Epigenetics
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Épigénétique : comment nos expériences s’inscrivent sur notre ADN

L’épigénétique établit-elle un lien entre le comportement et l’hérédité ?

Agnès Vernet, journaliste scientifique
Le 27 janvier 2022 |
5 min. de lecture
Jonathan Weitzman
Jonathan Weitzman
professeur de génétique à l'Université de Paris
En bref
  • Conrad Waddington propose pour la première fois le terme d’épigénétique en 1942 pour décrire la relation entre la séquence des gènes et la manières dont ils s’expriment.
  • Il existe deux grands processus moléculaires dans l’épigénétique : les marques, qui sont les modifications chimiques de certains ensemble atomique de l’ADN et l’organisation de l’ADN.
  • Les histones, protéines associées à l’ADN, permettent de compacter 10 000 fois la molécule d’ADN.
  • Le stress, l’exposition aux toxiques ou un régime alimentaire peuvent impacter les marques épigénétiques de la descendance.
  • La logique épigénétique montre que l’éducation et les changements de comportements peuvent impacter le futur des individus.

On pro­jette beau­coup d’espoir dans ce domaine de la géné­tique. Voilà la sci­ence qui pour­rait établir le lien entre le social et la biolo­gie, le com­porte­ment et l’hérédité ? Si l’épigénétique est une dis­ci­pline ent­hou­si­as­mante, elle impose aus­si la prudence.

Bien que l’épigénétique soit une sci­ence en vogue, le mot n’est pas nou­veau. En 1942, Con­rad Wadding­ton le pro­pose pour décrire la sci­ence des rela­tions entre géno­type et phéno­type, c’est-à-dire entre la séquence des gènes et la manière dont ils s’expriment dans l’organisme. Pour le sci­en­tifique et philosophe bri­tan­nique, ce con­cept con­cerne avant tout le développe­ment embry­on­naire. La pour­suite de ses travaux va ouvrir grand le champ de cette science. 

L’épigéné­tique est désor­mais définie comme la trans­mis­sion de car­ac­tères sta­bles et héri­ta­bles qui n’impliquent pas de change­ments de la séquence ADN. Elle regroupe tous les sys­tèmes de régu­la­tion de l’expression des gènes. 

Deux mécan­ismes molécu­laires de l’épigénétique sou­ti­en­nent le proces­sus : les mar­ques ; les mod­i­fi­ca­tions chim­iques de l’ADN qui éti­quet­tent les gènes comme act­ifs ou inac­t­ifs ; et l’organisation du génome, c’est-à-dire la manière dont le brin d’ADN s’enroule sur lui-même afin de per­me­t­tre à la machiner­ie qui lit la séquence d’y accéder ou non. 

Du métabolisme à la génétique

Pour com­pren­dre le phénomène, on peut étudi­er deux souris issues de la même lignée : l’une est brune, l’autre est jaune. Mais cette dif­férence n’est pas due à une dif­férence de séquence au sein d’un gène mais à la méthy­la­tion de celui-ci. Lorsque le gène agouti n’est pas ou peu méthylé dans les mélanocytes (des cel­lules de la peau), il est exprimé et les souris sont jaunes. Si le gène agouti est méthylé, il est con­sid­éré comme éteint par la machiner­ie molécu­laire, ne sera pas exprimé et les souris seront brunes. Encore plus fort : lorsqu’on sup­plé­mente les souris ges­tantes avec de l’acide folique, la pro­por­tion de souris jaunes dans les portées est réduite. On sait aujourd’hui que l’acide folique est essen­tiel pour la syn­thèse d’une molécule don­neuse de méthy­la­tion. L’épigénétique est ain­si influ­encée par des voies métaboliques et donc peut réa­gir à des sig­naux externes, comme un change­ment par­ti­c­uli­er de régime alimentaire. 

Le métab­o­lisme influ­ence aus­si l’organisation du génome via les his­tones. Ces dernières sont des pro­téines asso­ciées à l’ADN qui organ­isent l’enroulement du brin. Elles com­pactent 10 000 fois la molécule d’ADN et autorisent son con­fine­ment dans le noy­au de la cel­lule. Elles régu­lent égale­ment l’expression du génome : les régions empa­que­tées ne peu­vent pas être lues et les gènes con­cernés sont con­sid­érés comme éteints. Pour se lier à l’ADN, chargé néga­tive­ment, les his­tones sont chargées pos­i­tive­ment. Une mod­i­fi­ca­tion chim­ique – l’acétylation – mod­i­fie leur charge glob­ale et réduit leur affinité avec l’ADN. Une molécule pro­duite par la dégra­da­tion des sucres et des lipi­des est néces­saire à cette réac­tion, étab­lis­sant un autre lien molécu­laire entre le métab­o­lisme et l’expression des gènes. 

