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CO2 : « Les solutions fondées sur la nature existent déjà et ne coûtent rien »

Vicent Jassey
Vincent Jassey
chercheur CNRS au Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement
En bref
  • Les solutions fondées sur la nature maximisent le stockage du CO2 dans la biomasse ou les sols, entre autres, en s’appuyant sur des processus biologiques naturels.
  • Limiter la déforestation et l’exploitation des sols permet, par exemple, aux sols de stocker des quantités importantes de carbone pour lutter contre le réchauffement climatique.
  • Les sols représentent 25 % du potentiel de stockage des solutions climatiques naturelles, qui s’élève au total à 23,8 milliards de tonnes de CO2e par an.
  • Dans l’hémisphère Nord, la transformation des tourbières en terres agricoles a relargué environ 40 milliards de tonnes de carbone dans l’atmosphère entre 1750 et 2010.
  • La restauration d’écosystèmes n’est pas immédiate, ce qui fait des solutions fondées sur la nature des stratégies de lutte à long terme contre le réchauffement climatique.

Face à l’urgence cli­ma­tique, les « solu­tions fondées sur la nature » représen­tent des solu­tions d’atténuation promet­teuses et rel­a­tive­ment sim­ples. Inven­té en 2008, ce terme désigne « des actions de pro­tec­tion, de ges­tion durable et de restau­ra­tion des écosys­tèmes naturels et mod­i­fiés de façon à relever les défis socié­taux de manière effi­cace et adap­ta­tive, afin d’assurer le bien-être de l’humanité et des béné­fices pour la bio­di­ver­sité1 ». Ces solu­tions visent à favoris­er le stock­age du car­bone dans les sols ou la bio­masse ou à éviter les émis­sions, en lim­i­tant la déforesta­tion par exem­ple. Quan­ti­fi­er leur poten­tiel fait encore l’objet de débat, des éval­u­a­tions esti­ment qu’il serait pos­si­ble d’éviter le rejet de plusieurs dizaines de mil­liards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année.

Quel est le rôle des solutions fondées sur la nature dans l’atténuation du changement climatique ?

Vin­cent Jassey. Les solu­tions fondées sur la nature max­imisent le stock­age du CO2 dans la bio­masse ou le sol, entre autres, en s’appuyant sur des proces­sus biologiques naturels. Ces écosys­tèmes se dégradent en rai­son des activ­ités humaines et per­dent leur poten­tiel de stock­age. Par exem­ple, les sols représen­tent un impor­tant stock de car­bone d’environ 2 500 mil­liards de tonnes, soit deux fois plus que dans l’atmosphère. Or, la déforesta­tion et l’exploitation des sols réduisent cette capac­ité. La dégra­da­tion d’un milieu riche en car­bone comme une tour­bière peut relarguer d’importantes quan­tités de car­bone, et leur restau­ra­tion peut pren­dre des années. Il est néces­saire de pro­téger et restau­r­er les écosys­tèmes, ce sont des puits de car­bone d’une grande impor­tance pour notre avenir.

Quel est l’intérêt de s’appuyer sur les solutions fondées sur la nature pour atténuer le changement climatique ?

Il est impor­tant de rap­pel­er qu’une approche glob­ale est néces­saire : con­juguer sobriété et préser­va­tion des écosys­tèmes est essen­tiel pour lut­ter con­tre le change­ment cli­ma­tique. Les solu­tions fondées sur la nature exis­tent déjà et ne néces­si­tent pas de nou­velles tech­nolo­gies. Cela ne coûte rien, il suf­fit de laiss­er faire la nature… C’est pour moi leur prin­ci­pal intérêt. Les sols représen­tent 25 % du poten­tiel de stock­age des solu­tions cli­ma­tiques naturelles, qui s’élève au total à 23,8 mil­liards de tonnes de CO2e par an [N.D.L.R. : les émis­sions anthropiques mon­di­ales s’élèvent à 53,8 mil­liards de tonnes CO2e en 20232].

De plus, préserv­er les écosys­tèmes pro­tège la bio­di­ver­sité. Les tour­bières par exem­ple abri­tent des espèces végé­tales, ani­males et des micro-organ­ismes uniques. Enfin, ces écosys­tèmes ont une valeur pat­ri­mo­ni­ale : les carottes de tourbe représen­tent des archives his­toriques uniques.

Les solutions basées sur la nature reposent sur trois leviers : protéger, restaurer et gérer durablement les écosystèmes. Quel est le plus important ?

