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Tumeurs : mieux comprendre, mieux cibler, mieux soigner

Les immunothérapies contre le cancer : comment ça marche ?

Agnès Vernet, journaliste scientifique
Le 21 octobre 2021 |
4 min. de lecture
Julien Husson
Julien Husson
professeur à l’École polytechnique au Laboratoire d’hydrodynamique de l’X (LadHyX*)
En bref
  • Les tumeurs affaiblissent la réponse immunitaire des patients et les immunothérapies – des médicaments qui « réveillent » le système immunitaire – se sont avérées efficaces.
  • Bien que ces traitements se soient révélés efficaces sur le plan clinique, leur mécanisme d'action exact n'est pas entièrement compris.
  • C'est pourquoi le biophysicien Julien Husson tente de comprendre comment les immunothérapies bloquent l'effet immunosuppresseur des tumeurs, en utilisant l'analyse au microscope électronique.
  • Dans ses travaux futurs, il espère utiliser les résultats obtenus pour mieux comprendre le mécanisme de fonctionnement des lymphocytes T (cellules immunitaires).

Si un can­cer arrive à se dévelop­per, c’est grâce à sa capac­ité de croître vite mais aus­si parce qu’il manip­ule le sys­tème immu­ni­taire : les tumeurs savent affaib­lir la réponse immu­ni­taire pour éviter son attaque. C’est pourquoi les médica­ments qui ciblent et « réveil­lent » le sys­tème immu­ni­taire – des immunothérapies, comme les anti-CTLA4, les anti-PD1 et les anti-PDL1, par exem­ple – se sont rapi­de­ment fait une place dans le traite­ment du can­cer 1. Le résul­tat : davan­tage de rémis­sions durables. Et si les traite­ments con­tre les can­cers ont beau­coup pro­gressé grâce aux avancées en biolo­gie, l’inverse est égale­ment vrai. La recherche fon­da­men­tale se nour­rit aus­si de la recherche clin­ique sur les immunothérapies. 

Le réveil du système immunitaire

Les travaux du bio­physi­cien Julien Hus­son, chercheur au Lab­o­ra­toire d’hy­dro­dy­namique (Lad­HyX) de l’École poly­tech­nique (CNRS-Insti­tut Poly­tech­nique de Paris), l’illustrent bien. « Mon but est de mod­élis­er la manière dont la cel­lule tumorale et les cel­lules du sys­tème immu­ni­taire inter­agis­sent », dit-il. Il cherche à com­pren­dre un aspect à la fois fon­da­men­tal et cru­cial de l’immunothérapie. Celui du réveil des lym­pho­cytes T, des cel­lules du sys­tème immu­ni­taire dont l’action est inhibée par le can­cer. Autrement dit, il essaie de com­pren­dre plus pré­cisé­ment « com­ment les immunothérapies blo­quent l’effet immuno­sup­presseur des tumeurs et réac­tivent les lym­pho­cytes T en util­isant des micro­billes recou­vertes d’anticorps qui miment des cel­lules tumorales et faire réa­gir les lym­pho­cytes T ».

On sait que la clé de cette inter­ac­tion est une pro­téine appelée PD-L1 exprimée à la sur­face des cel­lules tumorales. Elle se lie aux lym­pho­cytes T qui s’approchent de la tumeur. Lorsqu’elle entre en con­tact avec le récep­teur PD‑1 de ces cel­lules immu­ni­taires, elle inhibe leur activ­ité, comme un inter­rup­teur. Les cel­lules T sont éteintes, inca­pables de diriger leurs armes vers la cel­lule anor­male. 
Les immunothérapies con­sis­tent à blo­quer cette inhi­bi­tion. On admin­istre aux patients des anti­corps antiPD-L1. Elles se lient spé­ci­fique­ment à la pro­téine PD-L1 de la cel­lule tumorale et l’empêchent ain­si d’éteindre les lym­pho­cytes T. L’inhibition de l’inhibition réveille le sys­tème immu­ni­taire. Mais pour com­pren­dre cela, il faut com­mencer par com­pren­dre en détail com­ment la pro­téine PD-L1, à la sur­face de la tumeur, agit sur le lym­pho­cyte T.

