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5G, 6G : quels enjeux pour les nouveaux réseaux de télécommunication

5G et industrie : la France est-elle en retard ?

Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au CNRS au sein de I³-CRG* et professeur d'économie numérique à l’École polytechnique (IP Paris) et à l’Université de Genève et David Glijer, directeur de la transformation digitale à ArcelorMittal
Le 17 octobre 2022 |
5 min. de lecture
Pierre-Jean Benghozi
Pierre-Jean Benghozi
directeur de recherche au CNRS au sein de I³-CRG* et professeur d'économie numérique à l’École polytechnique (IP Paris) et à l’Université de Genève
David Glijer
David Glijer
directeur de la transformation digitale à ArcelorMittal
En bref
  • La 5G permet d’offrir des débits plus importants, un temps de latence plus faible et la possibilité de connecter de nombreux objets.
  • Si la 5G va permettre de désengorger le réseau public 4G, elle reste un outil essentiellement à destination des industriels.
  • La première usine 5G de France se situe à Dunkerque : c’est le projet « 5G Steel » d’ArcelorMittal.
  • Maîtriser en interne son propre réseau permet de se prémunir contre tout problème technique chez un opérateur extérieur.
  • On compte plusieurs freins au développement des usages industriels de la 5G en France, ce qui retarde sa mise en place.

La 5G a com­mencé à être instal­lée sur le ter­ri­toire français en 2020. Cette cinquième généra­tion de télé­phonie mobile survient à la suite des précé­dentes. Ces généra­tions, se suc­cè­dent toutes au même rythme d’environ tous les dix ans et mar­quent cha­cune une évo­lu­tion tech­nologique : après la voix (2G), le texte et les SMS (3G), puis l’internet mobile (4G), la 5G per­met désor­mais d’offrir des débits plus impor­tants, un temps de latence plus faible et de con­necter bien plus d’ob­jets. Son ray­on d’action est donc bien plus large que les seules util­i­sa­tions grand public.

[Vidéos pro­duites en parte­nar­i­at avec l’Ecole Poly­tech­nique Exec­u­tive Edu­ca­tion].

Un outil surtout industriel

La 5G aura des appli­ca­tions « aus­si bien dans les entre­pris­es que dans de grands espaces publics comme les gares, les aéro­ports, les stades. Elle per­me­t­tra d’assurer les con­nex­ions simul­tanées de mil­liers, voire de mil­lions d’appareils » explique Pierre-Jean Beng­hozi, directeur de recherche au CNRS, et pro­fesseur à l’École poly­tech­nique, spé­cial­iste de l’économie du numérique. Cer­tains imag­i­nent même qu’il sera par exem­ple pos­si­ble, depuis sa tri­bune du stade de France, de zoomer indi­vidu­elle­ment « en live » sur l’écran de son portable pour mieux voir un joueur spé­ci­fique s’approcher des buts… 

Si la 5G va per­me­t­tre de désen­gorg­er le réseau pub­lic 4G (proche de la sat­u­ra­tion dans les zones très peu­plées) elle n’a néan­moins pas été conçue pour les appli­ca­tions ludiques, ni pour que les ama­teurs de séries télévisées puis­sent télécharg­er leur épisode en un mil­lième de sec­onde au lieu d’une. « La 5G répond d’abord aux besoins de numéri­sa­tion de l’usine 4.0, avance Pierre-Jean Beng­hozi. L’essentiel des usages de la 5G est à des­ti­na­tion des indus­triels»

