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Comment réduire l’empreinte carbone du numérique ?

« Il est possible de faire du calcul informatique bas carbone »

Sophy Caulier, journaliste indépendante
Le 22 septembre 2021 |
4 min. de lecture
Qarnot – QL5 bis
Quentin Laurens
directeur des relations extérieures et internationales de Qarnot Computing

En bref
  • Fondé en 2010, Qarnot Computing utilise la chaleur émise par les serveurs informatiques pour chauffer des bâtiments.
  • L’entreprise propose aussi désormais une chaudière numérique qui produit de l’eau chaude à plus de 60° C.
  • Ils estiment qu’ils peuvent réduire de 81 % les émissions de CO2 par rapport à un modèle classique de data center.
  • De nouveaux secteurs s'y intéressent, notamment avec le développement de l'intelligence artificielle et du « machine learning », des logiciels de mécanique des fluides et de la recherche médicale.
  • Qarnot Computing envisage de vendre prochainement sa chaudière en « stand alone », c'est-à-dire qu'un client pourrait l’acheter et l’utiliser à la fois pour le calcul et pour chauffer l'eau.

Paul Benoit et Miroslav Sviezeny ont fondé Qarnot Com­put­ing en décem­bre 2010. Leur idée, utilis­er la chaleur émise par les serveurs infor­ma­tiques, que l’on appelle “chaleur fatale”, pour chauf­fer des bâti­ments. Et plutôt que de récupér­er cette chaleur et de l’a­chem­iner, ils trans­for­ment les serveurs en “radi­a­teurs” qu’ils instal­lent dans les locaux à chauf­fer. Une plate­forme logi­cielle envoie les cal­culs infor­ma­tiques à effectuer – cal­culs financiers, d’im­agerie 3D, de dessins ani­més… – vers les serveurs et récupère les résul­tats pour les recon­solid­er. Les “radi­a­teurs ordi­na­teurs”, bap­tisés QH•1, sont munis d’un ther­mo­stat et d’un inter­rup­teur, per­me­t­tant de les régler à la demande.

Trois ans plus tard, Qarnot a testé ses pre­miers mod­èles dans des loge­ments du XVème arrondisse­ment à Paris puis a équipé un immeu­ble neuf à Bor­deaux. Ont suivi des lev­ées de fonds, des clients pres­tigieux, le développe­ment d’une chaudière numérique appelée QB•1, et un parte­nar­i­at avec le groupe Casi­no pour le chauffage d’en­tre­pôts. Aujour­d’hui, la société compte 70 per­son­nes dont 50 ingénieurs qui dévelop­pent de nou­velles appli­ca­tions de « chaleur écologique ».

Qarnot dit ven­dre de la “chaleur écologique”. De quoi s’agit-il ?

Quentin Lau­rens. Qarnot vend avant tout un ser­vice de cal­cul infor­ma­tique. La chaleur fatale est une con­séquence de l’activité des serveurs, que nous val­orisons. Après avoir créé le “radi­a­teur ordi­na­teur”, c’est-à-dire du chauffage de bâti­ment par cal­cul d’or­di­na­teur, Qarnot a enrichi sa gamme d’une chaudière numérique qui pro­duit de l’eau chaude à plus de 60 °C. Pour inclure nos pro­duits et les dif­férents marchés aux­quels ils s’adressent, nous dis­ons aujour­d’hui que nous four­nissons du cal­cul infor­ma­tique bas car­bone. Notre mod­èle nous per­met de ven­dre de la puis­sance de cal­cul infor­ma­tique bas car­bone pour les uns et de l’eau chaude écologique pour les autres. Cela sig­ni­fie que nous pro­duisons du chauffage ou de l’eau chaude grâce à la chaleur dégagée par les processeurs qui effectuent les cal­culs. Notre savoir-faire réside en grande par­tie dans la plate­forme logi­cielle qui répar­tit et dis­tribue les cal­culs à effectuer de façon totale­ment trans­par­ente pour les occu­pants des lieux où sont instal­lés les appareils.

Cette activ­ité intéresse deux types d’u­til­isa­teurs : les grands con­som­ma­teurs de traite­ment infor­ma­tique, notam­ment les ban­ques et les stu­dios de dessins ani­més, et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, les bailleurs soci­aux et les énergéti­ciens qui instal­lent nos appareils dans leurs bâti­ments. De nou­veaux secteurs com­men­cent à s’y intéress­er, notam­ment avec le développe­ment de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle et du « machine learn­ing », des logi­ciels de mécanique des flu­ides et de la recherche médicale.

