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5G, 6G : quels enjeux pour les nouveaux réseaux de télécommunication

La 5G, plus qu’une simple génération de téléphonie ?

Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au CNRS au sein de I³-CRG* et professeur d'économie numérique à l’École polytechnique (IP Paris) et à l’Université de Genève
Le 1 mars 2022 |
5 min. de lecture
Pierre-Jean Benghozi
Pierre-Jean Benghozi
directeur de recherche au CNRS au sein de I³-CRG* et professeur d'économie numérique à l’École polytechnique (IP Paris) et à l’Université de Genève
En bref
  • La 5G ne sera pas uniquement une révolution pour la téléphonie mais s’inscrira dans un renouveau de l’industrie en termes de numérisation.
  • Elle permet de connecter de nombreux objets entre eux, d’assurer des communications critiques et à faible latence et d’optimiser l’utilisation d’un réseau de télécommunication.
  • Les expérimentations autour de la 5G sont déjà nombreuses : l’équipement des grandes enceintes sportives, les espaces publics tels que gares, ports, aéroports, la numérisation de filières industrielles telle celle de l’automobile électrique et connectée, l’amélioration des services de santé etc.
  • Loin de redéfinir seulement l’équilibre entre usages grand public et entreprise, les fonctionnalités de la 5G se traduisent par de nouvelles articulations entre échelon national et territorial.

Les généra­tions de télé­phonie mobile se renou­vel­lent env­i­ron tous les 10 ans. Pour­tant, plus qu’aucune autre, le déploiement de la 5G a enflam­mé le débat pub­lic12. La rai­son tient, pour une large part, à la dif­fi­culté de pos­er les enjeux d’une tech­nolo­gie qui, au-delà de ses inno­va­tions tech­niques et des ser­vices asso­ciés, représente à bien des égards une rup­ture majeure. Certes, les pre­miers usages con­sis­tent surtout à den­si­fi­er les réseaux actuels, voire, dans cer­tains pays, à com­pléter les cou­ver­tures très haut débit. Mais, par ses inno­va­tions, sa flex­i­bil­ité et ses per­for­mances, la 5G sera une révo­lu­tion pour l’industrie : son enjeu n’est pas de voir des films sur « Net­flix » plus rapi­de­ment. Con­traire­ment aux généra­tions précé­dentes, son marché est prin­ci­pale­ment celui des fil­ières indus­trielles à qui elle offre, tout comme la fibre, une for­mi­da­ble oppor­tu­nité de numérisation.

Un système technique bénéfique à de nouveaux services

Tech­nique­ment, la 5G est un sys­tème por­teur de poten­tial­ités com­plé­men­taires répon­dant de manière spé­ci­fique à dif­férents besoins. La 5G vise d’abord à éviter la con­ges­tion de la 4G en répon­dant au dou­ble­ment annuel des don­nées échangées sur les réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions. Mais la 5G améliore surtout la qual­ité des ser­vices de télé­com­mu­ni­ca­tions mobile : pour les usages grand pub­lic (débit, mobil­ité) et, dans une plus large mesure, pour les besoins spé­ci­fiques de mul­ti­ples secteurs (san­té, énergie, auto­mo­bile, col­lec­tiv­ités locales, médias, agriculture).

Les inno­va­tions à la base de ces poten­tial­ités sont de plusieurs ordres. Il s’agit d’abord de la capac­ité3 à con­necter mas­sive­ment de très nom­breux objets (les dizaines de mil­liers de con­teneurs d’un port par exem­ple). C’est ensuite la pos­si­bil­ité d’assurer des com­mu­ni­ca­tions cri­tiques et à faible latence, notam­ment avec l’arrivée des véhicules autonomes con­nec­tés sup­posant une qua­si-instan­ta­néité des réac­tions. Enfin, c’est la fac­ulté de mod­uler, de manière dynamique, la con­fig­u­ra­tion d’un réseau de télé­com­mu­ni­ca­tions4 pour opti­miser son util­i­sa­tion simul­tanée par des appli­ca­tions aux con­traintes dif­férentes (vol­ume des don­nées, sécu­rité, instan­ta­néité, haut débit) : pen­sons par exem­ple à la mul­ti­plic­ité des util­i­sa­tions dans les enceintes publiques telles que les gares.

La 5G s’appuie aus­si sur l’utilisation local­isée de nou­velles gammes de fréquences dites mil­limétriques, à l’intérieur ou à l’extérieur, ouvrant des ban­des pas­santes et des débits par­ti­c­ulière­ment impor­tants : imag­i­nons l’utilité pour le pilotage et la con­duite à dis­tance d’engins ou robots indus­triels. La 5G vise égale­ment à l’amélioration de la per­for­mance énergé­tique des réseaux mobiles en agrégeant plusieurs fréquences, en mobil­isant des antennes actives « intel­li­gentes » (ne se déclen­chant que si néces­saire5) ou au con­traire des toutes petites6. Enfin, la 5G repose sur des archi­tec­tures d’infrastructure flex­i­bles grâce à la vir­tu­al­i­sa­tion des fonc­tions de réseau7 et la con­cen­tra­tion des sta­tions de base en mode coopératif8.

37,6

Les applications de la 5G 

La 5G cou­ple ain­si la mise en œuvre de tech­nolo­gies dis­rup­tives (antennes actives, ondes mil­limétriques, smart cells) avec la pos­si­bil­ité d’innover, de manière plus pro­gres­sive, sur des ser­vices appli­cat­ifs, à par­tir d’initiatives, d’acteurs et d’investissements effec­tués à dif­férents niveaux. Il ne faut donc pas voir la 5G dans une per­spec­tive tech­no push, c’est-à-dire une tech­nolo­gie qui s’imposerait et défini­rait des impacts de manière uni­voque. Mais dans une vision demand pull, c’est un ensem­ble de ressources tech­nologiques faisant sys­tème, ouvrant la pos­si­bil­ité d’innovations et d’applications nou­velles, dont les entre­pris­es peu­vent se saisir.

Le con­stat des déploiements réal­isé aujourd’hui reflète cette per­cep­tion para­doxale. D’une part, la plu­part des experts, opéra­teurs com­pris, insis­tent sur le fait que la 5G (et son mod­èle économique) répond surtout aux besoins des grands secteurs d’activités et fil­ières indus­trielles. Les expéri­men­ta­tions ouvertes par l’Arcep depuis 2018 comme les développe­ments déjà à l’œuvre à l’étranger four­nissent ain­si une bonne vision des dif­férents cas d’usage sur lesquels la 5G est atten­due. Ce sont : l’équipement des grandes enceintes sportives, les espaces publics tels que gares, ports, aéro­ports où se con­juguent activ­ité indus­trielle et pub­lic de masse, la numéri­sa­tion de fil­ières indus­trielles telle celle de l’automobile élec­trique et con­nec­tée, l’amélioration des ser­vices de san­té (de la télé­con­sul­ta­tion aux inter­ven­tions à dis­tance), le sup­port à l’automatisation des usages indus­triels spé­ci­fiques notam­ment dans les envi­ron­nements à risque.

Pour autant, la super­vi­sion des déploiements assurée par des acteurs publics tels que l’Arcep9 ou l’ANFR10 con­tin­ue de se con­cen­tr­er, comme tra­di­tion­nelle­ment, sur les usages grand pub­lic. Ils ren­dent ain­si régulière­ment compte, mois après mois, des déploiements des sites de 5G (30 092 autorisés en novem­bre 2021, dont 19 824 opéra­tionnels). Ils analy­sent la cou­ver­ture et com­par­ent la qual­ité de ser­vice offerte aux usagers du quo­ti­di­en par cha­cun des opéra­teurs (débit et cou­ver­ture). Ces mesures sont impor­tantes, car elles per­me­t­tent de relever une rapid­ité du développe­ment bien plus forte que ce qu’avait con­nu la 3G ou la 4G. Pour autant, rien n’est fait pour cal­i­br­er le développe­ment des usages industriels.

Les modèles économiques de la 5G

La 5G représente, glob­ale­ment, un véri­ta­ble mur d’investissements. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que son intérêt socié­tal soit source de débat. D’une part, la mise en avant des besoins grand pub­lic occulte ceux des entre­pris­es. D’autre part, les mod­èles économiques des opéra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tions, des équipemen­tiers, des plate­formes ou four­nisseurs d’applications, et des entre­pris­es util­isatri­ces s’intriquent : ils appel­lent une large interopéra­bil­ité des don­nées, des appli­cat­ifs et des réseaux, mais créent aus­si des formes inédites de con­cur­rence ver­ti­cale entre infra­struc­tures, opéra­teurs, nou­veaux inter­mé­di­aires, acteurs des fil­ières industrielles.

Se dessi­nent ain­si plusieurs manières d’envisager la mon­tée en puis­sance de la 5G, selon que l’on envis­age celle-ci comme sim­ple pro­longe­ment de la 4G, comme sup­port de réseaux privés locaux, comme par­tie inté­grante des offres « busi­ness » des opéra­teurs, ou encore comme base de la numéri­sa­tion des entre­pris­es et des chaînes d’approvisionnement. Loin de redéfinir seule­ment l’équilibre entre usages grand pub­lic et entre­prise, les fonc­tion­nal­ités de la 5G se traduisent par de nou­velles artic­u­la­tions entre éch­e­lon nation­al et ter­ri­to­r­i­al (quartiers de ville, zones d’activité, entre­pris­es, stades ou hôpitaux).

Pour la cou­ver­ture d’ordre nation­al et ter­ri­to­r­i­al, ce sont les opéra­teurs qui sup­por­t­ent les coûts (achats de fréquence, con­struc­tion des sites et déploiement des infra­struc­tures)11. Les util­isa­teurs dis­posent ain­si d’une tech­nolo­gie dont seul le coût d’utilisation leur est imputé (sur des modal­ités restant néan­moins à sta­bilis­er). Mais ils doivent assur­er des coûts non nég­lige­ables d’appropriation, de numéri­sa­tion desprocédés, de développe­ment des ser­vices et de ges­tion du change­ment. Pour les déploiements locaux et d’ordre privé, ce sont les entre­pris­es qui investis­sent dans la con­struc­tion et la main­te­nance de leur pro­pre infra­struc­ture. Les acteurs indus­triels puis­sants béné­fi­cient de ce fait d’un avan­tage, mais le mur des investisse­ments con­stitue aus­si une inci­ta­tion à des straté­gies de mutu­al­i­sa­tion comme on le voit dans les zones aéro­por­tu­aires ou dans de grands pro­jets tels que les Jeux Olympiques ou les smart cities.

1Cet arti­cle est inspiré d’une con­tri­bu­tion à l’ouvrage « Qua­tre champs de bataille iconomiques, coor­don­né par L. Bloch, H. Cheva­lier, J‑P. Corniou et M. Volle, Insti­tut de l’Iconomie edi­tions, 158 p.
2Cf. le récent rap­port de l’Académie des sci­ences (https://​www​.acad​e​mie​-sci​ences​.fr/​f​r​/​R​a​p​p​o​r​t​s​-​o​u​v​r​a​g​e​s​-​a​v​i​s​-​e​t​-​r​e​c​o​m​m​a​n​d​a​t​i​o​n​s​-​d​e​-​l​-​A​c​a​d​e​m​i​e​/​5​g​-​r​e​s​e​a​u​x​-​c​o​m​m​u​n​i​c​a​t​i​o​n​s​-​m​o​b​i​l​e​s​.html), celui de l’ANSES (https://​www​.ans​es​.fr/​f​r​/​s​y​s​t​e​m​/​f​i​l​e​s​/​A​P​2​0​1​9​S​A​0​0​0​6​_​A​v​i​s​_​5​G​_​c​o​n​s​u​l​t​a​t​i​o​n.pdf) ou de l’ANFR, ain­si que le très com­plet dossier réu­ni par l’Arcep (https://​www​.arcep​.fr/​l​a​-​r​e​g​u​l​a​t​i​o​n​/​g​r​a​n​d​s​-​d​o​s​s​i​e​r​s​-​r​e​s​e​a​u​x​-​m​o​b​i​l​e​s​/​l​a​-​5​g​.html)
3Appelée MIMO (mul­ti­ple-input and mul­ti­ple-out­put)
4On par­le de net­work slic­ing
5On par­le alors de beam­form­ing
6small cells
7NFV (net­work func­tion vir­tu­al­iza­tion)
8Cloud Ran
9Autorité de régu­la­tion des Com­mu­ni­ca­tions élec­tron­iques, des postes et de la dis­tri­b­u­tion de la pesse
10Agence nationale des fréquences
11Les opéra­teurs français con­sacrent ain­si 10 Mds et près d’un quart de leur CA en France aux investisse­ments dans les réseaux fixe et mobile

Auteurs

Pierre-Jean Benghozi

Pierre-Jean Benghozi

directeur de recherche au CNRS au sein de I³-CRG* et professeur d'économie numérique à l’École polytechnique (IP Paris) et à l’Université de Genève

Pierre-Jean Benghozi est spécialiste de l’économie du numérique. De 2013 à 2019, il a siégé au Collège de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (Arcep). Il préside actuellement une mission d’évaluation du Plan France Très Haut Débit.
*I³-CRG : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, Télécom Paris, Mines ParisTech

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