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Climat : l'élevage peut-il réduire ses émissions ?

Comment réduire les émissions de méthane dans l’élevage ?

Anaïs Marechal, journaliste scientifique
Le 6 avril 2022 |
5 min. de lecture
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Cécile Martin
directrice de recherche en sciences animales à l’Inrae Clermont-Auvergne-Rhône-Alpes
En bref
  • Selon la FAO, en 2010 l’élevage était responsable de l’émission de 8,1 milliards de tonnes (gT) équivalent CO2 principalement en raison de l’élevage des bovins (62 % des émissions du secteur).
  • Ce secteur dispose de leviers pour diminuer son empreinte : la fermentation entérique (44 % des émissions mondiales de l’élevage), l’alimentation animale (41 %) et la gestion des effluents (10 %).
  • Les émissions sont liées à notre consommation. Plus l’animal est gros, plus il ingère d’aliments et plus il produit de méthane. Une vache émet environ 600 L de CH par jour, contre 60 L pour un mouton.
  • Un additif alimentaire reconnu comme anti-méthanogène pourrait aider à la réduction de la 3-NOP. Les études montrent qu’il offre un potentiel de réduction de 20 à 40 % de la production de CH4.

Selon la FAO, en 2010 l’élevage était respon­s­able de l’émission de 8,1 mil­liards de tonnes (gT) équiv­a­lent CO2, prin­ci­pale­ment en rai­son de l’élevage des bovins (62 % des émis­sions du secteur) 1. Bien sûr, la réduc­tion de ces émis­sions passe en pre­mier lieu par les choix ali­men­taires des con­som­ma­teurs. Mais le secteur dis­pose aus­si de leviers pour dimin­uer son empreinte cli­ma­tique : à pro­duc­tion con­stante, le poten­tiel d’atténuation est estimé à 2,5 gT équiv­a­lent CO2, soit 33 %. Ces leviers reposent sur les trois prin­ci­paux postes d’émissions du secteur : la fer­men­ta­tion entérique (44 % des émis­sions mon­di­ales de l’élevage), l’alimentation ani­male (41 %) et la ges­tion des efflu­ents (10 %) selon la FAO. 

La fer­men­ta­tion entérique a lieu au sein du rumen des rumi­nants (bovins, ovins et caprins), lors de la trans­for­ma­tion des ali­ments en nutri­ments. Elle pro­duit du méthane (CH4), éruc­té par les ani­maux (des rots et non des pets, comme le veut une légende tenace). Il est le prin­ci­pal GES émis par l’élevage, en étant respon­s­able d’un tiers des émis­sions anthro­pogéniques de CH4 2. Réduire les émis­sions de méthane (toutes orig­ines con­fon­dues) est l’une des pri­or­ités de l’UE, qui a adop­té en octo­bre 2020 une stratégie méthane s’intégrant dans les objec­tifs mon­di­aux d’une réduc­tion de 50 % d’ici 2050. 

Les émis­sions de méthane issues de l’élevage sont rel­a­tive­ment sta­bles en Europe, et faibles en com­para­i­son à celles de l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique. Dans ces régions, elles aug­mentent en rai­son de la hausse démo­graphique et donc de la taille du chep­tel. La Chine et l’Inde sont les plus gros émetteurs.

Les leviers pour réduire les émissions

Il faut com­pren­dre que les émis­sions sont directe­ment liées à notre con­som­ma­tion ali­men­taire. Les bovins (lait ou viande) sont les plus émet­teurs : plus l’animal est gros, plus il ingère d’aliments et plus il pro­duit de méthane. Une vache émet env­i­ron 600 L de CH4 par jour, con­tre 60 L pour un mou­ton. Ces émis­sions sus­ci­tent l’attention de la fil­ière : leur réduc­tion présente un intérêt nutri­tion­nel pour l’animal, et envi­ron­nemen­tal pour l’Homme.

Pour réduire la pro­duc­tion de méthane des rumi­nants, il existe dif­férents leviers, en pre­mier lieu celui de la ration ali­men­taire. Dans le rumen, cer­tains micro-organ­ismes dégradent les glu­cides (cel­lu­lose, ami­don, etc.). Cette réac­tion provoque une pro­duc­tion de gaz dont l’hydrogène, lui-même con­ver­ti en méthane par d’autres micro-organ­ismes. Pour réduire la pro­duc­tion de CH4, on peut donc dimin­uer la pro­duc­tion d’hydrogène, ou l’utiliser autrement que pour for­mer du CH4.

Cer­tains leviers sont bien con­nus et util­isés par les éleveurs. En aug­men­tant la quan­tité d’amidon dans la ration (plus de céréales), sans dépass­er un cer­tain seuil, on favorise cer­tains micro-organ­ismes qui pro­duisent peu d’hydrogène. À pro­duc­tion con­stante, les émis­sions de CH4 peu­vent être réduites de 10 à 20 %. L’augmentation des lipi­des dans la ration (grâce au tour­nesol, colza, lin, etc.) aug­mente les per­for­mances ani­males et offre le même poten­tiel de réduc­tion du CH4. Enfin, plus les four­rages sont digestibles, moins l’animal pro­duit de CH4, même si ce poten­tiel de réduc­tion est plus faible. Cer­taines espèces rich­es en tan­nins, comme la chicorée, le plan­tain ou le sain­foin, peu­vent aus­si être intro­duites dans la prairie tem­po­raire : elles dimin­u­ent les émis­sions de CH4 mais aus­si les rejets azotés 3.