Présen­tée comme la nou­velle révo­lu­tion indus­trielle (après la mécan­i­sa­tion, la pro­duc­tion de masse au XIXesiè­cle et l’automatisation de la pro­duc­tion au XXe siè­cle), l’usine 4.0 se car­ac­térise par l’intégration des tech­nolo­gies numériques à tous les niveaux, jusqu’aux proces­sus de fab­ri­ca­tion, per­me­t­tant de penser les usages dif­férem­ment. « Dans cette usine, l’Internet des Objets est un réseau de réseaux qui per­met […] d’identifier directe­ment des entités numériques et des objets physiques afin de pou­voir récupér­er, stock­er, trans­fér­er puis traiter, sans dis­con­ti­nu­ité entre les mon­des physiques et virtuels, les don­nées s’y rat­tachant »pour­suit le pro­fesseur Beng­hozi1. Et tout ceci est pos­si­ble grâce à des sys­tèmes d’identification élec­tron­ique et des dis­posi­tifs mobiles sans fil d’abord, des modal­ités de con­nex­ion ultra haut débit fixe et mobile de plus en plus emboitées ensuite, et enfin des capac­ités algo­rith­miques et de traite­ment de don­nées pou­vant être pen­sées de manière répartie.

La 5G répond d’abord aux besoins de numéri­sa­tion de l’usine 4.0… l’essentiel des usages est à des­ti­na­tion des industriels.

Cette com­mu­ni­ca­tion con­tin­ue et instan­ta­née entre les dif­férents out­ils et postes de tra­vail inté­grés dans les chaînes de fab­ri­ca­tion et d’approvisionnement sup­pose des investisse­ments et de repenser les modes d’organisation, mais elle per­met d’optimiser les proces­sus man­u­fac­turi­ers tout autant que la ges­tion de ser­vices. De plus, elle donne les moyens d’améliorer la flex­i­bil­ité afin de s’adapter à la demande en temps réel et de mieux sat­is­faire les besoins indi­vidu­els de chaque client. 

La première usine 5G de France

Le pro­jet « 5G Steel » d’ArcelorMittal, lancé avec l’appui du plan de relance, est une bonne illus­tra­tion des nou­velles méth­odes de pro­duc­tion que per­met la 5G. C’est sur son immense site de Dunkerque que le géant mon­di­al de l’acier a instal­lé son pro­pre réseau privé, sur des ban­des mis­es à dis­po­si­tion par l’ARCEP (Autorité de Régu­la­tion des Com­mu­ni­ca­tions Élec­tron­iques et des Postes). Mar­quant sa volon­té de rester européen, Arcelor­Mit­tal a choisi de tra­vailler sur ce réseau avec l’opérateur Orange et l’équipementier Ericsson. 

Il faut imag­in­er le site de Dunkerque comme une petite ville de 3 300 salariés, qui pro­duit 10 % de l’aci­er du groupe sidérur­giste, soit 6 à 7 mil­lions de tonnes par an. Ici, ponts automa­tiques et gigan­tesques grues jalon­nent des lignes de pro­duc­tion d’environ 2 km de long, sur lesquels sont placés plus de 200 cap­teurs de don­nées per­me­t­tant de suiv­re la pro­duc­tion.

« Ce site est à cer­tains endroits ouverts, à d’autres fer­més, et com­prend de nom­breuses zones blanch­es » explique David Gli­jer, directeur tech­nique chez Arcelor­Mit­tal et respon­s­able du déploiement du pro­jet. « Il est absol­u­ment impos­si­ble de cou­vrir tout le site avec la fibre. Jusqu’ici le per­son­nel pas­sait beau­coup de temps à faire des allers retours entre les lignes de pro­duc­tion et le cen­tral pour recharg­er des don­nées. » Avec la 5G, le réseau est disponible sur tout le site. « De plus, nous envis­ageons de faire cir­culer sur le site (200 km de voies fer­rées internes et plusieurs kilo­mètres de routes privées) nos gros por­teurs (capac­ité de trans­port de 120 tonnes de bobines d’acier) de façon autonome, sans chauf­feur, car ces trans­ports sont com­plex­es et par­fois dan­gereux. »

Huit antennes « out­door » (en extérieur) ont été instal­lées sur ce site, qui, classé Seveso, impose des normes de sécu­rité dra­coni­ennes. « La sécu­rité est une de nos obses­sions, et nous devons fonc­tion­ner 24h/24h : en maitrisant notre pro­pre réseau, nous sommes à l’abri d’un prob­lème tech­nique qui surviendrait chez un opéra­teur extérieur. »

Le risque indus­triel est très impor­tant si on ne prend pas le virage de la 5G.

