03_voitureElectrique
π Planète π Énergie
Atténuation du changement climatique : les efforts portent-ils leurs fruits ?

Climat : les voitures électriques sont-elles en bonne voie ?

Anne De Bortoli, chercheuse en carboneutralité à Polytechnique Montréal et Jean-Philippe Hermine, directeur général de l’Institut mobilités en transition à l'Institut du développement durable et des relations internationales
Le 14 mai 2025 |
5 min. de lecture
Anne de bortoli
Anne De Bortoli
chercheuse en carboneutralité à Polytechnique Montréal
Photo JPH
Jean-Philippe Hermine
directeur général de l’Institut mobilités en transition à l'Institut du développement durable et des relations internationales
En bref
  • La part des véhicules électriques dans les ventes de voitures particulières a augmenté de manière exponentielle, passant de 1,6 % en 2018 à 10 % en 2022.
  • Les transports routiers représentent 12,1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, d’où la nécessité d’électrifier ce secteur pour lutter contre le réchauffement.
  • En 2023, les voitures électriques ont représenté 93 % des ventes de voitures en Norvège, 74 % en Islande, 60 % en Suède, 54 % en Finlande, 41 % en Belgique et 38 % en Chine.
  • Dans l’Union européenne, l’objectif d’interdire la vente de véhicules thermiques à partir de 2035 envoie un signal clair à l’industrie automobile.
  • L’électrification des voitures ne suffit pas : la « SUVisation » du parc automobile et la hausse de la demande en transports ont un impact environnemental important.

« En cinq ans, la part des véhicules élec­triques dans les ventes de voitures indi­vidu­elles a aug­men­té de façon expo­nen­tielle […] – de 1,6 % des ventes en 2018 à 10 % en 2022. » Cette bonne nou­velle soulevée par le rap­port Cli­mate Action Track­er 20231 est suff­isam­ment rare pour être soulignée ! Par­mi les 42 indi­ca­teurs d’une atténu­a­tion effi­cace du change­ment cli­ma­tique (le lim­i­tant à 1,5 °C), il est le seul à être sur la bonne voie : les voitures élec­triques devraient représen­ter de 75 à 95 % des ventes en 2030 et 100 % en 20352. « Cette éval­u­a­tion est jus­ti­fiée, le trans­port routi­er a com­mencé sa tran­si­tion plus tôt que d’autres secteurs », juge Jean-Philippe Her­mine. Pour Anne de Bor­toli, un bémol per­siste : « Cet indi­ca­teur seul ne démon­tre pas un trans­fert mas­sif des dis­tances par­cou­rues en véhicules ther­miques vers les véhicules élec­triques, car il pour­rait en même temps témoign­er de la hausse con­stante et soutenue de la demande de trans­port. »

Les trans­ports sont respon­s­ables d’en­v­i­ron 14 % des émis­sions mon­di­ales de gaz à effet de serre (GES), et leur con­tri­bu­tion est atten­due à la hausse à l’avenir. La majorité de ces émis­sions sont dues au trans­port routi­er – qui représente env­i­ron 12 % des émis­sions mon­di­ales. La trans­for­ma­tion du secteur est indis­pens­able pour atténuer le change­ment cli­ma­tique, et l’électrification joue un rôle clé3.  Sur l’ensemble de leur vie, les voitures élec­triques émet­tent moins de GES que les voitures ther­miques dans la majorité des pays4.

Com­ment le secteur de l’automobile a‑t-il réus­si à se plac­er sur la bonne voie ?  « Les pays dévelop­pés ont pour la plu­part des objec­tifs et une volon­té poli­tique rel­a­tive­ment ambitieuse autour des voitures élec­triques », estime Anne de Bor­toli. Jean-Philippe Her­mine com­plète : « La voiture élec­trique est une solu­tion tech­nologique déjà exis­tante et économique­ment intéres­sante pour décar­bon­er le secteur des trans­ports. Elle présente aus­si des co-béné­fices : amélio­ra­tion de la qual­ité de l’air et baisse de la dépen­dance aux fos­siles provenant de l’étranger. »  La plu­part de cette crois­sance rapi­de des ventes est portée par des pays lead­ers ayant pri­or­isé les ventes de véhicules élec­triques dans leur agen­da poli­tique, comme le souligne l’Emission Gap Report 20245 : par exem­ple en 2023, les voitures élec­triques représen­tent 93 % des ventes de voitures en Norvège, 74 % en Islande, 60 % en Suède, 54 % en Fin­lande, 41 % en Bel­gique et 38 % en Chine.

