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Pourquoi la recherche sonore va faire grand bruit

Modéliser le bruit des éoliennes et des drones contre les nuisances

Olivier Doaré, professeur en mécanique des fluides à l’ENSTA Paris (IP Paris) et Benjamin Cotté, professeur associé à l’ENSTA Paris (IP Paris)
Le 6 mars 2024 |
4 min. de lecture
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Olivier Doaré
professeur en mécanique des fluides à l’ENSTA Paris (IP Paris)
Benjamin Cotté
Benjamin Cotté
professeur associé à l’ENSTA Paris (IP Paris)
En bref
  • Les sources de bruits aérodynamiques se multiplient et peuvent gêner les habitants et la biodiversité alentour.
  • Pour anticiper le bruit généré par ces sources (drones, parcs éoliens, etc.) les chercheurs tentent de caractériser et de modéliser le son qu’elles émettent.
  • La difficulté : l’intensité du son d’une ferme éolienne varie énormément selon de multiples paramètres (type de sol, fluctuations météorologiques, forme des pales…)
  • De nombreuses solutions techniques pour diminuer les décibels des engins sont à l’étude ou bien déjà abouties.
  • Parfois, limiter les nuisances sonores d’un dispositif va de pair avec l’optimisation de ses performances, telles que la vitesse d’un drone ou la production des éoliennes.

Explo­sion du nom­bre de drones de loisirs ou pro­fes­sion­nels, mul­ti­pli­ca­tion des parcs éoliens sur terre ou en mer : les sources de bruits aéro­dy­namique sont de plus en plus nom­breuses. Et celles-ci sont sus­cep­ti­bles de gên­er le grand pub­lic et la bio­di­ver­sité ani­male. Les régle­men­ta­tions se dur­cis­sent et imposent, générale­ment au niveau européen, des lim­ites sonores à ne pas dépass­er. Mais un niveau de bruit n’est pas si sim­ple à car­ac­téris­er, et la per­cep­tion de cer­tains sons est par­fois irrationnelle.

Modélisation du son par « maquette sonore »

Des chercheurs avaient, en 2017, demandé à une quar­an­taine de per­son­nes d’écouter 103 sons de drones volant à dif­férentes alti­tudes et les bruits émis par dif­férents véhicules à qua­tre roues. Les audi­teurs devaient ensuite les car­ac­téris­er de « pas du tout éner­vant » à « très éner­vant ». Résul­tat, à vol­ume sonore égal, le bruit des drones gêne l’oreille humaine, bien plus que celui des voitures ou des camions1. Sans doute parce que nous sommes habitués aux bruits de ces véhicules, avaient alors sug­géré les auteurs de l’expérience. Il en est de même pour le bruit des éoliennes. 

Com­par­a­tive­ment à de nom­breuses autres sources sonores dans l’environnement, d’origine humaine ou naturelle, les niveaux de bruit générés par un parc éolien sont mod­érés. Selon une étude du Céré­ma2, ce son dépasse rarement 40 dBA à l’extérieur du loge­ment d’un riverain. À titre de com­para­i­son, les trans­ports pas­sant devant le loge­ment d’un riverain peu­vent émet­tre plus de 70 dBA, un « point noir de bruit » à ne pas dépass­er selon la loi. Les parcs éoliens situés dans des envi­ron­nements essen­tielle­ment ruraux génèrent un bruit de fond local, rel­a­tive­ment bas, mais pou­vant favoris­er la per­cep­tion du bruit. De plus, le bruit éolien com­porte des bass­es fréquences (20–200 Hz, audi­bles) ou infra­sonores (inférieures à 20 Hz, générale­ment con­sid­érées comme inaudi­bles) qui se propa­gent sur des dis­tances plus impor­tantes que des sons de fréquences supérieures. « Si la gêne due au bruit aug­mente avec le niveau d’exposition sonore, son évo­lu­tion ne suit générale­ment pas de loi sim­ple et dépend de chaque source de bruit et de ses car­ac­téris­tiques (bruit per­ma­nent ou impul­sion­nel, grave ou aigu, etc.) », explique Olivi­er Doaré, pro­fesseur à l’Unité de Mécanique (UME) de l’ENSTA Paris.

Son lab­o­ra­toire con­duit plusieurs pro­jets de recherch­es sur la mod­éli­sa­tion de dif­férentes sources de bruits, dont l’un porte sur les éoli­ennes. « Pour ces dis­posi­tifs, le niveau en déci­bels n’est pas par­lant, car le bruit n’est pas con­stant. Il est car­ac­térisé par des fluc­tu­a­tions tem­porelles d’am­pli­tude poten­tielle­ment liées à la météo, à la forme des pales, etc. »

