danemark du Sud
Thierry Rayna
Thierry Rayna
chercheur au laboratoire CNRS i³-CRG* et professeur de l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Il est difficile pour les investisseurs de trouver une concordance entre leurs besoins et les solutions proposées par les start-ups.
  • Le "Shark Tank" est un format où les start-ups pitchent leur solution à des investisseurs potentiels.
  • Le "Reverse Shark Tank" inverse le concept pour que les investisseurs exposent leurs besoins avant que les start-ups ne travaillent dessus.
  • Ce format a notamment été mis en place entre l'entreprise maritime Maersk et des start-ups de drones.
  • Le format du RST peut permettre un développement plus rapide et plus simple de solutions technologiques pour ouvrir des marchés naissants.

Les entre­pris­es bien établies sont depuis longtemps con­scientes du poten­tiel impor­tant d’in­no­va­tion des jeunes entre­pris­es. Pour­tant, il est con­nu qu’exploiter ce poten­tiel représente un défi impor­tant, en rai­son du manque général d’adéqua­tion entre la vision des start-ups et les besoins de leurs clients. Divers­es ten­ta­tives ont été faites pour sur­mon­ter ce prob­lème, les « Shark tanks » étant l’une d’en­tre elles. Cepen­dant, elles reposent sur le fait que les start-ups présen­tent leur « vision » à des entre­pris­es et des investis­seurs plus impor­tants, cha­cune espérant que leur vision cor­re­spon­dra à un besoin réel, ce qui revient sou­vent à tâton­ner dans le noir. 

Cet arti­cle relate une expéri­ence très intéres­sante testée au Cana­da et au Dane­mark, qui vise à sur­mon­ter ce prob­lème en « inver­sant » le proces­sus. Dans ce « Reverse Shark Tank », ce ne sont plus les start-ups qui présen­tent leur vision aux grandes entre­pris­es, mais les grandes entre­pris­es qui présen­tent leurs besoins aux start-ups, qui doivent ensuite fournir – poten­tielle­ment ensem­ble – une solu­tion basée sur leur tech­nolo­gie qui répond à ce besoin. 

Thier­ry Ray­na, Chaire Tech4Change

Pour que les start-ups sur­vivent, il est essen­tiel que leurs idées inno­vantes répon­dent aux besoins poten­tiels de leurs clients. Pour­tant, ces jeunes entre­pris­es ont sou­vent du mal à faire cor­re­spon­dre leurs solu­tions aux exi­gences des clients, ce qui retarde leur entrée sur le marché. D’une part, les start-ups trou­vent qu’il est non seule­ment dif­fi­cile, mais aus­si coû­teux d’identifier les oppor­tu­nités de marché pour leurs tech­nolo­gies inno­vantes et de créer des réseaux sur ce même marché tout en se con­cen­trant sur le per­fec­tion­nement de leur solu­tion ini­tiale. D’autre part, les clients poten­tiels peu­vent sou­vent man­quer de vis­i­bil­ité ou d’expérience pour iden­ti­fi­er les éventuels four­nisseurs d’offres inno­vantes qui sont (ou pour­raient devenir) capa­bles de sat­is­faire leurs besoins futurs. En d’autres ter­mes, il peut être dif­fi­cile pour les deux acteurs de trou­ver facile­ment une con­cor­dance. C’est notam­ment le cas dans les secteurs nais­sants qui peu­vent être très incer­tains — comme l’industrie des drones.

De temps à autre, il arrive que des organ­i­sa­tions dites « clus­ter », des étab­lisse­ments d’enseignement et autres invi­tent les entre­pris­es à des événe­ments de mise en rela­tion, comme les hackathons. Les par­tic­i­pants sont alors répar­tis en petits groupes et tra­vail­lent inten­sé­ment à la réso­lu­tion de défis spé­ci­fiques, du côté du client, et prédéfi­nis par des acteurs dans un délai court. Cepen­dant, dans le cas des tech­nolo­gies émer­gentes, comme les drones ou l’informatique quan­tique, il n’est pas for­cé­ment évi­dent de savoir à quoi peu­vent servir ces solu­tions inno­vantes dans des secteurs ou des entre­pris­es spé­ci­fiques. Il est alors néces­saire d’adopter une approche inno­vante pour met­tre en rela­tion les start-ups et les clients potentiels.

