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Comment réduire l’empreinte carbone du numérique ?

Objets connectés : 50 milliards d’émetteurs de CO2 ?

James Bowers, Rédacteur en chef de Polytechnique Insights
Le 22 septembre 2021 |
5 min. de lecture
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Chantal Taconet
maître de conférences en informatique à Télécom SudParis (IP Paris)
En bref
  • Entre 2015 et 2019, la consommation d'énergie mondiale du secteur numérique a augmenté de 6,2% par an.
  • En 2010, on comptait environ 1 milliard d’objets connectés dans le monde, chiffre qui passera à 50 milliards en 2025 et à 100 milliards en 2030.
  • La moitié de la consommation d'énergie et des émissions qui en découlent concerne la production d'objets, l'autre moitié leur utilisation.
  • Des chercheurs comme Chantal Taconet tâchent d’évaluer la durée de vie des objets afin de maximiser les bénéfices environnementaux.
  • Pour elle, réduire le nombre d'appareils utilisés et la production de nouveaux objets serait une solution.

L’é­conomie numérique atteint actuelle­ment des som­mets… tout comme son impact envi­ron­nemen­tal. Respon­s­able de 3,5 % des émis­sions de gaz à effet de serre (GES) en 2019, le numérique a dépassé le secteur de l’avi­a­tion (2,5% en 2018) ; une frac­ture encore accen­tuée par la pandémie. Entre 2015 et 2019, la con­som­ma­tion mon­di­ale d’én­ergie du numérique a aug­men­té de 6,2 % par an1, en par­tie grâce à l’en­volée des ventes d’objets con­nec­tés comme les smart­phones, les tablettes, les ordi­na­teurs porta­bles, les imp­ri­mantes, les téléviseurs, et autres appareils indus­triels ou caméras de sur­veil­lance. À l’hori­zon 2025, les pro­jec­tions mon­trent que les émis­sions de GES du secteur numérique sont sus­cep­ti­bles d’aug­menter de 5,5 % (avec un risque élevé de dépass­er ce chiffre pour attein­dre 9 %). Les appareils sans fil sont désignés comme d’importants respon­s­ables de ce bilan.

De récents rap­ports pub­liés par The Shift Project iden­ti­fient l’« Inter­net des objets » (IoT, pour Inter­net of Things), qui regroupe l’ensemble des appareils con­nec­tés que nous util­isons au quo­ti­di­en, comme l’une des prin­ci­pales sources d’émis­sions de gaz à effet de serre du secteur. La part des objets con­nec­tés dans l’impact envi­ron­nemen­tal du numérique devrait en effet pass­er à une pro­por­tion entre 18 et 23% con­tre seule­ment 1% en 20102. Cette évo­lu­tion est moins sur­prenante si l’on con­sid­ère que, selon des esti­ma­tions de 2021, chaque habi­tant d’Europe occi­den­tale pos­sède en moyenne 9 appareils numériques. Alors que l’on comp­tait env­i­ron 1 mil­liard de ces appareils dans le monde en 2010, ils seront entre 30 et 50 mil­liards en 2025, et pour­ront attein­dre jusqu’à 100 mil­liards dès 2030. Les don­nées mon­di­ales sont donc claires : le nom­bre d’ap­pareils con­nec­tés aug­mente de manière expo­nen­tielle, accrois­sant par-là l’empreinte envi­ron­nemen­tale du secteur numérique.

Se con­cen­tr­er sur la pro­duc­tion et l’utilisation

« Les émis­sions de GES dues aux appareils con­nec­tés provi­en­nent à la fois de leur pro­duc­tion et de leur util­i­sa­tion. On con­sid­ère générale­ment que la moitié de la con­som­ma­tion d’én­ergie con­cerne la pro­duc­tion des objets, et l’autre moitié leur util­i­sa­tion », explique Chan­tal Taconet, maître de con­férences en infor­ma­tique à Télé­com Sud­Paris. Les chiffres de l’ADEME (Agence de la tran­si­tion écologique) mon­trent ain­si qu’un ordi­na­teur de 2 kg génère en moyenne sur toute sa durée de vie 169 kg de CO2, dont 124 kg au cours de sa seule pro­duc­tion. Chan­tal Taconet souligne dès lors qu’une grande par­tie de la solu­tion réside dans la durée de vie de nos appareils. « En prenant en compte la pro­duc­tion et l’u­til­i­sa­tion des appareils con­nec­tés, nous pou­vons éval­uer com­bi­en de temps nous devri­ons utilis­er un objet ou un équipement – en mois ou en années – pour min­imiser son empreinte envi­ron­nemen­tale. Nous com­mençons à mod­élis­er ce cal­cul en inté­grant tous les paramètres. » Elle cite l’ex­em­ple d’un ther­mo­stat con­nec­té : « Nous devons pren­dre en compte le nom­bre d’objets à pro­duire, leur coût de fab­ri­ca­tion et d’u­til­i­sa­tion, leur durée de vie estimée, etc. Avec ces paramètres, nous pou­vons éval­uer la durée de vie appro­priée pour max­imiser les avan­tages envi­ron­nemen­taux. » De tels cal­culs pour­raient nous indi­quer, par exem­ple, com­bi­en d’an­nées un pro­prié­taire de voiture élec­trique devrait con­serv­er son véhicule pour réalis­er de réels béné­fices en ter­mes d’émissions de CO2 par rap­port à une voiture ther­mique, en ten­ant notam­ment compte du nom­bre de kilo­mètres par­cou­rus par an et selon le pays [les émis­sions de CO2 de la pro­duc­tion d’élec­tric­ité dif­fèrent selon les pays].

À Télé­com Sud­Paris, Chan­tal Taconet enseigne à la nou­velle généra­tion d’ingénieurs numériques. « Nous encour­a­geons les étu­di­ants à se pos­er les bonnes ques­tions lors de la con­cep­tion d’un nou­veau sys­tème ; à décider s’il faut ou non pro­duire ce nou­v­el objet ; s’ils peu­vent espér­er des gains dans un délai accept­able ; et, si oui, com­ment faire en sorte que le sys­tème con­somme le moins d’én­ergie pos­si­ble. »

Inno­va­tions en matière de trans­fert de données

« Au cours de leur vie, les appareils con­nec­tés pro­duisent d’énormes quan­tités de traf­ic de don­nées – entre eux, et avec les serveurs chargés de traiter ces don­nées, que ce soit dans le cloud ou dans d’autres sys­tèmes tels que l’« edge » ou le « fog com­put­ing ». » En réal­ité, pour les objets con­nec­tés, la ques­tion de l’ef­fi­cac­ité envi­ron­nemen­tale se pose assez tôt dans le proces­sus de développe­ment, car la con­som­ma­tion de l’ob­jet lui-même doit être réduite pour opti­miser la taille et la durée de vie de sa bat­terie. Ain­si, les chercheurs étu­di­ent, par exem­ple, com­ment faire en sorte que les détecteurs se met­tent en veille automa­tique­ment et ne se réveil­lent que lorsqu’il leur faut émettre.

Les travaux de Chan­tal Taconet vont cepen­dant au-delà des sim­ples détecteurs, puisqu’elle cherche plus large­ment à inté­gr­er les ques­tions d’ef­fi­cac­ité énergé­tique dans la con­cep­tion de nou­veaux logi­ciels. « Je mène des recherch­es sur les sys­tèmes dis­tribués et le rôle des logi­ciels, ou « mid­dle­ware », qui per­me­t­tent l’échange de don­nées entre dif­férents com­posants d’applications dis­tribués. Mes recherch­es con­cer­nent toute la chaîne d’événe­ments, de la détec­tion aux logi­ciels en aval con­trôlés via le cloud. Les amélio­ra­tions les plus impor­tantes en matière de con­som­ma­tion d’én­ergie seront obtenues en réduisant les trans­mis­sions sur l’ensem­ble de la chaîne. Le cap­teur ne doit émet­tre que lorsque c’est néces­saire, et les clouds doivent jouer le rôle de fil­tres pour ne trans­met­tre aux appli­ca­tions que ce qui a un intérêt spé­ci­fique. » Par exem­ple, les sig­naux de trans­mis­sion sont dif­férents selon qu’un cap­teur sans fil est instal­lé au som­met de la tour Eif­fel pour informer péri­odique­ment les sta­tions météorologiques, ou instal­lé dans une salle de classe pour sur­veiller la tem­péra­ture moyenne.

La chercheuse con­sid­ère égale­ment que l’une des clés con­siste à trou­ver un moyen d’amélior­er l’ef­fi­cac­ité du trans­fert des don­nées grâce à une archi­tec­ture dis­tribuée. Elle étudie, par exem­ple, des inno­va­tions archi­tec­turales telles que les « cloudlets », de petits clouds de prox­im­ité instal­lés près des cap­teurs de don­nées. « La ques­tion est de savoir s’il est souhaitable – en ter­mes d’im­pact envi­ron­nemen­tal – de créer des cloudlets. D’un côté, c’est une bonne chose, car cela réduit le nom­bre d’in­ter­mé­di­aires pour la trans­mis­sion des don­nées entre pro­duc­teurs et con­som­ma­teurs. Cela dit, on ne sait pas où se trou­vent les pro­duc­teurs et les con­som­ma­teurs de ces don­nées. Il faut donc des rou­teurs et des serveurs logi­ciels pour dis­tribuer les don­nées à ceux qui vont les utilis­er. Il peut ain­si être préférable d’u­tilis­er des serveurs cen­traux pour lim­iter le nom­bre d’ap­pareils. » La 5G est un autre domaine illus­trant le type de prob­lèmes que le secteur numérique devra résoudre. « Pour la même quan­tité de don­nées trans­férées, la 5G est moins gour­mande. Mais elle vient s’ajouter à des tech­nolo­gies exis­tantes, et mul­ti­plie les équipements et les antennes. Et qui dit aug­men­ta­tion du débit dit tou­jours aug­men­ta­tion de l’usage. » Pour­tant, glob­ale­ment, elle con­clut que pour réduire la con­som­ma­tion d’én­ergie et les émis­sions de gaz à effet de serre, « il faut agir en réduisant le nom­bre de nou­veaux appareils pro­duits et util­isés. C’est le nerf de la guerre ! »

L’un des con­seils aux util­isa­teurs d’appareils numériques les plus con­nus est de les étein­dre com­plète­ment lorsqu’ils ne sont pas util­isés. L’ADEME, par exem­ple, indique dans son rap­port que « la con­som­ma­tion totale [d’une box Internet/TV] sur une année est com­prise entre 150 et 300 kWh : autant qu’un gros réfrigéra­teur ! » Soulig­nant égale­ment que « 43% des per­son­nes n’éteignent jamais leur box, et 41% ne l’éteignent que lorsqu’elles s’ab­sen­tent pour une longue durée. » Il existe ain­si du côté des util­isa­teurs des gestes sim­ples qui pour­raient con­tribuer à réduire l’im­pact envi­ron­nemen­tal du numérique. Dans un rap­port, Green­IT sug­gère égale­ment de regrouper les appareils con­nec­tés en un seul, afin d’amélior­er l’ef­fi­cac­ité globale.

1https://​theshift​pro​ject​.org/​a​r​t​i​c​l​e​/​i​m​p​a​c​t​-​e​n​v​i​r​o​n​n​e​m​e​n​t​a​l​-​d​u​-​n​u​m​e​r​i​q​u​e​-​5​g​-​n​o​u​v​e​l​l​e​-​e​t​u​d​e​-​d​u​-​s​hift/
2https://www.greenit.fr/wp-content/uploads/2019/10/2019–10-GREENIT-etude_EENM-rapport-accessible.VF_.pdf

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