Le pro­jet 5G Steel est déjà opéra­tionnel, mais encore expéri­men­tal. « Ici nous testons vrai­ment la 5G en envi­ron­nement indus­triel « sévère », puisqu’il y a sur ce site beau­coup de pous­sière, du métal en grande quan­tité, des zones de forte chaleur… Il faut véri­fi­er que le métal ne crée pas des inter­férences avec les antennes, lever les incer­ti­tudes et les risques en ter­mes de robustesse, de sécu­rité. » 

D’autres industriels piétinent 

À Dunkerque, la 5G s’inscrit dans un pro­jet col­lab­o­ratif mul­ti­sites, et sera déployée en 2023 sur les sites de Flo­r­ange et Mardy­ck. Mais en France, le réseau d’ArcelorMittal est sin­gulière­ment isolé. En mars 2022, le rap­port de Philippe Her­bert sur la Mis­sion 5G indus­trielle2 rel­e­vait plusieurs freins au développe­ment des usages indus­triels de ce type de réseau en France, notam­ment le prob­lème d’accès aux fréquences, la faib­lesse de l’écosystème autour de la 5G indus­trielle et l’insuffisante disponi­bil­ité d’équipements et de ser­vices adaptés. 

« Jusqu’à présent, afin d’accéder à la 5G, un indus­triel doit débours­er au min­i­mum 70 000 euros pour obtenir un droit d’émet­tre sur une zone de 100 km2, souligne Philippe Her­bert dans son rap­port.  Le tick­et d’en­trée est bien trop élevé pour tester une tech­nolo­gie nou­velle et la zone d’émis­sion bien trop large s’il s’ag­it d’équiper un site indus­triel de quelques km2. » D’autres pays ont choisi de réserv­er dès le départ des fréquences à leurs entre­pris­es. C’est le cas de l’Allemagne, où plus de 70 uni­ver­sités et sociétés tra­vail­lant dans les secteurs de l’industrie, les trans­ports, la san­té et les médias se sont lancés dans des pro­jets de 5G industrielle. 

« Nous devons faire com­pren­dre aux entre­pris­es français­es et européennes, PME com­pris­es, que le risque indus­triel est très impor­tant si on ne prend pas le virage de la 5G, estime David Gli­jer. Nos com­péti­teurs sont en Asie, Chine et Corée, où la 5G fonc­tionne déjà. Mais il ne suf­fit pas d’avoir le réseau, il faut les appli­ca­tions. Il est donc essen­tiel de drain­er dans notre sil­lage des start-ups français­es et européennes qui tra­vail­lent sur de telles appli­ca­tions. C’est pourquoi ici, notre réseau, bien que privé, est acces­si­ble à nos parte­naires de la Com­mu­nauté urbaine de Dunkerque, qui pour­ra en faire béné­fici­er cer­taines entre­pris­es. »

Marina Julienne
1L’Internet des objets de Pierre-Jean Beng­hozi, Syl­vain Bureau et Françoise Mas­sit-Fol­léa (Edi­tion MSH 2012)
2Rap­port de la « Mis­sion 5G indus­trielle », par Philippe Her­bert, prési­dent de la mis­sion, mars 2022. https://​www​.entre​pris​es​.gouv​.fr/​f​i​l​e​s​/​f​i​l​e​s​/​e​t​u​d​e​s​-​e​t​-​s​t​a​t​i​s​t​i​q​u​e​s​/​d​o​s​s​i​e​r​s​/​r​a​p​p​o​r​t​-​m​i​s​s​i​o​n​-​5​g.pdf

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