Crédits : Emis­sions Gap Report 20246

« Près des deux tiers des ventes mon­di­ales de voitures élec­triques ont lieu en Chine, pointe Anne de Bor­toli. Ce n’est pas un hasard : le pays développe des poli­tiques en faveur du véhicule élec­trique depuis les années 2000 – sub­ven­tions à la pro­duc­tion et à l’achat. » Ces poli­tiques ont per­mis au pays de dévelop­per un avan­tage con­cur­ren­tiel sur la fab­ri­ca­tion des véhicules élec­triques, mais aus­si de réduire la pol­lu­tion de l’air et les impor­ta­tions de pét­role. En Union européenne, l’objectif d’interdire la vente des véhicules ther­miques en 2035 envoie un sig­nal clair à l’industrie auto­mo­bile, et cer­tains pays ont même rac­cour­ci l’échéance à 2030 (Pays-Bas, Irlande, Slovénie et Suède7). Le Cli­mate Action Track­er pointe d’autres bons élèves en la matière : l’Indonésie, l’Inde et l’Afrique du Sud.

Dans les pays émer­gents, l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE) note que les parts de véhicules élec­triques sont encore rel­a­tive­ment faibles dans les flottes auto­mo­biles, mais plusieurs fac­teurs lais­sent présager une crois­sance sup­plé­men­taire8. « En Inde, le pro­gramme d’inci­ta­tions liées à la pro­duc­tion sou­tient la fab­ri­ca­tion nationale. Au Brésil, en Indonésie, en Malaisie et en Thaï­lande, des mod­èles moins chers, prin­ci­pale­ment de mar­ques chi­nois­es, favorisent l’adop­tion de ces véhicules. Au Mex­ique, les chaînes d’ap­pro­vi­sion­nement se dévelop­pent rapi­de­ment, stim­ulées par l’ac­cès aux sub­ven­tions de la loi améri­caine sur la réduc­tion de l’in­fla­tion », décrit l’AIE. Anne de Bor­toli com­plète : « Les scé­nar­ios de deman­des futures de trans­port mon­trent que les pays émer­gents ne représen­teraient qu’un tiers des émis­sions de gaz à effet de serre liées au trans­port. L’enjeu d’électrifier ces flottes auto­mo­biles est présent, mais moin­dre. »

Crédits : Agence inter­na­tionale de l’én­ergie9

En 2023, 18 % des voitures ven­dues dans le monde sont élec­triques. Cela représente un total de 14 mil­lions de ventes, dont 95 % en Chine, Europe et aux États-Unis. Observe-t-on déjà les retombées ? D’après l’organisation Trans­port et Envi­ron­nement (pro­mou­vant le trans­port pro­pre en Europe), l’électrification des voitures en UE devrait per­me­t­tre d’éviter le rejet de 20 mil­lions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère en 202510. Les trans­ports ont émis 1,05 mil­liard de tonnes de CO2 en UE en 2024. « Les émis­sions glob­ales du secteur du trans­port ne sont que peu impactées par l’électrification du parc auto­mo­bile, nous nous atten­dons à observ­er un impact un peu plus tard », analyse Anne de Bortoli.

Crédits : Cli­mate Watch (2024)11

En cause ? La hausse de la demande de trans­port, mais aus­si la « SUVi­sa­tion » des voitures par­ti­c­ulières. Les deux tiers des mod­èles élec­triques sur le marché sont des véhicules larges ou des SUV d’après l’AIE. « En 30 ans, les voitures ont gag­né en moyenne 500 kg. Le poids moyen d’une voiture aux États-Unis dépasse 1 900 kg, il est de 1 300 kg pour les marchés européens et chi­nois, indique Anne de Bor­toli. Or les émis­sions de GES au kilo­mètre par­cou­ru sont glob­ale­ment linéaires à la masse de la voiture. » Jean-Philippe Her­mine ajoute : « La part des SUV en Europe de l’Ouest est passée de 10 % en 2010 à 60 % aujourd’hui. C’est une dérive à laque­lle les pou­voirs publics n’ont pas été vig­i­lants. Ils cor­ri­gent désor­mais le tir, et l’Europe et notam­ment la France met­tent en place des out­ils comme le malus au poids et l’éco-score. » Notons que la décar­bon­a­tion du trans­port routi­er ne repose pas unique­ment sur l’électrification des voitures par­ti­c­ulières, mais égale­ment sur la diminu­tion des kilo­mètres par­cou­rus en voiture au prof­it des mobil­ités actives ou trans­ports en com­mun. La mise hors cir­cu­la­tion des voitures ther­miques doit égale­ment s’accélérer, d’un fac­teur 7 d’ici 204012.