Observer les cellules de près

Julien Hus­son a donc col­lé des pro­téines PD-L1 sur des micro­billes de la taille d’une cel­lule (quelques micromètres ou mil­lièmes de mil­limètres). Elles con­stituent ain­si des mod­èles sim­pli­fiés des cel­lules tumorales. Puis, il filme la réac­tion d’une cel­lule immu­ni­taire à l’aide d’un micro­scope optique. « On a décou­vert que lorsque les lym­pho­cytes T entrent en con­tact avec une bille qui présente des anti­corps acti­va­teurs, il pro­duit d’énormes pro­tru­sions. » C’est un véri­ta­ble bais­er du lym­pho­cyte dont Julien Hus­son est le pre­mier à décrire les pro­priétés mécaniques (vous pou­vez regarder la vidéo ci-dessous, ou ici) avec ses col­lègues du Cen­tre de recherche de l’Institut Curie.

« Mais lorsque les billes présen­tent des pro­téines PD-L1 à leur sur­face, en plus des anti­corps qui activent le lym­pho­cyte T, les pro­tru­sions per­dent de leur rigid­ité en com­para­i­son avec un con­tact sans PD-L1», pour­suit le spé­cial­iste. Il observe des change­ments dans la for­ma­tion de ces excrois­sances cel­lu­laires, leur struc­ture appa­raît moins mobile au micro­scope. La ren­con­tre avec les anti­corps acti­va­teurs pro­duit un remod­e­lage du cytosquelette – l’ossature pro­téique du lym­pho­cyte. Cette mod­i­fi­ca­tion pro­fonde de la cel­lule immu­ni­taire lui per­met de mobilis­er son sys­tème cyto­tox­ique pour atta­quer la cel­lule anor­male. Mais au con­tact de PD-L1, le remod­e­lage sem­ble dif­férent et il fait l’hypothèse que c’est une des caus­es du blocage de l’activation immunitaire.

Le bais­er des lym­pho­cytes ©Julien Hus­son / LadHyx

Pour con­firmer cette hypothèse, Julien Hus­son et Olga Marko­va, chercheuse dans son équipe, s’apprêtent à repro­duire ces expéri­ences en rem­plaçant les micro­billes par de véri­ta­bles cel­lules de patients, grâce à une col­lab­o­ra­tion avec les équipes de Claire Hivroz et d’Emanuela Romano du Cen­tre de recherche de l’Institut Curie dans le cadre d’un pro­jet soutenu par la Fon­da­tion Bet­ten­court Schueller.

Ce tra­vail pour­rait aider les médecins à com­pren­dre pourquoi cer­tains patients ne répon­dent pas à l’immunothérapie. « Cette expéri­ence implique des manip­u­la­tions physiques extrême­ment fines et répond à une prob­lé­ma­tique médi­cale », explique le chercheur de l’Institut Poly­tech­nique de Paris. Elle s’inscrit dans une démarche de plus en plus pluridis­ci­plinaire nour­rie d’aller-retours entre la recherche clin­ique et la recherche fon­da­men­tale.  « C’est une longue chaîne. Notre tra­vail pour­ra peut-être servir dans quelques années à amélior­er les straté­gies thérapeu­tiques pro­posées aux patients », pré­cise Julien Hus­son. Dans un pre­mier temps, il éclaire le fonc­tion­nement des lym­pho­cytes T.

Pour en savoir plus

Cell, 2016;165(1):100–110. Basu R*, Whit­lock BM*, Hus­son J*, Le Floc’h A, Jin W, Doti­wala F, Gian­none G, Hivroz C, Lieber­man J, Kam LC, and Huse M. (* co-first authors). Cyto­tox­ic T cells use mechan­i­cal force to poten­ti­ate tar­get cell killing.

Mol­e­c­u­lar Biol­o­gy of the Cell, 2017; 28(23): 3229–3239. Micropipette Force Probe to quan­ti­fy sin­gle-cell force gen­er­a­tion: appli­ca­tion to T cell acti­va­tion. A. Saw­ic­ka, A. Babata­heri, S. Dog­ni­aux, A. I. Barakat, D. Gon­za­lez-Rodriguez, C. Hivroz, and J. Husson.

Bio­phys­i­cal Jour­nal, March 16, 2021; DOI:https://doi.org/10.1016/j.bpj.2021.02.042. Rapid vis­coelas­tic changes are a hall­mark of ear­ly leuko­cyte acti­va­tion. Alexan­dra Zak, Sara Vio­le­ta Meri­no-Cortés, Anaïs Sadoun, Farah Mustapha, Avin Babata­heri, Stéphanie Dog­ni­aux, Sophie Dupré-Cro­chet, Elodie Hudik, Hai-Tao He, Abdul I. Barakat, Yolan­da R. Car­ras­co, Yan­nick Hamon, Pierre-Hen­ri Puech, Claire Hivroz, Oliv­er Nüsse, Julien Husson.

1https://www.nature.com/articles/s41568-021–00347‑z

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