Ces leviers d’atténuation sont cepen­dant à con­sid­ér­er à plus large échelle. Si la con­som­ma­tion de céréales dimin­ue les émis­sions de CH4 de l’animal, les sur­faces cul­tivées per­me­t­tent en revanche de stock­er moins de car­bone que les prairies per­ma­nentes. Et ces cul­tures sont émet­tri­ces de GES lors de l’acheminement. La com­péti­tion entre ali­men­ta­tion humaine et ani­male est égale­ment à considérer.

Certains additifs peuvent-ils renforcer ces effets ?

Un pre­mier addi­tif ali­men­taire syn­thé­tique recon­nu comme anti-méthanogène est autorisé depuis févri­er 2022 en Union européenne, le 3‑NOP. Il agit sur l’une des enzymes respon­s­ables de la méthanogenèse dans le rumen : les études mon­trent qu’il offre un poten­tiel de réduc­tion de 20 à 40 % de la pro­duc­tion de CH4. Son innocuité sur l’animal et l’Homme a été démon­trée, et il ne mod­i­fie pas la pro­duc­tiv­ité. Mais ce pro­duit a un coût, et n’offre aucun avan­tage direct pour l’éleveur : il est essen­tiel que les efforts des éleveurs réduisant leurs émis­sions de GES soient récompensés.

Les nitrates, qui béné­fi­cient du statut d’ingrédient ali­men­taire, dimin­u­ent la pro­duc­tion de CH4 en cap­tant l’hydrogène dans le rumen et en le trans­for­mant en nitrites. Ils sont effi­caces pour réduire le CH4, mais com­pliqués à utilis­er et leur impact envi­ron­nemen­tal est non nég­lige­able. De nom­breux autres addi­tifs d’origine naturels sont à l’étude : nous tra­vail­lons par exem­ple avec un pro­duc­teur de plantes sauvages auvergnates et testons actuelle­ment cer­taines d’entre elles in vivo.

La génétique ou la biotechnologie pour réduire les émissions

La sélec­tion géné­tique des ani­maux est très dévelop­pée pour la fil­ière bovine (surtout lait) et com­mence pour les ovins. Pour un même régime ali­men­taire, cer­tains ani­maux émet­tent moins de CH4 que d’autres. La dif­férence est faible, moins de 10 %, mais cela est non nég­lige­able à l’échelle glob­ale. Il est désor­mais établi que ce car­ac­tère est répétable avec dif­férents régimes ali­men­taires, et héri­ta­ble : cela per­met d’envisager des effets à long terme de la sélec­tion géné­tique. Mais il ne s’agit pas de con­sid­ér­er unique­ment le poten­tiel méthanogène de l’animal : aujourd’hui, la recherche s’intéresse à un ensem­ble de car­ac­tères, comme la pro­duc­tion, la san­té… Il faut trou­ver le meilleur com­pro­mis pour sélec­tion­ner les lignées.

Con­cer­nant les biotech­nolo­gies, plusieurs pistes sont à l’étude pour manip­uler directe­ment l’écosystème micro­bi­en des bovins. La Nou­velle-Zélande est à la pointe con­cer­nant la créa­tion d’un vac­cin con­tre les micro-organ­ismes méthanogènes. Un pre­mier essai a mis en évi­dence un poten­tiel de diminu­tion de la méthanogenèse, mais à ce jour il n’a pas été reproduit.

Une étude 4sug­gère égale­ment qu’il est pos­si­ble de manip­uler le micro­biote à l’aide de l’additif ali­men­taire 3‑NOP : chez le jeune bovin sup­plé­men­té durant quelques semaines, un effet per­sis­tant a été mesuré jusqu’à un an après l’arrêt de la sup­plé­men­ta­tion. Ces résul­tats deman­dent eux aus­si à être repro­duits et suiv­is à plus long terme.

Les priorités pour accélérer l’atténuation des émissions 

L’un des axes étudiés est de com­bin­er les out­ils : nous sup­posons que les effets sont addi­tifs. Nous l’avons démon­tré avec l’utilisation com­binée de lins et de nitrates, qui ren­force la diminu­tion des émis­sions de CH4 en jouant à la fois sur la pro­duc­tion et l’utilisation de l’hydrogène.

Il est aus­si très impor­tant d’améliorer la pro­duc­tiv­ité, qui béné­fi­cie au cli­mat et aux éleveurs. De nom­breux leviers exis­tent au niveau de la con­duite du trou­peau : dimin­uer l’âge du pre­mier vêlage, amélior­er la san­té et réduire le taux de renou­velle­ment des ani­maux pour dimin­uer la péri­ode impro­duc­tive. Le change­ment de ration ali­men­taire, béné­fique pour les émis­sions de CH4, aug­mente aus­si la pro­duc­tiv­ité jusqu’à un cer­tain point. Amélior­er la pro­duc­tiv­ité est une stratégie intéres­sante pour les pays forte­ment émet­teurs où les ani­maux sont sou­vent peu producteurs.

1 Selon le Glob­al Live­stock Envi­ron­men­tal Assess­ment Mod­el de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (site con­sulté le 15 mars 2022 : https://​www​.fao​.org/​g​l​e​a​m​/​r​e​s​u​l​t​s/fr/)
2 Jack­son, R.B., et al., 2020, Increas­ing anthro­pogenic methane emis­sions arise equal­ly from agri­cul­tur­al and fos­sil fuel sources, Env­i­ron. Res. Lett. 15 071002
3 Mar­tin, C., et al. 2021. The use of plant bioac­tive com­pounds to reduce green­house gas emis­sions from farmed rumi­nants. http://​dx​.doi​.org/​1​0​.​1​9​1​0​3​/​A​S​.​2​0​2​0​.​0​0​77.13
4 Meale, S. J., et al., 2021, Ear­ly life dietary inter­ven­tion in dairy calves results in a long-term reduc­tion in methane emis­sions, Sci­en­tif­ic Reports, 11:3003

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