Le con­texte géopoli­tique récent mar­que un frein à cette dynamique pos­i­tive. « Il y a tout d’abord une polar­i­sa­tion du débat, avec une instru­men­tal­i­sa­tion poli­tique de l’électrification qui la frag­ilise, com­mente Jean-Philippe Her­mine. S’ajoute à cela la crise en Ukraine, et le coût d’arrêt bru­tal aux USA suite à l’élection de Trump. » Anne de Bor­toli abonde : « Entre la sor­tie de l’Accord de Paris et des sig­naux faibles de désen­gage­ment des entre­pris­es, je crains un effet d’entraînement du gou­verne­ment Trump sur la scène inter­na­tionale. À tra­vers le monde, il existe égale­ment d’importants enjeux sur la disponi­bil­ité des métaux pour l’électrification, que ce soit sur la capac­ité de minage, les réserves et les ressources. » Selon le Cli­mate Action Track­er, les pro­jec­tions des ventes de voitures élec­triques sont sur la bonne voie, même si des pro­grès sont encore néces­saires. L’AIE note pour sa part que les prévi­sions de forte crois­sance stim­u­lent les investisse­ments. Plus de 20 grands con­struc­teurs auto­mo­biles, représen­tant plus de 90 % des ventes mon­di­ales de voitures en 2023, ont fixé des objec­tifs d’électrification : « Si l’on con­sid­ère les objec­tifs de tous les grands con­struc­teurs auto­mo­biles, plus de 40 mil­lions de voitures élec­triques pour­raient être ven­dues en 2030, ce qui cor­re­spondrait au niveau de déploiement prévu dans le cadre des poli­tiques actuelles. »

Crédits : Don­nées his­toriques de l’AIE (2023e) ; objec­tifs du CAT (2020b)

« L’exemple de l’électrification rapi­de des voitures illus­tre l’impact de la volon­té poli­tique sur la réus­site de la tran­si­tion, juge Anne de Bor­toli. Elle est déter­mi­nante pour pouss­er les indi­vidus à faire les bons choix. » Jean-Philippe Her­mine con­clut : « Le prin­ci­pal enseigne­ment est que la tran­si­tion est sys­témique, elle néces­site un engage­ment de tous les acteurs. Des out­ils de poli­tiques publiques posi­tifs sont néces­saires car la tran­si­tion a des con­séquences sociales et indus­trielles. Créons de la syn­ergie : prof­i­tons de la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale pour traiter les prob­lèmes struc­turels du secteur de la mobil­ité, comme la dépen­dance aux impor­ta­tions. »

Anaïs Marechal
1https://​cli​mate​ac​tion​track​er​.org/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​s​t​a​t​e​-​o​f​-​c​l​i​m​a​t​e​-​a​c​t​i​o​n​-​2023/
2https://​cli​mate​ac​tion​track​er​.org/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​d​e​c​a​r​b​o​n​i​s​i​n​g​-​t​r​a​n​s​p​o​r​t​-​l​i​g​h​t​-​d​u​t​y​-​v​e​h​i​cles/
3https://​www​.ipcc​.ch/​r​e​p​o​r​t​/​a​r​6​/​w​g​3​/​c​h​a​p​t​e​r​/​c​h​a​p​t​e​r-10/
4https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S136403212200380X?via%3Dihub
5Emis­sion gap report 2024
6https://​doi​.org/​1​0​.​5​9​1​1​7​/​2​0​.​5​0​0​.​1​1​8​2​2​/​46404
7https://climateactiontracker.org/documents/1275/CAT_2024-10–29_Briefing_ParisBenchmarks_TransportSector.pdf
8https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​g​l​o​b​a​l​-​e​v​-​o​u​t​l​o​o​k​-​2​0​2​4​/​e​x​e​c​u​t​i​v​e​-​s​u​mmary
9https://​www​.iea​.org/​r​e​p​o​r​t​s​/​g​l​o​b​a​l​-​e​v​-​o​u​t​l​o​o​k​-​2​0​2​4​/​t​r​e​n​d​s​-​i​n​-​e​l​e​c​t​r​i​c​-cars
10https://​www​.trans​porten​vi​ron​ment​.org/​t​e​-​f​r​a​n​c​e​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​l​e​s​-​v​o​i​t​u​r​e​s​-​e​l​e​c​t​r​i​q​u​e​s​-​p​e​r​m​e​t​t​r​o​n​t​-​d​e​v​i​t​e​r​-​l​e​m​i​s​s​i​o​n​-​d​e​-​2​0​-​m​i​l​l​i​o​n​s​-​d​e​-​t​o​n​n​e​s​-​d​e​-​c​o​2​-​e​n​-​e​u​r​o​p​e​-​c​e​t​t​e​-​annee
11https://​our​worldin​da​ta​.org/​c​o​2​-​a​n​d​-​g​r​e​e​n​h​o​u​s​e​-​g​a​s​-​e​m​i​s​sions
12https://​cli​mate​ac​tion​track​er​.org/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​d​e​c​a​r​b​o​n​i​s​i​n​g​-​t​r​a​n​s​p​o​r​t​-​l​i​g​h​t​-​d​u​t​y​-​v​e​h​i​cles/

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter