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Tumeurs : mieux comprendre, mieux cibler, mieux soigner

Thérapies ciblées : de nouvelles armes pour lutter contre les tumeurs

Agnès Vernet, journaliste scientifique
Le 21 octobre 2021 |
4 min. de lecture
Philippe cassier
Philippe Cassier
oncologue médical au Centre Léon Bérard
En bref
  • Même si 382 000 nouveaux cas de cancer ont été enregistrés en France au cours de l'année 2018, le taux de survie s’est amélioré grâce à un diagnostic plus précoce et aux progrès des traitements.
  • Jusqu’aux années 2000, les médecins cherchaient des molécules qui détruisaient les cellules cancéreuses sans toujours savoir comment elles fonctionnaient.
  • Mais aujourd'hui, les traitements ciblés sont établis de manière plus rationnelle et systématique.
  • Les tumeurs étant différentes les unes des autres, les thérapies ciblées accompagnées d'outils de diagnostic efficaces permettent de vérifier que la bonne cible est bien présente chez le patient.
  • De nouveaux médicaments anticancéreux sont le résultat de ce changement d'approche et ces traitements peuvent avoir des effets spectaculaires – même si la tolérance peut encore poser problème.

En France, plus de 300 000 per­son­nes sont diag­nos­tiquées chaque année pour un can­cer. 382 000 nou­veaux cas ont ain­si été enreg­istrés en 2018 selon l’Institut Nation­al du Can­cer (Inca). Cette même année, 157 400 décès ont été attribué à cette mal­adie. Un chiffre à la baisse grâce à des diag­nos­tics plus pré­co­ces et des avancées thérapeu­tiques, notam­ment pour les can­cers les plus fréquents. Par­mi ces avancées : les thérapies ciblées qui s’appuient sur une nou­velle stratégie de développe­ment de médica­ments. « Les traite­ments ciblés sont dévelop­pés de manière rationnelle, alors que les chimio­thérapies con­ven­tion­nelles étaient issues d’une approche plus empirique », pré­cise Philippe Cassier, onco­logue médi­cal au Cen­tre Léon Bérard à Lyon. 

Alors que, jusqu’aux années 2000, on cher­chait des molécules qui détru­i­saient les cel­lules can­céreuses, sans tou­jours savoir com­ment, les pro­grès dans la com­préhen­sion des mécan­ismes en jeu et les apports de la biolo­gie molécu­laire ont changé la donne. Le médecin pour­suit : « Il est désor­mais pos­si­ble d’identifier une cible, étape clé dans le développe­ment des tumeurs, puis de chercher des molécules capa­bles d’agir dessus ». C’est un change­ment rad­i­cal dans l’approche de développe­ment d’un médicament. 

Tumeurs à cibler

Ces nou­veaux médica­ments ciblent des mécan­ismes biologiques impor­tants pour le développe­ment des tumeurs, mais ces dernières présen­tent une grande diver­sité. D’un patient à l’autre, elles ne s’appuient pas for­cé­ment sur les mêmes proces­sus biologiques. Le développe­ment des thérapies ciblées s’est donc accom­pa­g­né d’importants pro­grès diag­nos­tiques. « C’est une révo­lu­tion à tous les étages de la can­cérolo­gie », estime Philippe Cassier. Grâce aux tests diag­nos­tiques, les médecins peu­vent véri­fi­er que la cible est bien présente dans la tumeur du patient et décider ain­si de pre­scrire ou non le traite­ment. Ces analy­ses biologiques repèrent des sig­naux traduisant le fonc­tion­nement molécu­laire de la tumeur, dits bio­mar­queurs. « Les can­céro­logues doivent désor­mais savoir manier les bio­mar­queurs pour savoir quoi pre­scrire », ajoute Philippe Cassier. Il devient essen­tiel de com­pren­dre le moteur de la crois­sance tumorale pour choisir le traite­ment le plus approprié.

Les nou­veaux médica­ments anti­cancéreux sont le fruit de ce change­ment de démarche. Les pro­grès des études con­cer­nant, d’un côté, la réac­tion du sys­tème immu­ni­taire face à une tumeur et, de l’autre, les mécan­ismes molécu­laires qui favorisent la pro­liféra­tion tumorale ont ain­si don­né nais­sance à deux nou­velles class­es de traite­ments : les thérapies ciblées et les immunothérapies. Cette sec­onde classe de médica­ment résulte d’une décou­verte impor­tante de l’immunologie :  les tumeurs exer­cent une action immuno­sup­pres­sive dans leur envi­ron­nement. « C’est une manip­u­la­tion du sys­tème immu­ni­taire », pré­cise Philippe Cassier. Le can­cer évite ain­si d’être attaqué par les cel­lules immu­ni­taires qui sur­veil­lent en per­ma­nence que les cel­lules ne se divisent pas anormalement. 