Mettre en relation les start-ups et les clients potentiels

Le « shark tank » est un con­cept bien con­nu que les sociétés utilisent pour décou­vrir des start-ups dans lesquelles inve­stir. S’il est aujourd’hui aus­si con­nu, c’est grâce aux émis­sions de télévi­sion pop­u­laires du même nom aux États-Unis, le Drag­on’s Den de la BBC au Roy­aume-Uni, Dans l’œil du drag­on en France et Løvens hule au Dane­mark (La Cav­erne du Lion). Pour faire court, ce for­mat offre quelques min­utes aux jeunes entre­pris­es pour pitch­er leur idée avant d’enchaîner avec une séance de ques­tions-répons­es au cours de laque­lle les investis­seurs poten­tiels tes­tent la start-up et déci­dent s’ils sont suff­isam­ment intéressés pour négoci­er un investisse­ment avec ses propriétaires.

Notre nou­veau con­cept de « Reverse Shark Tank » (RST) est un moyen d’établir des con­nex­ions sig­ni­fica­tives entre les start-ups et les clients poten­tiels en encour­ageant et en per­me­t­tant la co-créa­tion de solu­tions d’innovation. Le proces­sus se déroule à l’envers, car l’investisseur poten­tiel — générale­ment une grande entre­prise déjà sur le marché — présente d’abord les défis qu’il a iden­ti­fiés dans une par­tie de son activ­ité ou de sa chaîne d’approvisionnement. Ain­si, le « requin » est désor­mais celui qui pitch aux start-ups, qui présen­tent ensuite leurs tech­nolo­gies et la manière dont elles peu­vent aider à résoudre les défis présen­tés. En tant que tel, le RST s’articule autour de solu­tions tech­nologiques pour répon­dre aux défis réels aux­quels sont con­fron­tés les indus­triels. Une telle séance, où le but est de faire cor­re­spon­dre les défis des clients avec les offres des start-ups, peut con­duire à des réu­nions ultérieures et à la co-créa­tion de solutions.

La méthode innovante : « Reverse Shark Tank »

Nous avons testé le con­cept « Reverse Shark Tank » (RST) au Dane­mark et au Cana­da avec une série de start-ups dans le secteur des drones, en les présen­tant à plusieurs entre­pris­es plus établies. Les drones sont con­sid­érés comme une tech­nolo­gie émer­gente, et on estime que l’intérêt actuel de l’Union européenne pour cette tech­nolo­gie per­me­t­tra de créer 150 000 emplois et un revenu annuel de 15 mil­liards d’euros d’ici 20501. Cepen­dant, mal­gré l’énorme poten­tiel que cela présente en ter­mes d’opportunités com­mer­ciales, le secteur est prin­ci­pale­ment com­posé de jeunes entre­pris­es qui lut­tent pour faire leur place sur le marché. À l’aide du RST, nous avons demandé à de grandes entre­pris­es de pro­pos­er des défis aux jeunes entre­pris­es en présen­tant des prob­lèmes qui, selon elles, pour­raient être réso­lus grâce à la tech­nolo­gie des drones. Si le RST a per­mis d’amorcer un dia­logue ini­tial, elle a égale­ment poussé les par­tic­i­pants vers une dis­cus­sion plus appro­fondie qui, nous l’espérons, mèn­era à un parte­nar­i­at d’innovation fructueux.

En tant que mod­èle d’innovation, dans la pra­tique, les « Reverse Shark Tanks » se man­i­fes­tent sous la forme d’événements au cours desquels les grandes entre­pris­es invi­tent des petites entre­pris­es et des start-ups à venir sur leurs sites. Nous avons testé plusieurs for­mats pour analyser le plus effi­cace. Notre pre­mier événe­ment s’est déroulé chez Maer­sk — la plus grande com­pag­nie mar­itime du monde. Bien que l’entreprise ne soit pas encore prête à inve­stir, un cer­tain nom­bre d’utilisations sys­témiques poten­tielles des drones, per­ti­nents pour l’entreprise, ont été iden­ti­fiées, qui n’avaient pas été envis­agées aupar­a­vant. Ain­si, Maer­sk a obtenu une inspi­ra­tion pré­cieuse pour de futures oppor­tu­nités com­mer­ciales et a été con­va­in­cue qu’il s’agirait de petits pro­jets ponctuels.