Il faut agir sur les trois leviers. Dans le Jura, des tour­bières ont été réha­bil­itées avec suc­cès. En milieu urbain, nous tra­vail­lons actuelle­ment sur un pro­jet visant à max­imiser le stock­age de car­bone dans le sol d’une friche indus­trielle. Le sol est amendé en biochar et nous ajou­tons des plantes fix­a­tri­ces d’azote dans le but de stock­er du car­bone et de l’azote dans le sol. La restau­ra­tion est indis­pens­able mais peut pren­dre plusieurs années avant d’être efficace.

Dans l’hémisphère Nord, la trans­for­ma­tion des tour­bières en ter­res agri­coles a relargué env­i­ron 40 mil­liards de tonnes de car­bone dans l’atmosphère entre 1750 et 20103. Cela illus­tre l’importance de préserv­er ces écosys­tèmes pour lim­iter le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Enfin, les ges­tion­naires de réserves naturelles effectuent un impor­tant tra­vail de ges­tion durable qui per­met de con­cili­er la préser­va­tion de la bio­di­ver­sité avec leur aspect récréatif.

Un pan­el d’exemples qui fonc­tion­nent :


Un pro­jet porté par l’Université d’Oxford four­nit une carte mon­di­ale inter­ac­tive recen­sant les bonnes pra­tiques à met­tre en œuvre pour les solu­tions fondées sur la nature. 150 exem­ples sont doc­u­men­tés à tra­vers le monde, con­cer­nant majori­taire­ment des inter­ven­tions sur la pro­duc­tion ali­men­taire et la restau­ra­tion d’écosystèmes dégradés. Par­mi eux, 62 cas visant à atténuer le change­ment cli­ma­tique sont réper­toriés : pro­grammes nationaux de restau­ra­tion des man­groves, de refor­esta­tion ou encore pro­tec­tion des forêts.

Existe-t-il des solutions universelles possibles à implémenter à travers le monde ?

Non, car les déci­sions doivent tenir compte du con­texte socié­tal et géopoli­tique. Par exem­ple, au Cana­da, les acteurs locaux savent que les tour­bières stock­ent du car­bone. Mais elles recou­vrent aus­si des min­erais, ce qui pose un dilemme entre con­ser­va­tion et exploitation.

En France, la tourbe a longtemps été exploitée pour le chauffage, lais­sant un héritage cul­turel impor­tant dans cer­taines régions. Une restau­ra­tion effi­cace peut néan­moins se faire en préser­vant des traces de cet héritage. Mais de nom­breux exem­ples doc­u­men­tés exis­tent et démon­trent l’efficacité de méth­odes de restauration.

D’après Carbon Brief4, certains dénoncent l’utilisation de la nature en tant qu’outil ou rejettent le terme « solutions basées sur la nature » en raison de son imprécision, ouvrant la voie à des abus. Qu’en pensez-vous ?

Il ne faut pas oubli­er que ce sont des proces­sus naturels qui exis­tent déjà, nous ren­dent ser­vice depuis des mil­lé­naires, et que cela demande unique­ment de ne pas plus les dégrad­er. Il peut y avoir cer­taines dérives ou obsta­cles. Par exem­ple, cer­tains envis­agent d’ajouter des algues dans les sols pour max­imiser l’absorption du CO2. Cela doit être soigneuse­ment étudié pour éviter l’introduction d’espèces inva­sives par exem­ple. La restau­ra­tion d’écosystèmes demande d’importantes com­pé­tences nat­u­ral­istes : ce sont des approches coû­teuses en temps, la solu­tion n’est pas immé­di­ate. À court terme, la pri­or­ité reste la réduc­tion des émis­sions de CO2, les solu­tions fondées sur la nature sont en par­al­lèle une stratégie long-terme pour lut­ter con­tre le change­ment climatique.

Propos recueillis par Anaïs Marechal
1https://​www​.car​bon​brief​.org/​q​a​-​c​a​n​-​n​a​t​u​r​e​-​b​a​s​e​d​-​s​o​l​u​t​i​o​n​s​-​h​e​l​p​-​a​d​d​r​e​s​s​-​c​l​i​m​a​t​e​-​c​h​ange/
2https://​our​worldin​da​ta​.org/​c​o​2​-​a​n​d​-​g​r​e​e​n​h​o​u​s​e​-​g​a​s​-​e​m​i​s​sions
3https://​www​.sci​ence​.org/​d​o​i​/​1​0​.​1​1​2​6​/​s​c​i​a​d​v​.​a​b​f1332
4https://​www​.car​bon​brief​.org/​q​a​-​c​a​n​-​n​a​t​u​r​e​-​b​a​s​e​d​-​s​o​l​u​t​i​o​n​s​-​h​e​l​p​-​a​d​d​r​e​s​s​-​c​l​i​m​a​t​e​-​c​h​ange/

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