Diriez-vous que la chaleur écologique “verdit” le numérique, qu’elle le rend vertueux ?

Atten­tion, nous ne dis­ons pas que nous sommes zéro car­bone ou zéro émis­sion. Plus qu’une énième solu­tion bas car­bone, notre mod­èle est un véri­ta­ble change­ment de par­a­digme. Pour un data cen­ter, il faut con­stru­ire un bâti­ment, l’al­i­menter en énergie pour son fonc­tion­nement et le refroidisse­ment des serveurs, le con­necter aux réseaux inter­na­tionaux, l’équiper de serveurs, d’un groupe élec­trogène et de fioul, etc. Le mod­èle Qarnot n’a besoin ni de data cen­ter ni de refroidisse­ment. La seule chose néces­saire est une source d’én­ergie et une con­nex­ion à la fibre pour effectuer les cal­culs et donc par con­séquent pro­duire du chauffage. Nous essayons d’op­ti­miser la durée de vie des serveurs et des micro­processeurs en util­isant la « puis­sance-crête » (la puis­sance max­i­male d’un dis­posi­tif) veil­lant à con­juguer les bonnes per­for­mances et l’émission de chaleur. Nous esti­mons que nous réduisons de 81 % les émis­sions de CO2 par rap­port à un mod­èle clas­sique de data cen­ter car nous n’avons pas d’ex­ter­nal­ités néga­tives, cela min­imise les effets et les impacts. 

Com­ment avez-vous éval­ué cette réduction ?

Aujour­d’hui, nous ne dis­posons pas d’un cal­cul pré­cis, c’est une esti­ma­tion que nous avons faite nous-mêmes. Nous avons lancé le développe­ment d’une méth­ode de cal­cul qui nous per­met d’aller à un grand degré de finesse dans la mesure de l’empreinte car­bone, en inté­grant cha­cun des paramètres (empreinte car­bone de la source d’électricité suiv­ant les pays, le matériel util­isé, le taux de chaleur récupéré etc.). Avec ce mod­èle, nous pou­vons cal­culer la con­som­ma­tion pré­cise et quan­ti­fi­er les émis­sions de gaz à effet de serre (GES) d’un cal­cul infor­ma­tique ou d’une activ­ité. Cette méthodolo­gie est en cours de cer­ti­fi­ca­tion. Cela nous per­me­t­tra d’es­timer le coût de cal­cul dans un data cen­ter, en ten­ant compte des écarts de prix de l’élec­tric­ité et d’émis­sions entre la France, qui pro­duit de l’én­ergie nucléaire, et des pays qui pro­duisent de l’élec­tric­ité dans des cen­trales à charbon.

Quelles sont les pos­si­bil­ités de développe­ment de la chaleur écologique ?

Nous avons dévelop­pé et amélioré la chaudière QB•1, et nous menons actuelle­ment des tests avec l’Open com­pute project pour récupér­er des serveurs auprès des grands data cen­ters lorsqu’ils renou­vel­lent leurs parcs et les recon­di­tion­ner en chaudières. Pour l’in­stant, nous ven­dons essen­tielle­ment des ser­vices de cal­cul ou de chauffage. Nous envis­ageons de ven­dre prochaine­ment la chaudière en “stand alone”, c’est-à-dire qu’un client pour­rait acheter des chaudières et les utilis­er à la fois pour le cal­cul et pour chauf­fer de l’eau. Nous envis­ageons égale­ment d’u­tilis­er la chaleur pour pro­duire du froid.

Du côté des util­isa­teurs, il y a de nom­breux marchés qui sont intéressés et avec qui nous dévelop­pons des pro­jets. Des agricul­teurs tes­tent la solu­tion Qarnot pour chauf­fer des ser­res et pro­duire tomates et frais­es à longueur d’an­née. Des brasseries envis­agent de s’en servir pour chauf­fer l’eau. Les réseaux de chaleur, notam­ment dans les pays du Nord de l’Eu­rope, s’in­téressent de plus en plus aux éner­gies de récupéra­tion. Nous avons déjà des pro­jets réal­isés avec plusieurs villes. Les pro­jets ne man­quent pas. Tous ces défis pas­sion­nent nos ingénieurs, car ils répon­dent à leurs préoc­cu­pa­tions envi­ron­nemen­tales. La chaleur écologique n’en est encore qu’à ses débuts.

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