Au Dane­mark, nous avons égale­ment réal­isé un RST avec Sund & Baelt, qui gère les deux plus grands ponts du Dane­mark. Des solu­tions de drone ont pu être sug­gérées pour l’inspection très détail­lée et l’évaluation des besoins de main­te­nance de l’infrastructure, comme la recherche de fis­sures dans le béton. Cela a con­duit à des accords pour une future col­lab­o­ra­tion entre l’entreprise et deux start-ups présentes à l’événement.

Enfin, d’autres entre­pris­es, comme la com­pag­nie mar­itime danoise DFDS, ont col­laboré avec la start-up de drones Upteko pour créer des solu­tions viables et répon­dre à des prob­lèmes stratégiques tels que la ges­tion des risques. Ils ont pu dévelop­per une tech­nolo­gie de drone pour faire face à des urgences, comme dans une sit­u­a­tion d’hommes à la mer. Pour ce faire, les drones utilisent des caméras infrarouges et un GPS pour rechercher dans les envi­rons les per­son­nes qui pour­raient se trou­ver dans l’eau. La base de ce parte­nar­i­at main­tenant bien établi a été l’un des pre­miers événe­ments de type « Reverse Shark Tank ».

Les avantages du « Reverse Shark Tank »

Du point de vue de la créa­tion d’un marché, le for­mat du RST peut per­me­t­tre un développe­ment plus rapi­de et plus sim­ple de solu­tions tech­nologiques pour ouvrir des marchés nais­sants. Ces accords de médi­a­tion peu­vent combler le fos­sé entre les jeunes entre­pris­es et les clients poten­tiels qui existe lorsque les deux ren­con­trent des dif­fi­cultés à s’identifier. Ain­si, le for­mat RST est un avan­tage pour les deux types d’acteurs, comme l’a récem­ment démon­tré la réus­site d’une série de RST avec des start-ups de la tech­nolo­gie des drones et des clients poten­tiels publics et privés au Danemark.

Lors de ces RST, les jeunes entre­pris­es ont pu s’entretenir indi­vidu­elle­ment avec des clients poten­tiels pour les aider à qual­i­fi­er et à dévelop­per leurs offres, ain­si qu’à ren­forcer leurs com­pé­tences en matière d’innovation en vue de dévelop­per leur activ­ité. Les jeunes entre­pris­es ont générale­ment prof­ité de cette oppor­tu­nité pour présen­ter leurs solu­tions et obtenir le retour d’information indis­pens­able de la part d’un poten­tiel futur client. Les start-up ont obtenu des infor­ma­tions pré­cieuses sur les besoins du marché pour lesquels elles devraient se développer. 

Il y a même eu des cas où plusieurs start-ups ont for­mé de nou­veaux parte­nar­i­ats entre elles pour mieux répon­dre aux besoins des clients potentiels. 

Elles ont égale­ment exprimé les pré­cieuses con­nais­sances qu’elles ont acquis­es en écoutant les con­ver­sa­tions des autres start-ups et la façon dont elles présen­taient leurs solu­tions. Il y a même eu des cas où plusieurs start-ups ont for­mé de nou­veaux parte­nar­i­ats entre elles pour mieux répon­dre aux besoins des clients poten­tiels. Ain­si, elles ont élar­gi leur pro­pre solu­tion à la recherche de la meilleure façon de répon­dre aux besoins de ces clients, en s’associant à des solu­tions com­plé­men­taires. Les avan­tages expéri­men­tés par les grandes entre­pris­es ont prin­ci­pale­ment clar­i­fié les cas d’utilisation poten­tiels et la façon de réduire les obsta­cles poten­tiels à l’utilisation.

En out­re, les clients poten­tiels ont obtenu une vue d’ensemble des oppor­tu­nités per­ti­nentes pour l’entreprise dans une jun­gle d’offres inno­vantes et ont eu la pos­si­bil­ité d’influencer le développe­ment de solu­tions adap­tées à leurs besoins. Le con­cept a très bien fonc­tion­né pour les entre­pris­es axées sur les drones, et son suc­cès dans d’autres secteurs sera exploré. Jusqu’à présent, ce sont des entre­pris­es de robo­t­ique et des réseaux de tech­nolo­gie quan­tique qui ont man­i­festé leur intérêt pour tester ce con­cept innovant.

1Entre­prise com­mune SESAR. (2016). Étude sur les per­spec­tives des drones européens : Unlock­ing the Val­ue pour l’Eu­rope.

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