Le lab­o­ra­toire a tra­vail­lé sur une mod­éli­sa­tion des sources de bruit aéro­dy­namique des éoli­ennes et de la prop­a­ga­tion du son dans l’atmosphère. L’objectif : pou­voir simuler, avant l’installation d’un parc, le bruit ambiant qui en résul­tera. « L’idée est d’entendre la ferme avant de la con­stru­ire, comme si l’on élab­o­rait une maque­tte non pas visuelle, mais sonore », explique Ben­jamin Cot­té, enseignant-chercheur à l’Ensta et co-auteur de l’étude, avec David Mas­caren­has, aujourd’hui ingénieur chez Capgem­i­ni. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que dif­férents fac­teurs étaient nég­ligés dans la mesure du bruit des éoli­ennes, comme la hau­teur et la qual­ité du sol (plus ou moins absorbant) sur lequel elles sont instal­lées, ou encore l’effet de la direc­tion et des pro­fils de vent sur la prop­a­ga­tion du son. En dévelop­pant un out­il de syn­thèse du bruit éolien, par mod­éli­sa­tion physique et non par échan­til­lon­nage, ils peu­vent analyser la sen­si­bil­ité des sons. Et ce, selon de nom­breux fac­teurs : géométrie de la pale, pro­fil de vent ou de tem­péra­ture, taux de tur­bu­lence en amont. Cela per­met égale­ment de prédire la puis­sance du bruit pour chaque seg­ment de pale d’éolienne. Des syn­thès­es sonores sont ain­si réal­isées et présen­tées pour dif­férentes con­di­tions météorologiques.

Ces procédés visant à recréer un envi­ron­nement sonore (on par­le d’ « aural­i­sa­tion » du bruit éolien) peu­vent être util­isés dans des appli­ca­tions de réal­ité virtuelle. L’étude s’inscrit d’ailleurs dans le réseau européen Vir­tu­al Real­i­ty Audio for Cyber Envi­ron­ments (VRACE).

Des solutions techniques concrètes

En pra­tique, le défi des con­cep­teurs et des exploitants des parcs éoliens est de dimin­uer les bruits des engins, pour éviter les plaintes des riverains. Dif­férentes pistes sont à l’étude ou déjà abouties. « Il est pos­si­ble de jouer sur la vitesse de rota­tion ou sur l’angle de calage des pales, explique Ben­jamin Cot­té. Cer­taines équipes tra­vail­lent sur des out­ils intel­li­gents qui brident automa­tique­ment les éoli­ennes, pour min­imiser le bruit tout en opti­misant la pro­duc­tion. L’une des dernières avancées est de recourir à des « peignes » ou « ser­ra­tions » (mot anglais provenant du latin ‘ser­rati’, qui sig­ni­fie ‘den­telé’). Il s’agit de pièces allongées en « dents de scie », directe­ment inspirées des ailes de chou­ettes qui arrivent à vol­er dans un silence par­fait grâce à l’écartement de leurs plumes en bout d’aile qui lais­sent pass­er l’air, réduisant ain­si les tur­bu­lences ». Ces peignes se fix­ent sur le bord de fuite des pales [Ndlr : le côté amin­ci au bout de la pale qui a pour but de réduire la traînée aéro­dy­namique et d’améliorer les per­for­mances]. Elles per­me­t­tent d’abaisser le bruit aéro­dy­namique d’en moyenne 2 à 3 déci­bels, en réduisant les tur­bu­lences créées par le frot­te­ment de l’air en bout de pale.  

Con­cer­nant les drones, d’autres recherch­es sont en cours. Le pro­jet « Aéroa­cous­tique des sys­tèmes mul­ti-propulseurs pour les drones » (APRO), en parte­nar­i­at avec l’Unité d’Informatique et d’Ingénierie des Sys­tèmes (U2IS), vise à amélior­er la com­préhen­sion et la mod­éli­sa­tion de la généra­tion de bruit, dans les sys­tèmes mul­ti-propulseurs. L’objectif étant d’en lim­iter les nui­sances sonores. La doc­tor­ante Car­o­line Pas­cal cherche, elle, à automa­tis­er l’analyse des champs acous­tiques à l’aide de mesures robo­t­isées. Aujourd’hui, son tra­vail per­met la car­ac­téri­sa­tion fine du ray­on­nement des hélices, et per­me­t­tra d’optimiser la tra­jec­toire, la vitesse et l’accélération d’un drone, afin d’en lim­iter les nuisances. 

Marina Julienne

Références :

Mas­caren­has, D., Cot­té, B., & Doaré, O. (2023). Prop­a­ga­tion effects in the syn­the­sis of wind tur­bine aero­dy­nam­ic noise. Acta Acus­ti­ca, 7, 23.

Mas­caren­has, D., Cot­té, B., & Doaré, O. (2022). Syn­the­sis of wind tur­bine trail­ing edge noise in free field. JASA Express Let­ters, 2(3).

1https://​www​.new​sci​en​tist​.com/​a​r​t​i​c​l​e​/​2​1​4​0​9​4​4​-​b​u​z​z​-​o​f​-​d​r​o​n​e​s​-​i​s​-​m​o​r​e​-​a​n​n​o​y​i​n​g​-​t​h​a​n​-​a​n​y​-​o​t​h​e​r​-​k​i​n​d​-​o​f​-​v​e​h​icle/
2Cen­tre d’é­tudes et d’ex­per­tise sur les risques, la mobil­ité et l’amé­nage­ment https://www.mdpi.com/1660–4601/19/1/23

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