Effets à suivre

« Même si la com­préhen­sion du rôle biologique de la cible est incom­plète, des études clin­iques chez l’humain vont per­me­t­tre d’affiner son analyse. C’est le principe de la recherche trans­la­tion­nelle », explique l’oncologue. Ces développe­ments se nour­ris­sent d’un véri­ta­ble aller-retour entre la recherche clin­ique et la recherche fon­da­men­tale. « L’observation de l’effet du médica­ment sur le patient per­met d’affiner la com­préhen­sion de son mode d’action. Les études de phase I ne per­me­t­tent plus seule­ment d’étudier la tox­i­c­ité des traite­ments, elles cherchent à établir la cor­réla­tion clin­i­co-biologique qui sous-tend l’efficacité ».

Ces traite­ments ont par­fois des effets spec­tac­u­laires, ce qui a con­tribué à leur répu­ta­tion de traite­ments mir­a­cles. « C’est aus­si vrai pour les chimio­thérapies. Cer­taines tumeurs sont par­ti­c­ulière­ment sen­si­bles à un type de traite­ments et on a alors l’impression d’avoir eu une baguette mag­ique », nuance Philippe Cassier. Côté tolérance aus­si, les résul­tats sont plus com­pliqués qu’il n’y parait. « Avec les immunothérapies de type anti-PD‑1/an­ti-PD-L1, les pro­fils de tolérances sont très favor­ables. Mais d’autres types d’immunothérapies, comme les CAR‑T Cells ou les anti­corps bis­pé­ci­fiques acti­vant les cel­lules T, par exem­ple, peu­vent avoir des effets sec­ondaires graves, jus­ti­fi­ant l’hospitalisation en réan­i­ma­tion ».

Ces nou­velles thérapies ont néan­moins offert de nou­velles options thérapeu­tiques et donc aug­mentent les chances de trou­ver une réponse effi­cace pour chaque patient. Mais elles n’ont pas réglé le prob­lème. « Les can­cers sont le mal de la vie, on ne peut prob­a­ble­ment pas éradi­quer le can­cer. C’est une mal­adie liée aus­si à la longévité », recon­nait Philippe Cassier.

Résistances à prévoir

L’une des prin­ci­pales dif­fi­cultés de ces mal­adies relève de la capac­ité des tumeurs à dévelop­per au fil du temps des mécan­ismes de résis­tance aux traite­ments. « Ce prob­lème est pro­fondé­ment instal­lé dans l’histoire de la can­cérolo­gie », pré­cise Philippe Cassier. La recherche clin­ique a inté­gré cette don­née et pro­pose plusieurs types de répons­es. D’abord, elle développe des médica­ments de plus en plus spé­ci­fiques des cibles. « Ces pro­grès incré­men­taux allon­gent la durée de vie sans pro­gres­sion tumorale sous un traite­ment don­né. On l’a notam­ment mesuré dans le cas des can­cers du poumon présen­tant une translo­ca­tion du gène ALK », pré­cise l’oncologue lyon­nais. Les pro­grès diag­nos­tiques et la mise en place de dépistages sys­té­ma­tiques assurent aus­si un début de traite­ment de plus en plus tôt. « Plus le traite­ment est mis en place pré­co­ce­ment, plus on min­imise, en théorie, le risque d’émergence de résis­tance », explique Philippe Cassier. Enfin le recours à des biop­sies liq­uides, des pris­es de sang dans lesquelles on est capa­bles de trou­ver de l’ADN tumoral cir­cu­lant per­me­t­tent d’identifier les mécan­ismes de résis­tances de plus en plus facile­ment et de plus en plus tôt. 

Tous ces out­ils con­courent à amélior­er la prise en charge des patients souf­frant de can­cer. « Ces pra­tiques sont bien sou­vent implé­men­tées dans les cen­tres experts. Mais elles sont plus dif­fi­ciles à met­tre en place dans d’autres cen­tres de soins, comme les clin­iques privées ou les cen­tres plus petits, notam­ment du fait de prob­lèmes liés à la prise en charge finan­cière de ces tests », regrette Philippe Cassier. La faute à leur sys­tème de rem­bourse­ment, qui repose encore sur un mécan­isme de finance­ment de l’innovation et non sur la fac­tura­tion rou­tinière des actes médi­caux. Résoudre l’équation liant effi­cac­ité économique et effi­cac­ité thérapeu­tique est peut-être le prochain défi de la cancérologie. 

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