Suf­fit-il alors de mod­i­fi­er son régime ali­men­taire pour chang­er le pro­fil d’expression de son génome ? Non, pour la plu­part des gens, les effets de tels change­ments sont mineurs sur la régu­la­tion des gènes. Mais l’embryon est par­ti­c­ulière­ment sen­si­ble aux change­ments épigéné­tiques et un sig­nal métabolique peut avoir des effets nota­bles au cours du développement.

Beaucoup de questions ouvertes

Des expéri­ences chez les souris ges­tantes mon­trent que des fac­teurs envi­ron­nemen­taux, comme le stress, l’exposition aux com­posés tox­iques ou un régime ali­men­taire peu­vent impacter les mar­ques épigéné­tiques de la descen­dance. Est-ce aus­si le cas dans l’espèce humaine ? Il n’est pas pos­si­ble d’enfermer des per­son­nes afin de con­trôler leur envi­ron­nement. Des chercheurs ont donc pro­posé d’étudier l’impact dans une pop­u­la­tion d’un stress majeur. En retrou­vant des per­son­nes ayant vécu la grande famine sur­v­enue en 1944 aux Pays Bas, des chercheurs de l’Université de Lei­den ont iden­ti­fié une méthy­la­tion par­ti­c­ulière chez leurs enfants. Cer­tains ont alors pen­sé détenir la preuve de l’hérédité épigéné­tique humaine. Mais, cette obser­va­tion ne con­stitue pas un lien de causal­ité et la démon­stra­tion d’un mécan­isme de pas­sage trans­généra­tionnel des mar­ques fait encore défaut chez l’humain. En effet, les mar­ques épigéné­tiques sont repro­gram­mées pen­dant la mat­u­ra­tion des gamètes. Elles ne sem­blent donc pas être trans­mis­si­bles à la descendance. 

Une autre idée fausse­ment con­sid­érée comme démon­trée est le lien entre biolo­gie et com­porte­ment. Dans ce champ, les chercheurs étu­di­ent volon­tiers les vrais jumeaux. Voici deux indi­vidus au génome iden­tique ou presque, pour lesquels on attribue sou­vent les dif­férences observées au fil de l’âge à l’influence de l’environnement, du mode de vie et de l’expérience au sens large. Un mod­èle par­fait pour l’épigénétique ? Non. Il est dif­fi­cile de dis­tinguer les faits biologiques des com­porte­ments. Par exem­ple, si un enfant a souf­fert d’abus dans son enfance et que ses descen­dants en sont aus­si vic­times. Est-ce un mécan­isme molécu­laire ou cul­turel qu’il faut évo­quer ? Des dis­ci­plines à la fron­tière entre les sci­ences sociales et la biolo­gie s’emparent de ces ques­tions, en tirant par­fois des con­clu­sions hâtives. 

Des recherches en cours

Enfin, l’engouement autour ce champ de recherche s’explique par le car­ac­tère réversible des mar­ques épigéné­tiques. Alors que les thérapies géniques se heur­tent aux dif­fi­cultés de mod­i­fi­er le génome, l’idée que des traite­ments, dits épidrogues, puis­sent mod­i­fi­er un phéno­type pathologique en agis­sant sur les mar­ques épigéné­tiques séduit. C’est par­ti­c­ulière­ment vis­i­ble pour le can­cer, où l’association de change­ments géné­tiques et épigéné­tiques mod­i­fie l’identité de la cel­lule et sous-tend le com­porte­ment tumoral. 

Des sociétés phar­ma­ceu­tiques dévelop­pent ain­si des inhib­i­teurs afin de mod­i­fi­er les mar­ques épigéné­tiques. Mais il est dif­fi­cile de cibler les mar­ques respon­s­ables des phénomènes pathologiques sans altér­er les mar­ques saines. Pathologiques ou non, elles sont de même nature chim­ique. Des tech­niques de biolo­gie molécu­laire ten­tent de résoudre cette ques­tion sans avoir encore établi de preuves cliniques. 

Toutes ces ques­tions mon­trent la vital­ité de la recherche en épigéné­tique. Elles dessi­nent aus­si une évo­lu­tion de la pos­ture biologique, où la plas­tic­ité rem­place une cer­taine idée du déter­min­isme. On peut alors envis­ager les change­ments avec opti­misme, en étu­di­ant com­ment l’éducation et les évo­lu­tions de com­porte­ments peu­vent impacter pos­i­tive­ment l’avenir des individus. 

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